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L’alchimie musicale Lille Opéra 09/30/2014 - et 2, 3 octobre 2014 Toshio Hosokawa : Matsukaze Barbara Hannigan (Matsukaze), Charlotte Hellekant (Murasame), Frode Olsen (Le Moine), Kai-Uwe Fahnert (Le Pêcheur), Sasha Waltz & Guests : Jirí Bartovanec, Davide Camplani, Juan Cruz Diaz de Garaio Esnaola, Delphine Gaborit, Hwanhee Hwang, Florence Lamarca, Sergiu Matis, Sasa Queliz, Zaratiana Randrianantenaina, Orlando Rodriguez, Mata Sakka, Xuan Shi, Junko Wada, Niannan Zhou (danseurs)
Vocalconsort Berlin, Ensemble Musikfabrik, David Robert Coleman (direction musicale)
Sasha Waltz (mise en scène et chorégraphie), Pia Maier Schriever, Chiharu Shiota (décors), Christine Birkle (costumes), Martin Hauk (lumières), Ilka Seifert (dramaturgie)
(© Bernd Uhlig)
Compositeur associé à la saison 2014-2015 de Muzemuse, réseau transfrontalier associant l’Opéra de Lille au Concertgebouw de Bruges, le festival de Flandre Courtrai et le MAfestival, Toshio Hosokawa dépasse les clivages habituels. Son deuxième opéra, Matsukaze, créé à La Monnaie de Bruxelles en mai 2011 et donné sur la scène lilloise en première française, en offre un remarquable exemple. Inspiré par l’une des plus célèbres pièces du répertoire nô, l’ouvrage flotte entre songe et éveil, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition taoïste, bouddhiste et zen. Si des couleurs extrême-orientales s’exhalent de la partition, elles le doivent davantage à une écriture décantée qu’à l’effectif orchestral, exclusivement occidental, et sonnent totalement dénuées d’exotisme. La sollicitation du bas du registre des instruments reprend les usages d’une certaine avant-garde, mais la subtile alchimie qu’elle forme avec une retenue aux allures de rituel, où elle ne s’emprisonne jamais, lui donne une couleur et une identité aussi originales que reconnaissables et qui retentit dans la mémoire de l’auditeur. Si la dramaturgie de l’histoire tend à se faire fuyante, la musique baigne le spectateur dans la fascinante atmosphère d’une temporalité suspendue, aux confins du silence et des rumeurs de l’eau et de l’onde: les notes transsubstantient les repères que le texte, poétique et élusif, peut laisser échapper. L’hétérogénéité du matériau ne se trouve jamais accusée et recherche une convergence sonore inédite et délicate. Après Takemitsu, Hosokawa incarne parmi l’une des plus abouties rencontres entre Orient et Occident.
Réglée par Sasha Waltz, la production de la création n’oublie pas les fondamentaux de la chorégraphe allemande, à l’instar du contraste entre noir et pâleur – ici un blanc discrètement teinté de gris bleuté –, ou de l’importance de la gestuelle des bras, fluide et élancée, porteuse de l’énergie de l’ensemble et véritable langage des affects. L’héritage de Pina Bausch reste indéniablement présent – et comme elle, Sasha Waltz jette des ponts entre la danse et l’opéra – et le théâtre. Mais elle dépasse dans Matsukaze la posture parfois illustrative dans ce qui restait souvent un commentaire en-deçà des œuvres que la disciple affrontait – son Roméo et Juliette à la Bastille en témoigne. Ici, l’on a affaire à une synthèse des arts réussie, qui dépasse les simples portés des deux sœurs, Matsukaze et Murasame, acrobaties défiant le confort de l’émission vocale, sans le contrarier pour autant. A l’opposé de la rhétorique wagnérienne, cette singulière union des muses emprunte la voie du dépouillement.
La scénographie se révèle au diapason de cette esthétique, à l’image des filets où s’emprisonnent les souvenirs et les mânes des deux femmes. Ce dramatisme feutré ne bride cependant pas la violence, qui éclate à l’annonce de la mort de Yuhurira, magnifiée par l’engagement de Charlotte Hellekant, Murasame au mezzo chaud et expressif, voire âpre, et plus encore celui de Barbara Hannigan dans un rôle-titre qu’elle irradie de son soprano aussi agile qu’incandescent. Kai-Uwe Fahnert assure honorablement les interventions du Pêcheur, tandis que le solide Frode Olsen a maille à partir avec le long monologue d’entrée du Moine, page modulant sur des micro-intervalles sans la précision qui aurait rendu la scène plus lisible, sinon moins terne. On saluera enfin le Vocalconsort Berlin et l’Ensemble Musikfabrik, sous la direction de David Robert Coleman, attentif à la souplesse comme à la fluidité et à l’intelligence de l’inspiration musicale. Si l’on peut avoir tendance à mesurer l’œuvre d’Hosokawa à l’aune de l’écrin de Sasha Waltz, son inscription au répertoire n’attend pas: déjà présenté aux Etats-Unis en 2013, Matsukaze connaîtra une troisième mise en scène en 2015 à Kiel. Les reprises ne lui font pas peur, preuve que l’opéra contemporain n’est pas mort.
Gilles Charlassier
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