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Broadway sur Seine Paris Théâtre du Châtelet 11/22/2014 - et 23, 28, 29, 30 novembre, 3, 4, 5, 6, 7, 9*, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 26, 27, 28, 30, 31 décembre 2014, 1er, 2, 3, 4 janvier 2015 George Gershwin: Un Américain à Paris (supervision, adaptation et arrangements musicaux de Rob Fisher, orchestrations de Christopher Austin) (création) Robert Fairchild (Jerry Mulligan), Leanne Cope (Lise), Veanne Cox (Madame Baurel), Jill Paice (Milo Davenport), Brandon Uranowitz (Adam Hochberg), Max von Essen (Henri Baurel)
Ensemble instrumental du Châtelet, Brad Haak (direction musicale)
Christopher Wheeldon (mise en scène et chorégraphie), Bob Crowley (décors et costumes), Natasha Katz (lumières), Jon Weston (son), 59 Productions (animation et projection)
R. Fairchild, L. Cope (© Angela Sterling)
Hormis pour la comédie musicale Un Américain à Paris, les théâtres parisiens ne font pas en cette fin année preuve d’une grande originalité. La véritable nouveauté et spectacle le plus recommandable pour les fêtes de fin d’année est bien la création mondiale d’un musical au Théâtre du Châtelet.
Curieux destin que cet Américain à Paris qui, au départ une partition symphonique composée en 1928 par George Gershwin fasciné par notre capitale, inspira en 1951 à Vincente Minnelli un film à six Oscars avec Gene Kelly, Leslie Caron et Georges Guétary. Coproduit avec Broadway – Paris devrait mesurer sa chance! –, ce magnifique spectacle mis en scène par le chorégraphe britannique Christopher Wheeldon en jette plein les yeux avec une distribution entièrement américaine et étincelante de chanteurs, danseurs, comédiens et des décors somptueux qui, grâce à de très ingénieux changements à vue menés par un système de parois et paravents déplacés par des figurants danseurs intégrés à l’action et grâce à des projections, permettent à l’action d’avancer. Certains tableaux sont esthétiquement grandioses, comme le ballet qui clôt la première partie, réglé sur la Seconde Rhapsodie pour piano et orchestre ou, malgré le cliché et exercice oblige, la grande scène dans un cabaret parisien, et bien sûr le morceau de résistance qu’est le «Dream Ballet», dont la chorégraphie audacieuse de Wheeldon, clin d’œil à Diaghilev sur la musique d’Un Américain à Paris, se pare d’une éblouissante originalité de costumes et de couleurs.
La perfection de la distribution est l’autre grande vertu de ce spectacle. Avoir pour tenir les deux rôles principaux un premier danseur du New York City Ballet (Robert Fairchild) et une danseuse du Royal Ballet de Londres (Leane Cope), tous deux étant aussi de bons acteurs et chanteurs, et avec Jill Paice une gloire de Broadway et du West End (Milo Davenport), est un luxe absolu! Tous les autres acteurs chanteurs, et particulièrement les deux autres soupirants de Lise – Brandon Uranowitz (Adam Hochberg) et Max von Essen (Henri Baurel), tous deux acteurs de théâtre américain aux talents polyvalents – méritent des louanges.
Quant à sa réalisation, le musical, s’il suit le schéma directeur du film de Minnelli, il s’en échappe judicieusement en situant l’action dans l’immédiat après-guerre français, cette transposition ayant l’énorme avantage de donner plus de sens à l’action et plus de relief à tous les personnages. On retrouve les chansons du film, tous les tubes de Gershwin («S’Wonderful», «I got Rhythm», «The Man I love»...) agrémentés d’additions comme «They can’t take that away from me» et d’arrangements inédits des partitions mythiques que sont le Concerto en fa et la Seconde Rhapsodie. Si le découpage est excellent, il n’évite pas ça et là quelques ruptures de rythme qui auraient pu être évitées en réduisant au strict minimum les parties purement dialoguées. Ne voulant pas singer le film, les adaptateurs ont transformé la danse de claquettes qui en faisait la grande spécificité par une chorégraphie pure. Le «Dream Ballet» qui est l’essence de la pièce paraît cependant, avec ses quinze minutes, un peu longuet, venant à la fin d’un spectacle qui dure trois heures en tout.
Alors que pour défendre les comédies musicales de Sondheim et d’autres qui ont fait le succès des précédentes saisons du Châtelet, on avait fait appel à de véritables orchestres, l’ensemble instrumental réuni ici, un orchestre de chambre d’une vingtaine de musiciens, beaucoup plus proche de la réalité américaine, aussi bien conduit qu’il l’est par un spécialiste comme Brad Haak, semble parfois un peu maigrelet dans un théâtre de cette dimension. Ce ne sont là que de minimes réserves en regard de la qualité d’un spectacle qui va illuminer la capitale en cette fin d’année et à qui l’on souhaite qu’il plaise autant l’an prochain au public de Broadway avec qui il est coproduit pour un cout de 13 millions de dollars. En mars suivra Singin’ in the Rain, autre monument mythique de Gene Kelly, autre spectacle inspiré d’un film de la MGM inoubliable depuis sa sortie en 1952.
Olivier Brunel
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