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Des crayons et des instruments Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 01/08/2015 - et 9 janvier 2015 Richard Wagner : Lohengrin: Prélude du troisième acte – Tannhäuser: Ouverture et Bacchanale
Johannes Brahms : Concerto pour violon et orchestre, opus 77
Richard Strauss : Don Juan, opus 20 Kolja Blacher (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Pedro Halffter (direction)
P. Halffter (© Unai P. Azaldegui)
Au début du concert le directeur général de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Patrick Minard, demande à la salle de se lever pour observer un minute de recueillement silencieux, le lendemain de l’assassinat de la fine fleur de nos caricaturistes français, élimination froide de personnalités dont les dessins, si vrais, si proches, traduisaient avec tant d’acuité nos sensibilités et nos petits travers collectifs. Et les musiciens de tous se figer pour un long moment, le bras levé, brandissant chacun un gros crayon. Si le moment n’était pas aussi lourd, chargé d’une terrible émotion, on aurait volontiers photographié cet impressionnant groupe d’artistes immobiles, tant cette image est porteuse de sens, crayons et instruments de musique mêlés. Moment hautement symbolique, pour notre culture, pour notre liberté d’expression et de penser, voire pour l’art sous toutes ses formes, symboles si dérisoires et pourtant tellement vitaux pour nous aujourd’hui, si nous ne voulons pas sombrer !
Le vie continue en tout cas, et chacun reprend son rôle. Le public s’assied et écoute, les musiciens se réinstallent et attaquent le Prélude du troisième acte de Lohengrin. Est-ce un déficit d’attention de notre part ou l’expression du profond malaise précédent sous une autre forme : on a l’impression d’une exécution simplement sonore et peu habitée, comme si chacun avait encore la tête ailleurs et ne pouvait accomplir mieux que ce parcours technique, instrumentalement de haut niveau cela dit. Le résultat est un peu pénible : lourd, bruyant, et surtout ont y perçoit comme rarement que le son d’un orchestre est aussi l’expression instantanée et lisible d’une sensibilité collective, ici profondément blessée.
Rétablissement progressif au cours d’un Concerto pour violon de Brahms qui cependant ne restera pas dans les mémoires. Le soliste est de haute volée pourtant, Kolja Blacher, ex-musicien de la Philharmonie de Berlin, collaborateur privilégié de Claudio Abbado pour quelques concertos où se sont rencontrées deux personnalités musicales d’une profonde sensibilité. Mais ici la congruence entre soliste et orchestre peine à se mettre en place, faute peut-être d’une plus grande emprise d’un chef vigilant mais sans projet clairement apparent. On assiste à une simple lecture, d’un concerto qui parfois nous apporte tellement plus. Au début du deuxième mouvement la tension monte heureusement de plusieurs crans, grâce au solo de hautbois de Sébastien Giot, qui élève soudain le débat très haut. Intervention salvatrice qui permet ensuite l’instauration de quelques beaux climats.
Après l’entracte, Don Juan de Richard Strauss permet de se faire une meilleure idée des capacités de Pedro Halffter, né à Madrid en 1971 et dont l’essentiel de la carrière s’effectue dans la péninsule ibérique. Une exécution là encore un peu trop généreuse en décibels mais d’une charpente et d’une précision étonnantes. On retrouve là une générosité d’assise, un art de l’édification du discours par plans sonores superposés qui nous a rappelé à plus d’une reprise, les yeux fermés, les grandes années d’Herbert von Karajan à Berlin. Davantage de finesse et de subtilité ne seraient pas de trop, mais la sécurité technique sans aucun défaut de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en dit long sur son potentiel du moment, même quand son directeur musical Marko Letonja n’est pas là.
Terminaison insolite, sur les derniers accord piano d’une Ouverture et Bacchanale de Tannhäuser donnée ici dans sa version parisienne, avec ses voluptueuses dérives tristanesques sur la fin. Plutôt une ouverture de concert qu’une conclusion, mais qui bénéficie d’une focalisation intéressante du fait de cette position inhabituelle. Là encore une exécution instrumentalement impeccable voire source d’une véritable fascination sonore, Pedro Hallfter semblant gouverner tout cela avec préméditation et discernement. La Marche des pèlerins initiale est amenée sans grand ménagement, on aurait pu y espérer davantage de gradations, mais ensuite la construction et l’art d’introduire les climats sont sans faille. Une très belle seconde partie de concert, pour un public d’abonnés strasbourgeois qui a décidément beaucoup de chance en ce moment.
Laurent Barthel
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