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Seuls au monde München Nationaltheater 11/15/2014 - et 19, 24, 27, 30* novembre, 4, 7 décembre 2014, 28, 31 juillet 2015 Giacomo Puccini : Manon Lescaut Kristine Opolais (Manon Lescaut), Markus Eiche (Lescaut), Jonas Kaufmann (Il Cavaliere Renato Des Grieux), Roland Bracht (Geronte di Ravoir), Dean Power (Edmondo), Christian Rieger (L’Oste), Ulrich Reß (Il Maestro di ballo), Okka von der Damerau (Un Musico), Christoph Stephinger (Un Sergente), Alexander Kaimbacher (Un Lampionaio), Evgenij Kachurovsky (Un Comandante)
Chor der Bayerischen Staatsoper, Sören Eckhoff (préparation), Bayerisches Staatsorchester, Alain Altinoglu (direction musicale)
Hans Neuenfels (mise en scène), Stefan Mayer (décors), Andrea Schmidt-Futterer (costumes), Stefan Bolliger (lumières)
(© W. Hösl)
Le petit monde de l’opéra a bruissé de rumeurs lorsque la soprano Anna Netrebko a décidé, quinze jours avant la première, de quitter la production de Manon Lescaut à Munich dont elle devait être l’héroïne, pour cause de différend avec le metteur en scène, Hans Neuenfels, l’enfant terrible du théâtre allemand. Allait-on assister à un spectacle trash ou particulièrement provocateur et choquant ? Même pas ! L’intrigue se déroule dans des décors sobres, dominés par le noir et le blanc, éclairés au néon, une ambiance clinique et froide qui n’est pas sans rappeler le Lohengrin de Bayreuth signé du même Neuenfels, avec des figurants en rats qui avaient fait beaucoup jaser à l’époque. Avec l’âge, le metteur en scène semble s’assagir et se répéter : il nous propose ici une nouvelle expérimentation, une analyse des sentiments amoureux. Pour lui, l’histoire d’amour imaginée par l’abbé Prévost est aussi une histoire d’argent, qu’il voit comme un conte cynique et moralisateur, avec une distanciation ironique. Les choristes et les figurants ont droit à un traitement particulier : ils sont vêtus d’une combinaison grise rembourrée - qui leur donne des airs de bonshommes Michelin - et de perruques orange. Au troisième acte, les filles qui embarquent avec Manon pour l’Amérique ont le visage caché sous une cagoule. La masse est ainsi anonyme, uniforme et grise ; elle n’ose pas aller jusqu’au bout de ses passions. Seul l’amour transforme les êtres humains en individus. Tout se concentre alors autour des deux protagonistes, qui semblent comme seuls au monde, et là il faut reconnaître qu’Hans Neuenfels a réussi des scènes magnifiques. On pense notamment à la première rencontre entre Manon et Des Grieux, où le chevalier, adolescent follement amoureux, tombe instantanément sous le charme, allant jusqu’à se tortiller puis à se rouler par terre. Le dernier acte est, lui aussi, une merveille, d’une forte intensité : sur un plateau totalement vide, les deux héros s’avancent lentement, l’un derrière l’autre, pieds nus, ne se touchant pratiquement pas. En résumé, si les scènes de foule peuvent déconcerter ou faire sourire par leur aspect comique, voire grotesque, la direction d’acteurs est admirable dans le traitement de la relation entre les deux amoureux.
Musicalement, la soirée est portée par Jonas Kaufmann et par Alain Altinoglu. Le ténor allemand est ici au sommet de son art. Sa voix virile et sombre est idéale pour le personnage de Des Grieux. On admire, une fois de plus, à la fois son engagement scénique et sa performance vocale, avec une palette de couleurs et de nuances qui semble infinie, des « pianissimi » de la douceur aux accents impérieux de l’urgence et de la passion. Sa partenaire, Kristine Opolais, ne se situe pas tout à fait au même niveau : la voix est petite, le vibrato évident et la ligne de chant n’est pas vraiment stable, avec des changements de registre gênants, mais l’identification au personnage est telle qu’on en oublie tout le reste. Et surtout, elle forme avec Jonas Kaufmann un couple d’amoureux incandescent et s’harmonisant parfaitement. Parmi les rôles secondaires, il convient de saluer la prestation de Markus Eiche en Lescaut au beau timbre chaud. Le chœur offre, lui aussi, une excellente performance. La réussite du spectacle doit aussi beaucoup à l’orchestre de la Bayerische Staatsoper, en forme superlative. Le chef Alain Altinoglu propose une lecture électrisante de la partition de Puccini, alternant élans dramatiques, passion, émotion et douceur, avec un souci évident des détails et sans jamais tomber dans la lourdeur ni le pathos. Une prestation absolument remarquable qui devrait accélérer la carrière de ce jeune chef prometteur. Au final, la soirée aura tenu (presque) toutes ses promesses !
Claudio Poloni
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