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Un chef à suivre Paris Théâtre des Champs-Elysées 01/20/2015 - Franz Schubert : Symphonie n° 8 en si mineur «Inachevée», D. 759
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Symphonie n° 4 en fa mineur, opus 36 Wiener Philharmoniker, Rafael Payare (direction)
R. Payare (© Luis Cobelo)
Originellement, ce premier concert parisien des Wiener Philharmoniker pour la saison 2014-2015 du Théâtre des Champs-Elysées devait être dirigé par Lorin Maazel, partenaire de longue date de l’orchestre. Or, le chef américain étant décédé au mois de juillet dernier, il a fallu lui trouver un remplaçant. Et, alors qu’on aurait pu voir surgir un des noms que l’on a l’habitude de voir diriger l’orchestre, c’est, pour beaucoup, un inconnu qui est sorti du chapeau en la personne de Rafael Payare.
Pur produit du dispositif vénézuélien «El Sistema» (créé en 1975 par le musicien et économiste José Antonio Abreu afin de développer la mixité sociale au sein des orchestres de jeunes), Payare (né en 1980) fait partie de cette cohorte de jeunes baguettes trentenaires (Diego Matheuz, Christian Vásquez et, bien sûr, Gustavo Dudamel) qui a pu émerger grâce à cette politique sans précédent et qui, désormais, est invitée par les plus grandes phalanges à travers le monde. Vainqueur en 2012 du concours de jeunes chefs d’orchestre Malko, Rafael Payare a travaillé depuis avec Claudio Abbado, Gustavo Dudamel et Daniel Barenboim. Autant dire qu’il a été entre de bonnes mains, lui qui a récemment pris les rênes de l’Orchestre d’Ulster. Choix donc à la fois logique et quelque peu audacieux de la part des pourtant assez conservateurs Wiener Philharmoniker, qui n’hésitent plus à faire appel à cette nouvelle génération pour les diriger comme, au cours de cette saison, Mikko Franck ou le jeune chef colombien Andrés Orozco-Estrada.
Avouons-le immédiatement: on s’attendait ce soir à un doux ronronnement de la part de l’orchestre, les œuvres au programme étant plus que connues, et l’osmose entre le chef et la légendaire institution n’allant pas forcément d’elle-même. On en sera heureusement pour ses frais, puisque l’impression laissée ce soir par la prestation de Payare à la tête du Philharmonique de Vienne fut assez forte, à défaut d’être pleinement convaincante. Petit homme frêle, presque gringalet pourrait-on dire, lunettes sages et entrant sur scène d’un pas rapide, Rafael Payare possède à la fois la chevelure conquérante de Gustavo Dudamel et la fine gestique de Seiji Ozawa: économe dans sa direction, celle-ci ne souffrant ni d’emphase, ni de tournoiements inutiles ou excessifs, il dompte avec une adresse de premier ordre un orchestre qui en a pourtant impressionné plus d’un. Même si on le sent parfois un brin scolaire dans sa manière de faire, ses arrêts sont nets, les fulgurances bien menées et les contrechants parfaitement valorisés comme ce fut le cas pour un pupitre de violoncelles superlatif, fût-ce parfois au détriment d’une certaine vue d’ensemble.
Ainsi, dès la célèbre Inachevée, le chant des contrebasses et des violoncelles bénéficie d’une très belle tenue, le hautbois de Clemens Horak et la clarinette de Matthias Schorn s’épanouissant dans un fondu de toute beauté. Même si l’on peut regretter un certain manque de tension dans le premier mouvement, la musique nébuleuse que l’on aimerait y trouver bénéficiant au contraire d’une évidence qui occulte une grande part du mystère souhaité, la direction de Payare est efficace. Dans le second mouvement (Andante con moto), le jeune chef laisse davantage de liberté à l’orchestre mais, de façon encore un peu trop appliquée, il ne laisse jamais le Philharmonique s’épanouir véritablement: le résultat n’en demeure pas moins agréable à écouter.
Les Wiener Philharmoniker avaient déjà eu l’occasion de donner la Quatrième symphonie (1877) de Tchaïkovski au Théâtre des Champs-Elysées: c’était le 24 avril 2001, sous la direction de Zubin Mehta. On avait déjà pu saluer la beauté d’un pupitre de cors tout à fait somptueux, les cuivres se taillant la part du lion dès le début du premier mouvement (Andante sostenuto-Moderato con anima). Ce soir, Rafael Payare dirige l’œuvre avec beaucoup de soin et une très grande précision, qui a d’ailleurs provoqué sifflements d’admiration et applaudissements d’une bonne partie de la salle dès la fin du premier mouvement. Ici encore néanmoins, ressenti mitigé: si l’orchestre a parfaitement rendu justice à l’œuvre (encore qu’on a connu pupitre de cors plus rond et plus conquérant), la conception de Payare a parfois manqué de naturel (le tempo très lent précédant la brusque accélération du final), le temps devant sûrement lui permettre de se «lâcher» davantage. Après un deuxième mouvement où la petite harmonie, emmenée par Clemens Horak, s’est de nouveau illustrée, Payare a livré un espiègle troisième mouvement avant un Allegro con fuoco extrêmement brillant, cuivres et percussions se déchaînant sans jamais être assourdissants (en dépité de l’acoustique parfois sèche du théâtre), qui a fait chavirer la salle.
Triomphe viennois donc (conclu par un bref hommage à la famille Strauss donné en bis) mais, surtout, réel triomphe pour Rafael Payare, dont la prestation restera sans nul doute longtemps à l’esprit des spectateurs de cette soirée, la première prestation parisienne du jeune chef – sauf erreur. Pour un concert donné en hommage à Lorin Maazel, qui plus est un an jour pour jour après le décès de Claudio Abbado, on ne pouvait espérer meilleure relève! On signalera enfin que l’orchestre reviendra à Paris les 14 et 15 avril prochains pour donner, toujours au Théâtre des Champs-Elysées, un cycle consacré à Johannes Brahms sous la direction de Christoph Eschenbach.
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne
Sébastien Gauthier
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