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Castor et Pollux en boîte

Dijon
Auditorium
09/26/2014 -  et 28*, 30 septembre, 2, 4 (Dijon), 17, 19, 21, 23, 25 (Lille) octobre 2014
Jean-Philippe Rameau : Castor et Pollux
Pascal Charbonneau (Castor), Henk Neven (Pollux), Emmanuelle de Negri (Télaïre), Gaëlle Arquez Arquez (Phoebé), Frédéric Caton (Jupiter), Geoffroy Buffière (Grand Prêtre de Jupiter), Erwin Aros (Mercure, Un athlète), Vladimir Hugot (Lyncée), Priscilla Bescond, Florine Chevrolet, Mathieu Lebot-Morin, Marion Lubat, Fanny Mougel, Mathieu Tune, Eric Vignat (figurants)
Chœur et Orchestre du Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Yves Lenoir (collaboration à la mise en scène), Katrin Lea Tag (scénographie et costumes), Franck Evin (lumières), Ulrich Lenz (dramaturgie)


(© Gilles Abegg)


Dans la défense de la musique française, l’Allemagne a souvent su prendre les devants, quitte à pallier la négligence des institutions hexagonales. Si, déclaré cause nationale pour le deux cent cinquantième anniversaire de sa mort, Rameau n’en pâtit point, c’est pourtant – nonobstant la tournée concertante de Raphaël Pichon et ses Pygmalion – le voisin outre-Rhin qui a eu l’initiative des deux premières productions de Castor et Pollux de l’année. En cette rentrée où l’ouvrage connaît un soudain regain d’intérêt, à deux semaines de celle du Théâtre des Champs Elysées dirigée par Hervé Niquet, Dijon rend hommage à l’un de ses plus illustres enfants et reprend la mise en scène de Barrie Kosky, étrennée au Komische Oper de Berlin en mai dernier.


A n’en pas douter, le cadre rectangulaire où se déroule l’intégralité de l’action a dû se révéler seyant aux dimensions du plateau berlinois, et s’intègre également à celles de la scène bourguignonne, sans expliciter au demeurant les raisons techniques ayant contraint la banalisation des places latérales du parterre. Dans une scénographie délibérément sobre, dynamisée par des lumières çà et là expressives, Barrie Kosky livre une lecture plutôt cohérente de l’opéra de Rameau, qui présente l’avantage de ne pas céder à l’hiératisme illustratif dans lequel se figent parfois les conflits antiques entre attachement et immortalité développés par le livret de Pierre-Joseph Bernard. Le vacarme des talons, métaphore bruyante de celui des affects humains, violents et inquiets, gagnerait à ne pas envahir la musique, même si l’accoutumance et la décantation au fil de l’intrigue esquissent une réconciliation qui trouve sa résolution dans le tableau final où ne restent des deux frères emmenés au séjour éternel par Jupiter que leurs chausses, sur lesquelles poudroient des paillettes argentées dans un cône de lumière – une des plus belles images du spectacle où s’évoque l’inscription au firmament de la constellation gémellaire.


La mise en scène du directeur du Komische Oper de Berlin prend le parti d’amplifier l’exposition des sentiments aux confins de la fureur sinon de l’hystérie et d’éclairer l’histoire par la vengeance amoureuse de Phoebé: la césure à la fin de la quatrième scène de l’acte IV, où celle-ci maudit le retour à la vie de Castor «s’il doit vivre pour [s]a rivale», en constitue un signe des plus éloquents, quitte à affaiblir sensiblement la seconde partie de la représentation, faute d’une consistance dramaturgique équivalente. On pourra discuter la «Sarabande pour Hébé», où Télaïre et Phoebé se trémoussent autour de Pollux jusqu’à s’affranchir de leurs culottes blanches et rouges, chastes et concupiscentes, avant la taquinerie digitale sous la seconde, laquelle invoque ses puissances aux portes des Enfers – «pénétrez ce séjour impénétrable au jour» – et enfin Pollux «accouchant» du retour de Castor à la vie, que l’on peut également comprendre comme un filage de la matrice herméneutique reliant la résurrection du frère à la rivalité des deux sœurs. La grivoiserie dépasse la gratuité apparente, et souligne l’efficacité visuelle du vaste tumulus de terre où on inhume le défunt et d’où s’échappent les mains de l’outre-tombe dont les masques sacrifient plus à une certaine tradition de Regietheater qu’au grotesque.


Plus convaincant que consensuel, le présent travail pousse la logique de la version 1754, plus morale que mythologique, jusque dans ses retranchements. Sa fluidité accompagne la direction uniformément précise d’Emmanuelle Haïm, qui s’attache à mettre en valeur les ressources de ses instrumentistes du Concert d’Astrée. Les couleurs prennent sans doute le pas sur le drame, la clarté sur l’expressivité, mais la battue évite les baisses de régime grâce au resserrement significatif de l’opéra, quand bien même la tension peut se relâcher en seconde partie.


Dès son entrée, la Phoebé de Gaëlle Arquez affirme son tempérament hautement théâtral. La voix se fait percutante et sait montrer sa virtuosité, même si elle tend à privilégier la puissance à l’intelligibilité, sinon à la musicalité, à l’inverse d’Emmanuelle de Negri, Télaïre peut-être moins brûlante, mais douée d’une finesse stylistique plus évidente, distillant des nuances aussi justes que touchantes. Pollux déjà sous la direction de Christophe Rousset en 2008 à Amsterdam, Henk Neven défend une incarnation homogène, contrastant en cela avec la vocalité nasale et contrainte de Pascal Charbonneau, à qui les lauriers du David et Jonathas de Charpentier ne sont d’aucun secours, sans compter une élocution souvent savonnée, travers des plus regrettables dans une esthétique où l’intelligence et l’émotion se doivent de célébrer leurs noces. Frédéric Caton confère à Jupiter une autorité équilibrée, plus égale que le Grand Prêtre de Geoffroy Buffière, au matériau plus fouillé, quand Erwin Aros contente l’éclat de l’ariette de Mercure à la fin du deuxième acte. Fort sollicité par la démonologie du quatrième, le chœur d’Astrée assure sans faillir son office.



Gilles Charlassier

 

 

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