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Pas de deux fusionnel Paris Théâtre de la Ville 12/16/2014 - et 17, 18, 20*, 21, 22, 23, 26, 27, 28, 30, 31 décembre 2014, 2, 3, 4, 5 janvier 2015 Torobaka Créé et interprété par Israel Galván et Akram Khan
Musique arrangée et interprétée par David Azurza, Bobote, Christine Leboutte et B C Manjunath
Michael Hulls (création lumières), Kimie Nakano (costumes), Pedro León (son)
(© Jean-Louis Fernandez)
Il est des spectacles dont on ressort grandi. C’est le cas de Torobaka, créé en juin 2014 à la MC2 de Grenoble et parti pour une tournée mondiale, né de la rencontre de deux grands de la danse contemporaine, Akram Khan et Israel Galván, l’un d’origine bangladaise et élevé dans l’art indien spirituel du kathak, l’autre andalou et spécialiste du flamenco, un flamenco passionnel, complètement déconstruit qu’il a reculé jusqu’à des limites inhumaines.
Difficile de raconter cette fusion quasi rituelle entre deux univers aussi étranges qu’opposés mais ayant curieusement des affinités rythmiques et gestuelles compatibles. Avec quatre musiciens aussi dissemblables que doués et un éclairagiste de génie, les deux compères se sont donnés comme arène un cercle de lumière. Le plan de Torobaka (quelque chose comme «taureau-vache») est clair: un duo d’entrée frénétique, puis chacun son solo, puis un «pas de deux» final calqué sur celui du ballet classique: ensemble, puis chacun à son tour et ensemble pour un dernier bouquet final. Entre temps les quatre compères musiciens (deux chanteurs, un palmiste et un joueur de tabla) seront venus donner un aperçu non conventionnel de leur talent individuel à l’avant de la scène.
Cet échange de cheveux aura donné à la danse de chacun un peu du savoir de l’autre mais ce qui est le plus fascinant n’est pas comment l’un aura intégré la culture de l’autre mais ce qu’au point de fusion extrême naîtra l’exultation de ces apports enrichissants. On se prend à se dire que l’un va sortir vainqueur de la rencontre et à le croire par instants tant l’énergie est violente, quasi guerroyante et la rivalité dans la virtuosité vertigineuse. Il faut bien admettre à la fin de cette grande heure de danse pure dont l’humour n’est pas exclu et sans concession à quoi que soit d’autre que la beauté du geste, la pureté du rythme et le don de soi, que l’on a assisté à une rencontre unique, que rien ne viendra renouveler ce miracle ni même l’approcher. Le rôle des musiciens est immense, quasiment celui d’un éperon, car la danse de ces deux monstres se nourrit de leur sève jusqu’à l’ivresse, quelle soit indienne, espagnole ou mélangée comme deux sangs bouillonnants.
Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas vu un spectacle de danse pure aussi original et passionnant au Théâtre de la Ville et un public aussi sincèrement enthousiaste. Nous voilà rassuré à la fois sur les possibilités de renouvellement de cette scène qui ronronne parfois trop dans son panier d’habitués, et sur l’avenir de la danse contemporaine.
Olivier Brunel
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