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Pour les annales Paris Salle Pleyel 12/03/2014 - et 4* décembre 2014 Felix Mendelssohn : Ruy Blas (Ouverture), opus 95
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Serge Rachmaninov : Symphonie n° 1, opus 13 Martha Argerich (piano)
Orchestre de Paris, Riccardo Chailly (direction)
M. Argerich
Mémorable concert. L’affiche ? Certes. Mais Martha Argerich et Riccardo Chailly sont surtout de merveilleux musiciens, d’immenses artistes. On est bien au-delà de l’affiche pour cet avant-dernier concert de l’Orchestre de Paris à Pleyel.
L’Ouverture de Ruy Blas s’impose d’emblée par le mélange de passion, d’élan dramatique et de clarté des lignes et de la forme, avec un orchestre galvanisé. Ouverture en trombe, avant un superbe Concerto de Schumann, une des partitions avec laquelle la pianiste argentine s’identifie le plus volontiers, pleine de fougue et d’invention dans l’Allegro affettuoso, de légèreté rêveuse dans l’Intermezzo, où la lionne sait se faire elfe, de jubilation dansante dans l’Allegro vivace final. Le Concerto reste aussi dans la mémoire parce qu’on y sent une communion entre le piano et l’orchestre, que chef et soliste entretiennent depuis longtemps une complicité – indispensable pour une œuvre aussi symphonique que concertante. En bis, «Traumes Wirren» (des Fantasiestücke opus 12), ébouriffé, fantasque, inimitable.
La Première Symphonie de Rachmaninov, dont l’échec conduisit le compositeur de 23 ans à détruire sa partition et ne plus composer pendant quelque temps, prend ensuite une dimension inhabituelle, tant la direction y met de folie. Sur cette folie, elle jette en même temps une lumière très latine, la même que dans Mendelssohn, très loin des brumes d’une certaine mélancolie slave – Chailly, plutôt que l’inspiration russe, privilégie le rattachement à la grande tradition occidentale. Cette folie est aussi mise en scène, comme s’il s’agissait d’une Symphonie fantastique – et mise en forme, à travers la maîtrise impressionnante d’une structure parfois problématique, que le chef réussit à unifier, notamment grâce à la science des enchaînements.
L’art de sublimer la cyclothymie dans la rigueur structurelle apparaît dès le Grave-Allegro, où l’orchestre, fouetté à blanc, se montre très virtuose. Des ombres errantes traversent l’Allegro animato, proche ici d’une Nachtmusik mahlérienne – la partition semble parfois annoncer la Septième Symphonie du compositeur autrichien. Pas de lyrisme dégoulinant dans le Larghetto, où la limpidité de la pâte canalise l’effusion. L’Allegro con fuoco final, à la fois chevauchée fantastique et bacchanale démoniaque, a des airs d’apocalypse – un vrai Songe d’une nuit du sabbat : vision hallucinée, qui vous terrasse et vous laisse sans voix.
Un concert qui restera dans les annales.
Didier van Moere
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