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Gounod, Faust et Plasson : l’équation idéale Paris Opéra Bastille 03/02/2015 - et 5, 9, 12, 15, 18, 22, 25, 28 mars 2015 Charles Gounod : Faust Piotr Beczala*/Michael Fabiano (Faust), Ildar Abdrazakov (Méphistophélès), Jean-François Lapointe (Valentin), Damien Pass (Wagner), Krassimira Stoyanova (Marguerite), Anaïk Morel (Siebel), Doris Lamprecht (Dame Marthe)
Chœur de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Michel Plasson (direction musicale)
Jean-Romain Vesperini (mise en scène), Johan Engels (décors), Cédric Tirado (costumes), François Thouret (lumières), Selin Dündar (chorégraphie)
(© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)
Le maître des lieux n’a donc pas voulu redonner la production de Jean-Louis Martinoty, aussi coûteuse que ratée, un des plus retentissants fiascos du mandat de son prédécesseur. Mais en faisant appel à Jean-Romain Vesperini, Stéphane Lissner n’a pas eu la main heureuse : ce Faust est scéniquement sans le moindre intérêt. Peu importe qu’on ait dû réutiliser l’immense bibliothèque aux escaliers en colimaçon conçue par Johan Engels, ici décor unique où l’on verra un bar pour la taverne, un arbre pour le jardin, des cierges pour l’église, etc. On cherche en vain les enjeux que le metteur en scène définit lui-même : Faust est censé devenir un homme du XIXe, dépassé, perdu dans un monde qui n’est pas le sien, celui des années 1930 traumatisé par deux guerres. Et faire de l’histoire une sorte de rêve du protagoniste, que peut certes justifier ici l’absorption du poison, revient à resservir un plat souvent réchauffé dans d’autres opéras. On a déjà vu, également, Méphisto habillé en prêtre à l’église – dans la foisonnante et passionnante production londonienne de David McVicar, par exemple. Quant à la référence à L’Ange bleu au deuxième acte, elle ne se perçoit guère. Tout cela tiendrait néanmoins la route si une direction d’acteurs affûtée allait au fond des consciences, créait de vrais personnages : Jean-Romain Vesperini s’en tient à la plus plate convention, quitte à tomber ici ou là dans une grandiloquence d’un autre temps – les reculs effrayés du diable dès que le bon dieu est invoqué prêtent plutôt à rire... Une partie du public ne manque pas, à la fin, de manifester sa mauvaise humeur.
On n’en a pas moins aimé ce Faust. Parce que, d’abord, quarante ans après la production historique de Jorge Javelli à Garnier, Michel Plasson est de retour. Il sait, comme nul autre, faire chanter l’orchestre de Gounod, en marier les couleurs raffinées, modeler les phrasés avec une gourmandise sensuelle. Certes, il reste plus sensible à la dimension intimiste de l’œuvre qu’aux relents de grand opéra, quitte à s’attarder parfois, moins soucieux de nous tenir en haleine que de nous abandonner au charme de la musique – l’accompagnement de « Salut, demeure chaste et pure » s’écoute autant que la voix du ténor. Une musique où il n’opère pas les coupures traditionnelles : si le ballet se réduit à son dernier numéro, la Danse endiablée de Phryné, il rétablit, au début du quatrième acte, les airs de Marguerite et de Siebel.
La distribution se situe haut. S’il n’est pas aussi naturellement Faust que Roberto Alagna, Piotr Beczala n’a rien à craindre d’un rôle dont il possède la tessiture, avec des aigus jamais forcés, un style de grande école, moins sanguin que le ténor français, plus introverti, sans doute plus goethéen – se repèrent aussi, çà ou là, des accents à la Gedda. On ne craignait guère pour Krassimira Stoyanova : même un peu mûre, elle incarne le bonheur et la souffrance de Marguerite, technique sûre malgré une fâcheuse et curieuse tendance à ne pas libérer et à détimbrer l’aigu, phrasés bien adaptés aux canons du chant français – notamment grâce à la clarté de l’articulation, qui rendent exemplaires la Chanson du roi de Thulé ou « Il ne revient pas ! ». Ces canons échappent un peu à Ildar Abdrazdakov, qui ne peut pas non plus, faute de noirceur et de mordant, de grave également, prendre ici la relève des grandes basses slaves. Sans doute est-il plus roi ou tsar, Philippe II ou Boris, que diable, plutôt complice tentateur à vrai dire, davantage à l’aise à partir du quatrième acte, où sa subtilité, par exemple, sauve la Sérénade de l’histrionisme. Jean-François Lapointe, Valentin un peu matamore mais bien stylé, Anaïk Morel, Siebel sensible mais jamais mièvre, complètent heureusement cette distribution venue de l’Est.
Didier van Moere
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