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Réalisme poétique Strasbourg Opéra 01/14/2015 - et 15, 16, 17, 18 (Strasbourg), 24, 25, 27 (Mulhouse) janvier, 1er, 3 février (Colmar) 2015 Nino Rota/Mario Pistoni : La strada Stéphanie Marec-Van Hoorde*/Anna Ishii/Sarah Hochster/Dongting Xing (Gelsomina), Alexandre Van Hoorde*/Thomas Hinterberger/Grégoire Lansier/Renji Ma (Le Fou), Alain Trividic*/Dane Holland (Zampano), Claude Agrafeil (La mère), Emma Bresy, Anna-Maria Maas, Estelle Roux (Trois sœurs), Ros Pando (Le chiffonnier), Yann Lainé (Le marié), Christelle Molard-Daujean (La mariée), Laurent Berecz, Loïc Bonhomme, Manuel De Col (Trois serveurs), Eureka Fukuoka (La péripatéticienne), Dane Holland, Miao Zong, Marwik Schitt, Yann Lainé, François Aulibe, Jean-Baptiste De Gimel (Six joueurs), Galaad Le Goaster (L’évêque), Loïc Bonhomme, Laurent Berecz, Manuel De Col, Christophe Bach, Félix Meunier, Thomas Bahr (Six porteurs), Sandra Ehrensperger, Wendy Tadrous (Deux jeunes filles), Thomas Hinterberger, Jean-Philippe Rivière, Grégoire Lansier, Renje Ma (Les soldats), Kusi Castro, Sayoko Hirano, Susie Buisson (Trois femmes-sandwichs), Thomas Hinterberger, Jean-Philippe Rivière, Renje Ma, Grégoire Lansier (Les jongleurs), Valeria Quintana Velasquez, Anna-Maria Maas, Zélie Jourdan (Trois acrobates), Dane Holland, François Aulibe, Denis Lamaj, Eros Pando (Quatre employés du cirque), Sandra Ehrensperger, Yann Lainé, Miao Zong (Trois clowns), Valeriana Quintana Velasquez, Ninon Fehrenbach, Erika Bouvard (Trois pierrots), Céline Nunigé, Anna Ishii, Sarah Hochster (Trois danseuses), Wendy Tadrous, Susie Buisson, Sayoko Hirano, Anna-Maria Maas (Quatre religieuses), Jean-Baptiste De Gimel (Le carabinier), Augustin Baudry-Mosser, Anna-Maria Carrez, Lucien Domenicone, Perrine Ertz, Côme Gremaud, Chiara La Selva, Esther Oussiali (Enfants), Ballet de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Myron Romanul (direction musicale)
Tullio Pinelli, Federico Fellini, Mario Pistoni (sujet), Philippe Miesch (décors), Guido Pistoni (reprise des costumes d’après Mario Pistoni), Maryse Gautier (lumières), Guido Pistoni, Lilliana Gazza, Claude Agrafeil, Didier Merle (répétitions)
(© Jean-Luc Tanghe)
Si la renommée du film de Fellini n’est plus à faire, pas plus que celle de la musique de Nino Rota, l’argument a également inspiré un ballet réglé par Mario Pistoni en 1967 pour la Scala de Milan, qui a rapidement rencontré un vif succès en Italie et au-delà, auquel la France s’est cependant montrée un peu rétive. Les présentes représentations données par l’Opéra national du Rhin – les premières alsaciennes – viennent réparer cette injustice, grâce à une reprise de la production par le neveu du chorégraphe, Guido.
Avec la scansion régulière de pins parasol en fond de scène, un parfum de péninsule années cinquante souffle sur le plateau, sans que cette discrète nostalgique ne s’abîme dans quelque passéisme ou pittoresque gratuit que ce soit. Les scènes se succèdent selon un rythme fidèle à l’original cinématographique, nourrissant une fluidité narrative empreinte des archétypes du répertoire. La tension à l’œuvre entre les trois personnages principaux, Gelsomina, Zampano et le Fou, comme l’atmosphère saltimbanque entre tristesse, espoirs et fatale jalousie conjugale, rappelle Paillasse. L’épilogue où la petite fille joue à la marelle fait évidemment écho aux débuts de l’histoire, tout en suggérant peut-être une secrète affinité avec Wozzeck. Aucun doute, la profusion de tableaux n’obère nullement l’unité d’un aboutissement formel que, sans emphase inutile, l’on peut mesurer à Fellini. Cela s’avère particulièrement remarquable dans le trio de pierrots, extatique et lunaire intermède plus développé, qui contraste harmonieusement avec un ensemble innervé d’énergie voire de labilité visuelle au diapason d’une musique presqu’éthérée, Gelsomina roule sur les trois pierrots à la façon de rondins de bois, métaphore où le temps et le réel suspendent leur cours et se fondent le rêve et le vertige de la chute. On saluera la délicate alchimie entre le trio – Valeriana Quintana Velasquez, Ninon Fehrenbach, Erika Bouvard – et l’héroïne.
Dans l’abandon de Stéphanie Marec-Van Hoorde se lit ici, de manière remarquable, la fragilité de Gelsomina, sincère et émouvante, qui affleure instinctivement dès les premiers duos avec Zampano. A ce titre, l’échappée sur pointes dans l’irréel de la fantaisie du cirque et du théâtre face aux injonctions tyranniques de son maître et époux en témoigne, comme une évasion, une parenthèse hors de la violence oppressante. C’est dans cette magie, aux confins de la folie, où elle s’éteindra, dans le froid et la neige, abandonnée. Le couple qu’elle forme avec Alain Trividic souligne la brutalité de Zampano, dont le soliste laisse sourdre les fêlures qui éclateront dans son errance finale. Révoltant autant que touchant, ainsi apparaît le rôle. C’est d’ailleurs, sans absolument renier la distance des planches, cette proximité presque identificatoire avec les caractères, se détachant du flux scénographique, qui fait l’émotion singulière et captivante de l’ouvrage, et que l’on retrouve dans Le Fou d’Alexandre Van Hoorde, lucarne de lumière et de légèreté à laquelle Gelsomina succombera jusqu’à la mort, et magnifiée par une souplesse souriante de naturel.
Dirigée par Myron Romanul, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, la partition de Nino Rota offre une inimitable caisse de résonnance à ces sentiments, avec une subtilité dénuée de redondance dans les répétitions des thèmes, comme autant de fils qui se nouent jusqu’au destin fatal. Une aération supplémentaire des tempi ne manquera pas d’être bienvenue au fil des soirées. Pour ceux qui ont manqué Strasbourg, Mulhouse et Colmar offrent l’occasion de goûter La strada et son réalisme poétique à rebours de certaines tendances conceptuelles de modernités autoproclamées, belle preuve que le répertoire sait garder une fraîcheur irrésistible.
Gilles Charlassier
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