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Pas pour les voix Paris Opéra Bastille 09/19/2014 - et 23, 25, 28, 29* septembre, 1er, 4, 14, 15, 20, 23, 28, 30 octobre, 3 novembre 2014 Gioacchino Rossini : Il barbiere di Siviglia René Barbera*/Edgardo Rocha (Il Conte d’Almaviva), Carlo Lepore*/Paolo Bordogna (Bartolo), Karine Deshayes*/Marina Comparato (Rosina), Dalibor Jenis*/Florian Sempey (Figaro), Orlin Anastassov*/Carlo Cigni (Basilio), Tiago Matos (Fiorello), Cornelia Oncioiu (Berta), Lucio Prete (Un ufficiale)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Carlo Montanaro (direction musicale)
Damiano Michieletto (mise en scène)
(© Bernard Coutant/Opéra national de Paris)
Un bal masqué à la Scala, Falstaff à Salzbourg: Damiano Michieletto a le vent en poupe, lui qui aime à revisiter les œuvres sans épouser la radicalité du Regietheater. Voici à Paris son virevoltant Barbier de Séville genevois, en lieu et place de la bien connue pétillante mise en scène de Coline Serreau. Nous sommes dans un quartier populaire de la ville, ou quelque part dans un sud écrasé de chaleur : façades lépreuses, linge aux fenêtres. Les bigoudis remplacent les perruques, le marcel la veste de brocart, et l’on a souvent, comme Berta, la clope au bec. Almaviva, en bermuda, fait sa cour à une Rosine dont la virginité s’impatiente entre les murs d’une chambre tapissée de posters – à la fin ils partiront à moto. Cela se situe exactement là où le metteur en scène l’a voulu : à la croisée d’une commedia dell’arte débridée et d’un baroquisme bariolé façon Almodóvar, avec force figurants, dans les maisons ou dans la rue. Plus que les enjeux psychologiques, soulignés par la lecture orientalisante de la cinéaste, il privilégie la bouffonnerie foutraque d’une mécanique effrénée.
Rien, cependant, ne serait possible sans le dispositif scénique de Paolo Fantin, sans cet immeuble de Bartolo, mitoyen d’un bar à tapas, pivotant sur lui-même, où les personnages se déplacent sans cesse d’une pièce ou d’un étage à l’autre, du bureau du rez-de-chaussée à la chambre de Berta. Dans le final du premier acte, ils sont même pris de vertige, comme si tout se mettait à vaciller. C’est assez virtuose, parfois drôle, toujours bien réglé et parfaitement lisible, mais si ça tourne vite, ça finit par tourner à vide, on se lasse un peu et on se dit que c’est une lecture plutôt réductrice d’un texte et d’une musique dessinant de vrais caractères au-delà des types. Le metteur en scène, au fond, se contente d’exploiter un procédé : passé le premier acte, il s’use et s’essouffle. Tout ce qui pétille ne fait pas du champagne.
Cela s’essouffle aussi parce que cette effervescence perpétuelle ne trouve son écho ni dans le chant ni dans l’orchestre. La direction de Carlo Montanaro s’avère trop inégale, étrangement différente selon que l’orchestre joue seul ou accompagne les chanteurs. L’Ouverture promet beaucoup : du théâtre en musique, une battue à la fois légère et ferme, des timbres épicés. Tout semble ensuite s’assoupir : sans doute le chef reste-t-il trop soucieux, au lieu de les stimuler, de suivre les voix. Le final du premier acte s’enlise, comme étranger au tourbillon de la mise en scène. Heureusement, çà et là, se goûtent tel phrasé des bois, tel pizzicato des cordes, tel détail d’instrumentation, grâce à la finesse d’une baguette qui sacrifie le rythme à la couleur. De même, on retiendra d’abord du second acte... l’Orage, très subtilement dosé.
Karine Deshayes et Dalibor Jenis figuraient déjà dans la production de Coline Serreau. Pour un rôle de mezzo contralto, la première manque toujours autant, sinon davantage, de grave et de bas médium, alors qu’elle arrache parfois ses aigus. Cette Rosine ado plus capricieuse que rebelle ne peut donc faire valoir totalement sa probité stylistique et la chaleur soyeuse du timbre ne perce guère qu’à travers une partie très limitée de la tessiture. Quant au baryton slovaque, on l’a connu moins sommaire en barbier rusé, plus avantageux vocalement aussi : le buffo rossinien ne s’accommode guère de ce chant débraillé. Il ne s’accommode pas plus de la lourdeur pâteuse du Basile d’Orlin Anastassov, professeur de violoncelle égaré ici. C’est Carlo Lepore qui l’incarne, héritier d’une authentique tradition, Bartolo un rien lubrique, impeccable de chant, jusque dans les rapidités vertigineuses du sillabando. Le Comte de René Barbera ? A l’image de certains ténors rossiniens passe-partout d’aujourd’hui: émission haute mais nasale, vocalisation agile mais souvent savonnée, phrasé sans grâce particulière. On a en tout cas beaucoup aimé la Berta dévoreuse de Cornelia Oncioiu, forte présence, chant de classe.
Tout cela alors que, depuis des décennies, le chant rossinien a retrouvé tous ses prestiges. A compter du 14 octobre, une seconde distribution prend le relais, avec le Figaro du jeune Florian Sempey, brillant ancien de l’Atelier lyrique.
Didier van Moere
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