About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L’orchestre de nulle part

Baden-Baden
Festspielhaus
11/27/2014 -  et 30 novembre 2014 (Genève)
Vincenzo Bellini : I Capuleti e i Montecchi
Elina Garanca (Romeo), Ekaterina Siurina (Giulietta), Mathias Hausmann (Capellio), Yosep Kang (Tebaldo), Nahuel di Pierro (Lorenzo)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern, Karel Mark Chichon (direction)


E. Garanca, E. Siurina (© Björn Pados)


L’Orchestre de la Radio de Sarrebruck a connu de prestigieux moments au cours de son histoire. Pendant les années 1971 à 1984, il fut dirigé par Hans Zender, l’un des chefs allemands les plus intéressants de sa génération, période documentée par une passionnante série d’archives radiophoniques, éditées naguère chez CPO. Myung-Whun Chung, Marcello Viotti et Günther Herbig y ont passé successivement des mandats où ils ont laissé eux aussi de beaux souvenirs, à la tête de cette phalange sinon prestigieuse du moins toujours d’un haut niveau d’exigence, avec laquelle le chef polonais Stanislaw Skrowaczewski a aussi enregistré à la même époque une intégrale des Symphonies de Bruckner considérée encore aujourd’hui comme de référence (Oehms, voir ici).


Et puis a été décrétée la «fusion» de cet orchestre avec celui, pas très éloigné, de Kaiserslautern, spécialisé dans un genre léger (classiques populaires, jazz, musiques d’opérettes et de films...). Une formation modeste mais qui avait permis en son temps au Südwestfunk d’engranger une quantité considérable d’archives (près de 18000 titres !), dirigées quasiment toutes par l’indéboulonnable Emmerich Smola. Il y avait beaucoup de musiciens à Sarrebruck, un peu moins à Kaiserslautern et la radio qui les employait a finalement décidé de les rassembler tous, association officialisée en 2007, au sein d’une formation itinérante de grand format : la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern. Une «fusion» plus qu’improbable quand on y songe rétrospectivement, entre des musiciens d’une culture différente, et un orchestre auquel successivement Christoph Poppen puis Karel Mark Chichon ont eu la charge de conférer une nouvelle identité. Pour quel résultat, après sept années d’existence ? On n’en avait encore guère d’idée, si ce n’est par quelques disques publiés ici ou là, et à vrai dire pas du tout passionnants.


Sur la scène du Festspielhaus de Baden-Baden, pour ces Capulets e Montaigus de Bellini en version de concert, l'impression d’insignifiance se confirme : la Deutsche Radio Philharmonie ne possède aucune sonorité définissable. Au bout de quelques numéros, ce mastic amorphe devient même tellement perturbant que l’on tente de se déplacer à un autre endroit de la salle, mais sans résultat : le son reste touffu, à tel point opaque qu’il est difficile de discerner de quels instruments il provient. Derrière un écran de cordes redoutablement compactes, on identifie un bon clarinettiste et un bon corniste solo (et encore, ce dernier, uniquement parce que Bellini lui accorde un passage à découvert au début d’un air), mais tout le reste est englué. Aucune défaillance instrumentale, et pourtant rien ne sonne. En sept années de travail commun, ces musiciens issus de deux orchestres dûment «fusionnés» n’ont-ils rien pu obtenir de plus intéressant que cette médiocrité effarante de machine à remplir du cahier des charges radiophonique ? Est-ce vraiment dans ce creuset lourdingue que l’on a fait disparaître l’Orchestre de la Radio de Sarrebruck ?


Voilà qui donne à réfléchir quand on se rappelle que la prochaine «fusion» programmée par la radio SWR concerne l’Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden et Fribourg, dont les musiciens doivent être absorbés dès 2016 par une formation géante où ils seront mélangés avec ceux de l’Orchestre du SWR de Stuttgart. Si c’est pour engendrer le même genre de monstre hydrocéphale, le pire est à redouter !


Difficile de juger de la direction de Karel Mark Chichon, dont Bellini ne paraît de toute façon pas la spécialité. Les nuances existent mais paraissent programmées et ostensibles, ne sont jamais musicalement ressenties. L’art de hiérarchiser les plans, d’assouplir les lignes, de respirer ensemble, bref tout ce qui peut rendre Bellini passionnant sous les baguettes d’un Riccardo Muti ou même d’autres chefs moins prestigieux mais familiers de ce répertoire, paraît cruellement absent. Ne faut-il incriminer que cette direction à l’emporte-pièce ou aussi le manque de personnalité de l'orchestre ? En tout cas, ce n’est pas au cours de cette version de concert que l’on peut se faire une idée du charme et de l’exquise sensibilité de ces délicats Capulets et Montaigus, accablés sous les coups de grosse caisse, les cymbales proéminentes et les tutti au bulldozer.


C’est d’autant plus dommage que la soirée ne manque pas de grandes voix. Elina Garanca, mezzo-soprano au timbre opulent, fonctionne comme pôle d’attraction majeur sur l’affiche et justifie effectivement à elle seule le déplacement. Même en version de concert, l’actrice parvient à s’imposer avec beaucoup d’allure, manteau noir court brodé d’or, cheveux blonds ramenés en arrière et serrés, assumant le travesti de Romeo avec une remarquable crédibilité. La voix semble différente, plus dense et sombre qu’à l’accoutumée, ce qui convient au rôle mais révèle aussi une certaine évolution, comme si un évident gain de puissance s’effectuait à présent au détriment de la vibration intime de l’instrument. Moins émouvante peut-être que naguère, Elina Garanca, avec à terme la nécessité de passer à des répertoires d’un impact moins subtil, mais actuellement, juste à la lisière entre deux mondes, ce chant riche en harmoniques reste remarquablement luxueux.


En Juliette, on attendait Aleksandra Kurzak (compagne de Roberto Alagna à la ville) et on a vu finalement arriver Ekaterina Siurina (Madame Charles Castronovo !), délicieuse Juliette au chant éthéré, sur le souffle, jamais maniéré. La voix est idéale pour le rôle et sait nous toucher intensément, avec des moyens expressifs qui cependant restent simples et directs. Du bel canto au sens le plus juste du terme, sans afféterie ni artifice. Du côté masculin, dans des rôles plus épisodiques, on ne démérite pas, même si le Tebaldo très franc mais un peu anguleux de Yosep Kang a encore quelques progrès à accomplir en matière de flexibilité. Bonne prestation aussi des voix masculines du Chœur du Grand Théâtre de Genève, encore qu’un peu trop nombreuses et ayant tendance parfois à chanter très fort.


Somme toute un soirée illuminée par deux chanteuses bourrées de talent, mais certainement pas un bon service rendu à Bellini, faute d’un accompagnement orchestral plus compétent.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com