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Dieu et son prophète

Paris
Maison de la radio (Auditorium)
02/23/2015 -  
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur, K. 622
Anton Bruckner : Symphonie n° 9 en ré mineur (édition Nowak)

Patrick Messina (clarinette)
Orchestre national de France, Bernard Haitink (direction)


B. Haitink (© Todd Rosenberg)


Les venues de Bernard Haitink, quatre-vingt-six ans le 4 mars prochain, à la tête de l’Orchestre national de France sont anciennes (leur premier concert conjoint date de 1961!) et les souvenirs nombreux... Qui peut avoir oublié ce Pelléas et Mélisande tout en finesse en 2000 et en 2007, cette glaçante Sixième de Mahler en 2001 ou ces symphonies de Chostakovich aux couleurs mordorées en 2005 et en 2006? Ce soir, le grand chef néerlandais revenait pour un concert associant deux compositeurs avec lesquels il n’entretient pas tout à fait les mêmes affinités. En effet, s’il est depuis longtemps un brucknérien reconnu et, aujourd’hui, sans doute l’un des plus grands, il n’est jamais passé pour un fervent mozartien même s’il a enregistré la plupart de ses opéras avec une réussite évidente.


On commençait donc ce programme par le célébrissime Concerto pour clarinette (1791) de Mozart, joué pour l’occasion par Patrick Messina, un des clarinettistes solo de l’orchestre. Même si l’interprétation a été de bon niveau, force est de constater que Messina ne nous a pas semblé aussi à l’aise que lorsqu’il avait joué cette même œuvre sous la baguette de Riccardo Muti, en avril 2007 (le concert ayant d’ailleurs ensuite été publié) et non en 2012 comme pourrait le laisser entendre la notice du concert. Si la technique demeure irréprochable, le jeune clarinettiste a parfois livré des pianissimi à la limite de la rupture (dans le deuxième mouvement) et, même, proches de l’affectation alors que son discours avait été beaucoup plus naturel il y a huit ans. Si le troisième mouvement (Rondo. Allegro) a souffert de quelques anicroches (dues semble-t-il à une anche un peu sèche), il a été enlevé avec un certain panache même si c’est le premier mouvement qui nous a laissé la meilleure impression, Haitink dirigeant pour sa part l’ensemble avec à la fois vivacité et légèreté.


En seconde partie, Haitink avait choisi la Neuvième Symphonie de Bruckner, compositeur dans lequel il a récemment laissé des témoignages exceptionnels à l’image de cette Huitième dresdoise ou de cette Quatrième londonienne. Passant pour l’occasion d’une trentaine à plus du double de cordes, s’enrichissant d’un pupitre de cuivres conséquent (huit cors dont quatre jouant également les fameux tuben, trois trompettes, trois trombones et un tuba), l’Orchestre national de France sonne merveilleusement, bénéficiant il est vrai de l’exceptionnelle acoustique de l’auditorium de Radio France. Dès le premier mouvement (Feierlich. Misterioso), les frémissements des cordes et les attaques des cors (emmenés par le toujours excellent Hervé Joulain) imposent un climat empreint de grandeur souveraine dont Haitink ne se départira jamais, faisant respirer l’orchestre de manière idéale. Ainsi, si les détails de la partition sont magnifiquement conduits, le chef ne néglige pour autant jamais l’architecture générale, qui culmina dans une coda conclusive d’une beauté renversante, le roulement de timbales conduisant à une atmosphère digne du plus grand des cataclysmes. Excellent également fut le deuxième mouvement où, là encore, Didier Benetti brilla aux timbales, son martellement faisant sensation du début à la fin. Haitink, comme d’ailleurs dans son récent enregistrement à la tête du Symphonique de Londres, porta autant d’attention au Trio qu’au reste du Scherzo, le concluant dans une sourde violence et considérant ainsi à juste titre, et contrairement à certains de ses confrères, qu’il ne s’agit là nullement d’une simple parenthèse entre deux mouvements mais bien d’une étape essentielle dans le parcours de cette symphonie dédiée «au bon Dieu». Quel contraste ensuite avec le dernier mouvement (Adagio. Langsam, feierlich), qui plonge ses racines dans des cordes voluptueuses emmenées par les premiers violons! Les cuivres forment à cette occasion un vaste choral que viennent relayer les cordes dans un arc gigantesque, entre tensions et apaisement, Haitink nous conduisant vers les pizzicati conclusifs d’un très grand concert.


Plus que jamais, si Bruckner est un dieu, Bernard Haitink en est l’un des plus grands prophètes. Ovation évidemment pour le chef et l’orchestre, une nouvelle fois galvanisé par cette haute personnalité qui sera de retour à Paris le 16 juin prochain à la Philharmonie, dans un concert Mozart-Mahler, à la tête cette fois-ci de l’Orchestre symphonique de Londres.



Sébastien Gauthier

 

 

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