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Magie lunaire

Paris
Opéra Bastille
02/07/2015 -  et 10*, 13, 16, 19, 22, 25, 28 février 2015
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Stéphane Degout (Pelléas), Paul Gay (Golaud), Franz-Josef Selig (Arkel), Julie Mathevet (Le petit Yniold), Elena Tsallagova (Mélisande), Doris Soffel (Geneviève), Jérôme Varnier (Un berger, Le médecin)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Robert Wilson (mise en scène et décors)


(© Elisa Haberer/Opéra national de Paris)


Allait-on se lasser, plus de quinze ans après, de ce Pelléas mis en scène par Bob Wilson, encore repris en 2012 ? Non. Nous tenons ici une des meilleures inspirations du metteur en scène texan, parfois si agaçant par son esprit de système. Ces couleurs changeantes, d’une fascinante beauté mais toujours en accord avec le drame, ce minimalisme abstrait, ce hiératisme des gestes, loin de l’émousser, renforcent le pouvoir de suggestion du texte et de la musique – comme il est beau, ce bleu du ciel et de la mer confondus... Pelléas se mue en une sorte de nocturne à la fois ténébreux et lumineux, d’une magie lunaire, écho du secret des consciences. Froideur ? Pudeur plutôt, avec ces mains qui se cherchent sans se toucher, ces personnages qui se croisent sans se rencontrer : il faut attendre l’ultime tête-à-tête du couple pour qu’il se trouve enfin, avant que Pelléas s’offre à l’épée de Golaud. Vision très pessimiste au fond, faisant du drame lyrique de Debussy une tragédie de la solitude et de la quête avortée (désespérée) de l’autre. A la fin, Mélisande, qui ressemble à un gisant, se lève lentement, telle une sainte ressuscitée. Mais Arkel ne vient-il pas de dire, à propos de son enfant, que « c’est au tour de la pauvre petite » ? Et si le temps n’était qu’un éternel recommencement, si la fille de Mélisande allait elle aussi se retrouver bientôt perdue dans la forêt...


Retrouver Ellena Tsagallova et Séphane Degout est un plaisir. Non que l’on approuve ces Pelléas barytons richement timbrés, qui se coulent moins naturellement dans le rôle que des barytons Martin plus légers ou que des ténors, surtout lorsque la phrase traverse l’aigu. Mais l’aigu, chez Stéphane Degout, est si beau et si naturel, la déclamation si exemplaire, l’interprétation si vraie qu’on oublierait presque ces réticences de principe. A ce Pelléas très lyrique, plus en rupture avec l’opéra traditionnel qu’en 2012, Elena Tsallagova s’apparie aujourd’hui idéalement, d’autant plus qu’elle a corsé son médium qu’elle s’est vraiment approprié la prosodie française et a gagné en clarté d’articulation: voici une Mélisande moins désincarnée, qui a à la fois de la chair et du mystère. Paul Gay, lui, incarnerait plutôt la tradition du chanteur diseur, mais ce Golaud assez réservé, voire introverti, plus lointain que Pelléas, plus résigné, pour être peut-être stylistiquement plus authentique, n’atteint pas à la même plénitude vocale que le couple : la projection reste parfois modeste, les aigus s’ouvrent dans les éclats de violence qui le laissent un peu à court, la composition, d’une grande probité, manque de force. Franz-Josef Selig fait surgir son Arkel du fond des âges, surtout qu’il garde un peu un côté roi Marke venu d’un autre monde, très émouvant en tout cas par ces phrasés à fleur de voix, ce timbre qu’on a parfois entendu charbonneux et dont on goûte ici la douceur veloutée. Pour les autres, plutôt qu’une Doris Soffel à contre-emploi – quelle idée de l’avoir distribuée en Geneviève... – ou l’Yniold falot de Julie Mathevet, retenons l’impeccable Médecin de Jérôme Varnier.


La dernière reprise avait révélé un Philippe Jordan inattendu, chez lequel nous déplorons parfois de la froideur et du statisme. Ce Pelléas le confirme : le directeur musical de l’Opéra peut, sans se presser, faire avancer la musique, épouser les courbes souples et sensuelles de l’orchestre, se délecter des combinaisons de timbre, capter tout ce qu’il y a d’impalpable dans cette musique des clairs-obscurs. Un vrai « debussyste ».



Didier van Moere

 

 

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