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Bostridge et la quintessence de Britten Madrid Teatro Real 12/18/2014 - Benjamin Britten: Canticle I «My Beloved is Mine», opus 40 – Canticle II «Abraham and Isaac», opus 51 – Canticle III «Still falls the Rain - The raids, 1940, Night and Dawn», opus 55 – Canticle IV «Journey of the Magi», opus 86 – Canticle V «The Death of Saint Narcissus», opus 89 – Nocturne, opus 60 Ian Bostridge (ténor), Anthony Roth Costanzo (contre-ténor), Duncan Rock (baryton)
Fernando Puig (cor), Mickaèle Granados (harpe), Julius Drake (piano)
Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Alejo Pérez (direction)
I. Bostridge (© Javier del Real)
Deux journées britténiennes de suite: Mort à Venise et ce concert vocal, une séquence à la fois très délicate et extrêmement puissante.
Les cinq Cantiques sont des pièces vocales d’un dramatisme, d’une théâtralité parsemée tout au long d’une vie, cinq chants ambitieux inspirés respectivement par la Bible, un des old mistery plays, un poème de Sitwell et deux poèmes de T. S. Eliot. Ces pièces ont été écrites entre 1947 et 1974, depuis le compositeur d’un seul opéra jusqu’à celui qui prépare, semble-t-il, son propre voyage final avec le voyage vers le sud de Gustav von Aschenbach. De son côté, le long Nocturne comprend des poèmes de Shelley, Keats, Tennyson, Coleridge, Wordsworth, mais aussi Middleton, Shakespeare et le regretté Owen, présent dans l’ordinaire du War Requiem. Deux suites, pour ainsi dire, où l’on peut trouver le Britten le plus profond et suggestif, le moins affirmatif, celui qui fuit des effets frappants. Mais aussi celui qui connaît et explore des secrets de l’expression lyrico-dramatique.
Ian Bostridge aura cinquante ans cette semaine, le jour même de Noël. On ne le dirait pas, avec son visage d’«éternel adolescent», comme le répètent à l’envi les journalistes musicaux. On ne le dirait pas, avec sa voix délicate, suggestive, d’une expressivité nuancée par un lyrisme ennemi des affirmations trop vigoureuses.
Les Cantiques offrent une heure riche d’une expression forte mais délicate dans leur succession, où l’on trouve même une façon de road movie avec les Rois mages. Le Nocturne est une sorte de leçon d’art poétique britannique, toutes les humeurs à l’exception des extrêmes, un précis de la poétique de Britten lui-même. Bostridge est le capitaine du voyage des Cantiques, avec le soutien du formidable pianiste Julius Drake, mais aussi avec le corniste Fernando Puig et la harpiste Mickaèle Granados. Et les voix contrastantes du contre-ténor Anthony Roth Costanzo et du baryton Duncan Rock, tous deux présents à l’affiche de Mort à Venise. Le Nocturne, en seconde partie du concert, nous montre Bostridge seul face à un ensemble de vingt-quatre instruments dirigé par le formidable maestro argentin Alejo Pérez, aussi dans la fosse de l’opéra, un de ces jeunes chefs au bel avenir.
La coïncidence heureuse de ce concert et de l’opéra n’est pas tout à fait une coïncidence, à vrai dire, mais il n’en s’agit pas moins d’une heureuse rencontre. Bostridge, le capitaine du concert, saisit cette opportunité et, quelques jours avant Noël, le Teatro Real s’habille avec les costumes dessinés par Britten pour les voix, l’expression, le drame vocal. Bostridge et son équipe ont eu un succès incontestable, mais aussi inattendu, s’agissant d’un répertoire considéré comme «difficile». Un beau succès pour Bostridge et les musiciens qui l’ont accompagné dans cette aventure britténienne.
Santiago Martín Bermúdez
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