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Ouverture à la française à la Philharmonie

Paris
Philharmonie 1
01/19/2015 -  et 16 (Córdoba), 17 (Madrid) janvier, 4 avril (Berlin) 2015
Claude Debussy : Prélude à l’après midi d’un faune
Pierre Boulez : Dérive 2
Maurice Ravel : Rapsodie espagnole – Alborada del gracioso – Pavane pour une infante défunte – Boléro

West-Eastern Divan Orchestra, Daniel Barenboim (direction)


D. Barenboim (© Chris Christodolou)


Une fois terminée la première partie de l’inauguration de la Philharmonie de Paris par les ensembles résidents, la fête continue maintenant avec l’invitation successive d’ensembles internationaux, selon un principe que Laurent Bayle avait fait sien à Pleyel. Ainsi, le premier orchestre non résident invité était le West-Eastern Divan Orchestra et son directeur fondateur Daniel Barenboim, des artistes naturellement à leur place dans un lieu dédié à l’ouverture. De plus, les liens entre Barenboim et la France sont forts, puisqu’il fut le talentueux et innovant directeur de l’Orchestre de Paris de 1975 à 1989. On connaît également les relations privilégiées qui l’unissent à Pierre Boulez, malheureusement absent de ces festivités alors même qu’il a été l’un des téméraires artisans de la construction de cette salle. Mais si Boulez n’était pas physiquement présent, sa musique l’était, Barenboim ayant mis au programme de ce premier concert à la Philharmonie de Paris une de ses œuvres, Dérive 2.


Auparavant Barenboim et son orchestre nous avaient offert un magnifique et très clair Prélude à l’après midi d’un faune qui mettait parfaitement en valeur l’acoustique à la fois précise et lumineuse du lieu. L’orchestre était d’une beauté et d’un raffinement sonore extrême avec notamment des bois – la flûte et le hautbois! – miraculeux, des pizzicati des cordes graves précis, homogènes et d’une incroyable suavité et une belle présence de la harpe. A ce son très pur s’ajoutait également un travail de précision sur la construction des nuances mais aussi des silences, si essentiels dans cette musique, d’un suprême raffinement. En somme, un Faune comme on les aime à la fois sensuel, transparent et élégant.


Enchaîner une des plus belles musiques jamais écrites avec Dérive 2 était un risque que Barenboim assume avec brio devant un public silencieux qui semble à l’écoute. Inspirée par la fréquentation régulière de la musique de Ligeti, cette œuvre est dédiée à Elliott Carter. Elle a connue plusieurs versions successives et la dernière fut créée à Lucerne en 2002 par le compositeur. L’effectif, qui réunit onze instrumentistes, réussit l’exploit de tenir les cinquante minutes que dure cette œuvre sans accroc ni faiblesse. Son titre illustre le propos – l’évolution des formes musicales – mais n’éclaire pas complètement une œuvre hybride, disparate et, il faut bien le dire, inégale. La première partie, aride et démonstrative, confirme l’extraordinaire niveau de ces musiciens, qui, concentrés et attentifs, brillent sous la direction précise et appliquée de Barenboim, même si sa gestique n’a rien à voir avec celle plus sobre et resserrée de Boulez. Il n’empêche, le résultat sonore est magistral. Plusieurs passages ultérieurs touchent davantage, notamment vers la fin de l’œuvre, très rythmique, qui évoque le Stravinsky des Noces – magnifique utilisation du vibraphone et de la harpe – plus que Ligeti. Et l’acoustique, décidément excellente, de cette salle met très bien en valeur la conclusion, presque cosmique, de l’œuvre. Les musiciens de l’Ensemble intercontemporain, ensemble résident de la Philharmonie, disposent désormais incontestablement d’un magnifique outil au service de la musique de notre temps.


Après l’entracte, le programme nous ramenait à la musique française du XXe siècle avec quatre œuvres célèbres entre toutes de Ravel, la Rapsodie espagnole, Alborada del gracioso, la Pavane pour une infante défunte et le Boléro. Dans le frémissant nocturne («Prélude à la nuit») qui débute la Rapsodie espagnole, tout est déjà en place et contient en germe l’esprit de la «Feria» finale. Les cordes commencent par presque couiner avant de chanter, les bois s’entrelacent avec un évident plaisir, les cuivres brillants et précis préparent leurs assauts avant que tout l’orchestre, ici aussi d’une beauté sonore extrême et sans jamais aucune saturation, ne prenne littéralement feu sous la baguette passionnée et fébrile de Barenboim. Un Barenboim manifestement heureux et qui n’hésite pas à marquer certains rythmes du pied, voire d’un étonnant, mais efficace, coup de hanche très ibérique! Même perfection, même souci du détail et des nuances, même lisibilité et passion dans un Alborada del gracioso élégant et racé, donnant notamment la part belle à une jeune bassoniste qui brille lors de plusieurs interventions lyriques et précises à la fois.


Bien entendu, l’ambiance change radicalement avec une Pavane pour une infante défunte elle aussi raffinée, claire et transparente, permettant au jeune corniste, qui attaque avec un magnifique pianissimo, de briller. Seule minime réserve de ce concert, la partie centrale de la Pavane est moins convaincante, sans vraie ligne directrice. Mais tout revient rapidement à son plus haut niveau lors de la reprise du thème initial de nouveau nostalgique et habité. Pour clore ce concert, les musiciens et leur chef offrirent au public, déjà séduit, un Boléro d’anthologie, qui allait le faire succomber. On a déjà vu Barenboim, dans d’autres circonstances, laisser des orchestres jouer cette musique sans lui et il le fait une nouvelle fois ici, toujours avec succès, au moins au début, se contentant d’inflexions de la tête et de quelques indications de début ou fin de phrase. Mais point trop n’en faut et le chef reprend assez vite les choses en mains au fur et à mesure que l’œuvre avance, ce qui donne un Boléro serré, tendu, éclatant et vraiment jubilatoire. Chaque pupitre de ce fabuleux orchestre, qui possède manifestement une culture de l’écoute presque chambriste, se couvre de gloire, les percussionnistes savent attendre la leur avec une patience qui augmente leur impact, et la péroraison, qui inonde la Philharmonie de Paris d’un son presque stratosphérique, conquit définitivement le public qui le fait tout de suite et bruyamment savoir.


L’accueil est triomphal mais comment résister à un tel torrent de musique et de vie? En bis, le West-Eastern Divan Orchestra et Barenboim offrent le brillant arrangement réalisé par José Carli du tango El Firulete de Mariano Mores, qui fait penser à Chostakovitch, et pour le plus grand plaisir d’un public entièrement conquis, y compris de Rolando Villazón, dodelinant de la tête et manifestement ravi.


De la musique sublime, un immense chef, maître de chaque seconde de l’interprétation, un orchestre superlatif engagé et réactif, dans une acoustique superbe, tout cela ressemble décidément à un très grand concert inaugural... Que demander de plus? Tout simplement, d’autres moments de ce niveau artistique et humain.


Le site du West-Eastern Divan Orchestra



Gilles Lesur

 

 

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