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La vitalité de l’authentique

Avignon
Opéra-Théâtre
10/04/2014 -  et 2, 3 (Lyon), 5 (Avignon) octobre 2014
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour clarinette en la majeur, K. 622 – Requiem en ré mineur, K. 626
Benjamin Dieltjens (clarinette de basset), Joëlle Harvey (soprano), Sophia Patsi (alto), Valerio Contaldo (ténor), Josef Wagner (basse)
Chœur de Chambre de Namur, New Century Baroque, Leonardo García Alarcón (direction)


L. García Alarcón (© CCR Ambronay/Bertrand Pichene)


Le festival d’Ambronay, qui célèbre cette année son trente-cinquième anniversaire, a accouché de maintes redécouvertes et relectures, gravées le plus souvent dans le marbre discographique. Les œuvres les plus fameuses du répertoire n’y échappent pas, à l’instar du programme réunissant deux des pages ultimes de Mozart, considérées comme testamentaires, le Concerto pour clarinette et le Requiem, que Leonardo García Alarcón avait présentées il y a deux ans dans la plus remarquable abbatiale de l’Ain. Si un enregistrement en a conservé la trace dans la foulée, sa vision de ces deux œuvres a sensiblement évolué, sinon mûri, ainsi qu’en témoigne ce concert à l’Opéra d’Avignon.


Joué à la clarinette de basset, le K. 622 se pare de couleurs plus boisées et intimes, qui éclairent avec une acuité originale les ressacs mélancoliques de la partition. Les graves gagnent en chair et en rondeur, et se fondent à l’ensemble du registre avec une fluidité et une délicatesse accrues, pour ne pas parler d’évidence. Benjamin Dieltjens fait vibrer les contrastes de l’Allegro initial, qui se voile d’inquiétudes furtives et fragiles au gré de modulations sensibles, jouant de la surprise voire d’un fébrile sens du drame. Leonardo García Alarcón sait instinctivement qu’une telle écriture concertante constitue un écrin presque lyrique où l’accompagnement ne doit jamais prendre le dessus: elle fonctionne comme les grands airs où l’âme du personnage se met à nu, à l’instar du contemporain «Non più di fior» de Vitellia – il n’est d’ailleurs pas anodin de noter qu’il requiert le même instrument soliste. On retrouve évidemment la beauté et la tendresse élégiaques de l’Andante, tandis que le Rondo retentit avec une virtuosité dénuée de superficialité: la plus innocence légèreté y est ici le signe indicible de la plus touchante profondeur.


Sans doute portée par la destination et la disposition des lieux, une telle théâtralité se retrouve dans le K. 626. A rebours de traditions trop établies pour être honnêtes avec les intentions et l’horizon esthétique du compositeur, le chef argentin a resserré l’opus au fruit de la main de Mozart, sacrifiant ainsi Sanctus, Benedictus et Agnus Dei, entièrement dus à l’élève Süssmayer, afin de revenir à l’imagination liturgique initiale. D’emblée, on privilégie l’allant à la pesanteur. La foi s’incarne dans l’urgence du drame, tandis que l’approfondissement de l’aspect rhétorique s’entend clairement dans le cisèlement des motifs et des ostinatos. Le mouvement inaugural fait chanter le passage d’un pupitre à l’autre d’une manière souple. L’intensité de l’expression ne tarde pas cependant, et du Kyrie au Dies irae, les climax s’enchaînent à mesure d’une ivresse polyphonique croissante. Le dessin évocateur ne manque pas, à l’image des traits de trompette lancés comme les flèches de la colère divine. Dans le Tuba mirum, le frémissement, sinon l’impatience, se fait perceptible à partir de l’entrée du ténor – Valerio Contaldo se montre ici tout à fait dans le ton – après l’apparence de sérénité de la basse – excellent Josef Wagner. Sophia Patsi se contente des attendus de l’alto, quand Joëlle Harvey offre un soprano lumineux et aérien – la voix de l’élévation spirituelle. Le Rex tremendae affirme une puissante nervosité à l’effet dramatique assuré qui contraste avec un Recordare apaisé.


Le Confutatis souligne avec force la confrontation entre verticalité harmonique du chœur masculin et réponse diaphane de son alter ego féminin, avant un Lacrymosa économe et éthéré, qui s’achève par une fugue sur l’Amen, réalisée par Richard Maunder à partir de deux sujets autographes de Mozart retrouvés à la Staatsbibliothek de Berlin en 1960, bel avatar contrapuntique qui témoigne de l’admiration de l’enfant de Salzbourg pour Johann Sebastian Bach. La vivacité des tempi ne cède jamais à la précipitation: l’Offertorium et le Lux aeterna conclusif en donnent un saisissant exemple, où retentit une dernière fois la ferveur du Chœur de Chambre de Namur, lequel répond, comme le New Century Baroque, au geste ample et dynamique de Leonardo García Alarcón. Indéniablement, ce dernier, qui a dédié le concert, ainsi que ceux donnés à Lyon les deux jours précédents, à la mémoire de Frans Brüggen et Christopher Hogwood récemment disparus, a intégré l’héritage de ses nombreux prédécesseurs. Quant elle se conjugue à semblable inventivité sinon créativité, la rigueur musicologique ne peut qu’être irrépressiblement vivante.



Gilles Charlassier

 

 

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