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Un ouragan musical souffle sur Versailles Versailles Opéra royal 01/22/2015 - et 18 (Madrid), 20 (Mérignac), 24 (Paris), 27 (Amsterdam), 29 (Toulouse), 31 (Dortmund) janvier 2015 Agostino Steffani : Niobe, Regina di Tebe Philippe Jaroussky (Anfione), Karina Gauvin (Niobé), Teresa Wakim (Manto), Christian Immler (Tirésias), Aaron Sheehan (Clearte), Maarten Engeltjes (Créonte), Jesse Blumberg (Poliferno), José Lemos (Nerea), Colin Balzer (Tiberino)
Boston Early Music Festival Orchestra, Paul O’Dette et Stephen Stubbs (direction), Robert Mealy (premier violon),
K. Gauvin (© Michael Slobodian)
Méconnu, Agostino Steffani? Certes, ce n’est pas le plus brillant, ni le plus célèbre de l’époque baroque mais il n’en demeure pas moins que ce compositeur italien (né en Vénétie en 1654 et décédé en Allemagne en 1728), également homme d’église et diplomate de premier ordre, a déjà bénéficié des ors du château de Versailles. En juin 2013, à l’occasion de la sortie de son disque «Mission», Cecilia Bartoli interprétait en effet plusieurs airs issus de diverses compositions de Steffani, lui permettant ainsi de se retrouver au premier plan. Quant à l’opéra Niobé, créé au Hoftheater de Munich en janvier 1688, il s’agit certes d’une découverte pour bon nombre de mélomanes mais il ne faut pas oublier qu’il a déjà été représenté ces dernières années sous la direction de Thomas Hengelbrock, notamment au Rokokotheater de Schwetzingen en avril 2008, puis au Grand Théâtre de Luxembourg en décembre 2010, Véronique Gens interprétant pour l’occasion le personnage de Niobé.
Intrigue tirée des Métamorphoses d’Ovide, Niobé raconte l’histoire de la reine de Thèbes, fille de Tantale, épouse du roi Amphion, fils de Jupiter. Extrêmement fière, Niobé développa un orgueil sans limite, se prenant presque pour une déesse. Au fil d’aventures multiples, Niobé voit ses enfants (les Niobides) tués par les dieux Apollon et Diane, dont elle avait ordonné la destruction des autels. C’est alors qu’elle est transformée en statue de pierre, cette métamorphose achevant la tragédie d’un destin hors normes.
Concomitamment à la sortie discographique de Niobé (chez Erato), l’équipe de musiciens emmenée par Philippe Jaroussky, qui s’est personnellement beaucoup engagé pour faire revivre cet opéra, investissait donc la scène du Théâtre royal de Versailles pour en donner une version de concert. Pour beaucoup certainement, ce fut une magnifique découverte. Dans le rôle-titre, Karina Gauvin est des plus convaincantes même si elle ne bénéficie pas de grand air, à l’exception notable d’«In mezzo al Armi» (scène 8 de l’acte III) qui, accompagné par des cordes bondissantes, finit dans un murmure empli de désolation. Néanmoins, la soprano canadienne prouve une fois encore ses affinités avec ce répertoire, la virtuosité de sa voix (l’air «Qui la Dea cieca volante» à la scène 3 de l’acte II) le disputant à l’extrême sensibilité de certains airs, comme le très beau «Ahi ch’ogn’hor più m’accendi» (scène 1 de l’acte III).
Niobé réserve sans aucun doute ses plus beaux passages au personnage d’Amphion, incarné en l’espèce par Philippe Jaroussky. Dès son superbe air «Dell’alma stanca» qui émerge dans un climat extatique, totalement surnaturel, où la mélodie naît d’on ne sait où, le jeune haute-contre s’approprie pleinement le personnage. Que dire également de l’air «Dal mio Petto o pianti» (scène 5 de l’acte II), guidé par une pulsation implacable et souple à la fois, un sens souverain de la respiration, et idéalement épaulé par le violon solo de Robert Mealy? Même si certains aigus recèlent quelque fragilité, ils ne font que mieux caractériser encore la psychologie d’Amphion, là aussi parfaitement incarné.
Le reste de l’équipe de chanteurs est également de très haut niveau. On commencera peut-être par la «caution humoristique» de l’opéra, en la personne de la nourrice Nerea: quel chanteur que José Lemos! Parfois accompagné par des castagnettes (à la fin de l’acte II), le contre-ténor brésilien déborde de vie, accompagné quand il le faut par un orchestre pleinement festif (le luth, la guitare et le violoncelle dans l’air «Quasi tutte, Son le Brutte» à la scène 4 de l’acte I, avant que tout l’orchestre ne s’emporte...). C’est enjoué et délicieux à la fois, les applaudissements saluant également une vraie performance d’acteur (à la scène 18 de l’acte I, le passage «Che agli assalti degli amanti») que l’on aurait aimé voir dans une mise en scène en bonne et due forme. A l’inverse, on aurait souhaité davantage de caractérisation pour le personnage de Créonte, pourtant assez bien chanté par Maarten Engeltjes. Néanmoins, pourquoi ne pas mettre davantage de rage dans les accents de l’air «Nuovo soglio, e nuova Bella» à la scène 12 de l’acte I; en outre, certains aigus se sont avérés assez fragiles, au point que l’on a entraperçu la possible rupture, qui n’est heureusement pas survenue («Lascio l’armi, e cedo il Campo» à la scène 10 de l’acte II).
Excellente prestation, dans le rôle de Tirésias, de Christian Immler, qui a notamment très bien chanté le bel air «Amor t’attese al Varco» (scène 8 de l’acte I). Même s’il a globalement bien tenu le rôle de Poliferno, Jesse Blumberg a connu quelques faiblesses (l’air «Numi Tartarei» à la scène 4 de l’acte II), Aaron Sheehan ayant également eu quelques aigus difficiles, notamment dans la scène 17 du premier acte. Pour autant, aucun interprète ne dépareilla au sein d’une équipe globalement de très haut vol.
Quant à l’orchestre, c’était inédit: trois chefs le dirigèrent! Car, dès l’entrée en scène, Paul O’Dette s’installa au luth (instrument dont il est depuis de nombreuses années un interprète hors pair), Stephen Stubbs lançant l’orchestre avant de rapidement prendre sa guitare baroque, assis justement face à son comparse, instrument qu’il ne quittera plus tout au long du concert. Et, finalement, c’est l’excellent Robert Mealy qui, de son violon, entraîna un orchestre idoine, bondissant, virevoltant, à l’écoute des chanteurs, précis et sachant varier les couleurs au sein des épisodes de l’histoire qui nous était contée. Niobé se révéla un plaisir orchestral de chaque instant, rehaussant de couleurs multiples un chant qui aurait parfois pu sembler quelque peu atone. On ne peut, en tout état de cause, que saluer la résurrection ainsi entreprise, qui se conclut sous les applaudissements enthousiastes d’un public conquis.
Le site de Philippe Jaroussky
Le site de Karina Gauvin
Le site de Teresa Wakim
Le site de Christian Immler
Le site de Aaron Sheehan
Le site de Maarten Engeltjes
Le site de Jesse Blumberg
Le site de José Lemos
Sébastien Gauthier
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