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Strasbourg
Opéra national du Rhin
02/07/2015 -  
Franz Liszt : Lieder
Robert Schumann : Liederkreis, opus 39
Gustav Mahler : Rücker-Lieder

Anne Schwanewilms (soprano), Manuel Lange (piano)


A. Schwanewilms (© Javier del Real)


Décor de marbres noirs, en panneaux successifs, éclairés latéralement : tout simplement un coin de la production de La clemenza di Tito de Mozart en cours à l’Opéra du Rhin, utilisé tel quel, pour accueillir ce récital de chant. On évite ainsi le coûteux déménagement qu’il aurait fallu effectuer juste pour ce concert, et visuellement le résultat est d’autant plus heureux que la diva blonde qui se produit ce soir porte une robe d’un éclatant rouge vif, effet superbe devant ce fond sombre. Le rituel du récital glisse dès lors vers l’opéra, et le très beau maintien d’Anne Schwanewilms aidant, ces images nous font vite rêver à l’apparition ultime d’une Isolde ou au désespoir d’une Ariadne sur son rocher..


Mais c’est néanmoins à une soirée de lieder que l’on assiste, pour laquelle Anne Schwanewilms, merveilleuse cantatrice straussienne, a décidé de réduire ouvertement la voilure. Trop peut-être, au point d’amenuiser ses moyens au delà de leur flexibilité naturelle. Plus d’un aigu filé s’effiloche, plus d’un allègement tourne au détimbrage, et beaucoup de tempi alanguis finissent par laisser la chanteuse désemparée, au milieu du gué. Méforme passagère ou petite usure des moyens ? On ne sait trop, mais cette soirée laisse à plusieurs reprises un sentiment de frustration, l’impression d’une interprète toujours remarquable mais quelque peu fourvoyée dans un programme qui ne lui convient pas.


On ne discutera pas des Liszt, dont la culture cosmopolite, voire le mariage particulier qu’ils célèbrent entre la voix et une virtuosité pianistique envahissante, classent d’emblée ces pièces-là au rayon des curiosités un peu contournées voire précieuses dans lesquelles Anne Schwanewilms excelle particulièrement. Le problème est qu’ici, parcimonieusement disposés au début de chaque partie, ils échouent à installer une ambiance, leur flamboyance se trouvant vite oubliée, déclassée, au profit des recueils plus consistants qui les suivent.


Offrir le Liederkreis Opus 39 de Schumann entier en pièce de résistance d’une première partie de récital est un vrai défi. Fallait-il l’oser, a fortiori après que Sophie Karthäuser l’eut aussi magnifiquement relevé sur cette même scène il y a trois mois ? Certaines juxtapositions sont cruelles, car si Anne Schwanewilms possède un véritable talent de diseuse, les atmosphères méticuleusement construites qu’elle nous offre manquent de variété, ramenant le romantisme d’Eichendorff à quelques ambiances compassées et surtout relativement interchangeables. Le cycle se dilue, sans progressions, les anecdotes se figent, et les couleurs chatoyantes du romantisme virent à l’eau-forte, sans dégradés. Dommage ! Même la courbe de Mondnacht, insuffisamment soutenue par le piano, vire à l’arabesque fagilisée, au bord de l’essoufflement.


Les Rückert-Lieder de Mahler séduiront davantage, même si l’on reste convaincu qu’il faut à cette voix dont les subtiles métallisations et irisations ne fonctionnent bien qu’à plein régime, le stimulus et le soutien d’un véritable orchestre. Phrasé et sculpté par Manuel Lange, toujours large et (trop ?) lent, l’accompagnement pianistique semble insuffisant pour porter la chanteuse plus loin qu’une simple et noble exposition du texte, en deçà de ses vraies possibilités. Et puis n’oublions pas qu’en tant que soprano Anne Schwanewilms se mesure là aux souvenirs laissés par tant de voix plus graves et plus larges, dont c’était le territoire d’élection et dont elle ne parvient pas à retrouver l’intense potentiel émotionnel, déconvenue somme toute prévisible.


En bis un beau Fischerknabe, pour lequel diva retourne une fois encore à Liszt, brillamment, nous faisant vraiment regretter qu’elle soit passée à côté d’un programme que l’on aurait rêvé différent : Liszt, Debussy, Strauss, Schreker, Zemlinsky...



Laurent Barthel

 

 

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