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Le Paris chantant de Sofi Jeannin : pari gagnant ! Paris Maison de la radio (Auditorium) 11/16/2014 - Benjamin Britten : Noye’s Fludde, opus 59 Benedict Nelson (Noye), Tamsin Dalley (Mrs. Noye), Robert Gleadow (The Voice of God)
Chœur amateur, Chœur Mediavoce, Maria Faure (direction), Maîtrise de Radio France, Musiciens de l’Orchestre national de France, Orchestre d’élèves des conservatoires, Sofi Jeannin (direction)
S. Jeannin (© Christophe Abramowitz)
La Maîtrise de Radio France est la quatrième formation musicale permanente de Radio France à avoir participé à l’inauguration ce week-end de l’Auditorium de la Maison de la radio (voir par ailleurs ici). La Franco-suédoise Sofi Jeannin (née en 1976), talentueuse directrice de cet ensemble depuis 2008, a souhaité pour cette circonstance exceptionnelle programmer une œuvre rare et atypique: Noye’s Fludde de Benjamin Britten. Composée en 1957, cette Arche de Noé requiert la participation de musiciens et de chanteurs amateurs. Sofi Jeannin trouvait donc avec cette œuvre une belle façon non seulement de montrer au plus grand nombre son travail à la Maîtrise de Radio France, mais aussi de rappeler l’importance de la pratique chorale amateur, encore souvent considérée avec trop de condescendance dans notre pays.
L’œuvre utilise notamment trois célèbres hymnes anglicans destinés à être chantés par la congrégation. Et ce soir-là la congrégation était vaste puisque constituée de quelques chanteurs amateurs préparés repartis dans le public qui, lui aussi, était invité à chanter. Avant le début du concert à proprement parler, Sofi Jeannin a donc fait répéter avec un efficace et sympathique mélange d’autorité et d’empathie ces trois moments collectifs de l’œuvre qui seront chantés tous ensemble quelques minutes plus tard. Et, ô miracle, le public parisien présent chante, et en plus pas mal du tout. Le concert proprement dit peut donc ensuite débuter.
Les trois solistes, tous anglophones, ont manifestement l’expérience et le métier qui convient aux trois rôles, celui de Dieu logiquement placé en hauteur dans l’auditorium est essentiellement parlé, alors que celui de Noé, à la belle présence, et celui de Madame Noé, rétive à la perspective du départ dans l’Arche, offrent tous deux un chant très convaincant. Toutefois, si la maîtrise du texte et de l’esprit de l’œuvre est évidente pour ces interprètes, il est plus difficile de se prononcer sur le timbre et la musicalité. En effet, l’option retenue pour ce concert était de sonoriser les solistes adultes et enfants. Mais ce qui était sans doute compréhensible pour les enfants solistes était au minimum surprenant, voire discutable, pour des chanteurs adultes professionnels surtout lors de l’inauguration d’une salle dont l’acoustique paraît précise et transparente, au moins en ce qui concerne les instrumentistes qui eux n’étaient pas sonorisés.
Toute la Maîtrise de Radio France, qui, on le sait, travaille sur deux sites, Paris et Bondy, était naturellement réunie pour l’occasion et peut-être est-ce pour cette raison que l’homogénéité vocale n’est pas apparue comme constante. Il n’empêche, la musicalité, l’engagement et l’énergie de ces jeunes chanteurs, pour l’occasion déguisés en animaux de toutes sortes, comme celles des jeunes solistes étaient bien au rendez-vous. Et l’ensemble des musiciens présents, constitué lui aussi d’un mélange de musiciens professionnels et amateurs, s’est montré d’une grande disponibilité et d’une belle réactivité, y compris lors des quelques légers décalages inhérents à ce genre de concert, rapidement corrigés par la baguette énergique et précise de Sofi Jeannin. Le timbalier et les nombreux autres percussionnistes comme les cuivres se sont montrés particulièrement précis et investis.
Seule remarque négative mineure: on s’étonne que l’ensemble du public n’ait pas pu disposer du programme où figurait naturellement le texte en anglais alors même que Sofi Jeannin a plusieurs fois fait référence à ce livret. Il ne devait tout de même pas être bien compliqué de disposer un programme sur chaque siège de l’auditorium. De même, un surtitrage aurait sans doute aidé à motiver plus encore le public. Sans doute la finition trop récente des travaux (il suffisait pour s’en rendre compte de circuler aux abords de la salle...) a-t-elle rendu impossible l’installation d’un tel équipement.
Il n’empêche, ce concert hors normes fut une véritable fête musicale et cette Arche de Noé, œuvre inclassable s’il en fut, a trouvé ici des interprètes de talent et convaincus, faisant de cette soirée un événement en France. A un moment où le public des salles de concert vieillit, il est urgent d’encourager de nouvelles formes de concert. On espère que ce concert fera école et qu’il y aura, comme cela est régulièrement le cas dans les pays qui nous entourent, d’autres manifestations permettant aux musiciens ou chanteurs amateurs de se joindre à des professionnels pour une plus grande diffusion de la musique qui a besoin de la passion des amateurs. Pour celles et ceux que ce type d’expérience tenterait, rendez-vous le 21 juin 2015 à la Philharmonie de Paris pour une Neuvième Symphonie de Beethoven donnée par l’Orchestre de Paris et qui sera ouverte aux chanteurs amateurs d’Ile-de-France.
Gilles Lesur
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