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Violon en résidence Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès/Cité de la musique et de la Danse 05/21/2014 - et 24* mai 2014
Palais de la Musique et des Congrès, 21* et 22 mai
Igor Stravinsky : Feu d’artifice, opus 4
Leos Janácek : Concerto pour violon et orchestre
Béla Bartók : Concerto pour violon et orchestre n° 1, sz. 36
Serge Prokofiev : Symphonie n° 5 en si bémol, opus 100
Cité de la musique et de la danse, 24 mai
Johann Sebastian Bach : Intégrale des Sonates et Partitas pour violon seul BWV 1001 à 1006
Isabelle Faust (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Kirill Karabits (direction)
K. Karabits
On a régulièrement vu Kirill Karabits à Strasbourg au cours des saisons de vacance du pouvoir subies par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, après le mandat écourté de Jan Latham-Koenig. Ce tout jeune chef réussissait alors à rendre un peu de ses couleurs à une formation en pleine deshérence. Heureusement le souvenir de ces années grises commence à s’effacer et Kirill Karabits lui-même mûri, retrouve aujourd’hui un orchestre considérablement transformé, ou du moins qui a retrouvé sa fierté et un véritable goût du travail bien fait. La Cinquième Symphonie de Prokofiev termine ce concert avec panache, sans défaillance instrumentale et avec un professionnalisme qui dispense le chef d’avoir trop à se disperser dans les détails. La grande machine symphonique de Prokofiev avance avec une belle énergie, et le chef peut même en rajouter un peu dans le spectacle visuel, sans toutefois que cette gestique accrocheuse dérange trop. Même électricité généreuse dans le Feu d’artifice de Stravinsky qui ouvre le concert en fanfare. Quelques minutes de grand orchestre à peine, mais qui constituent toujours une entrée en matière aussi efficace que lapidaire.
La violoniste Isabelle Faust aura pris très au sérieux sa mission d’artiste en résidence à Strasbourg pour la saison 2013-2014, avec deux concerts en soliste et plusieurs programmes de musique de chambre, à chaque fois accueillis avec enthousiasme. Pour cette soirée elle a choisi d’associer deux œuvres courtes mais complémentaires, rapprochées dans le temps encore que d’un style très différent. Le Premier Concerto de Bartók est encore d’un post-romantisme torturé et expansif, qui augure peu des futures épures du maître hongrois. Partition d’édition posthume il s’agit d’une belle œuvre, toute en climats changeants, qu’Isabelle Faust déroule d’une façon un peu étale, comme un magnifique ruban sans vrai début ni fin. Une lecture fluide et très détaillée, mais qui esquive ou du moins ne fait qu’esquisser le dramatisme sous-jacent à cette musique, programme sentimental autobiographique de surcroît, que l’on n’entrevoit pas vraiment. Dans le Concerto de Janácek, œuvre plus anguleuse voire abrupte, issue du même matériau d’orchestre que l’opéra De la maison des morts, Isabelle Faust paraît mieux en situation, délivrant une lecture au premier degré mais techniquement très attentive au moindre accent et en définitive suffisante pour que le climat adéquat s’installe, lancinant voire oppressant. Derrière l’orchestre, le percussionniste laisse retomber en cadence les chaînes des forçats : l’œuvre est décidément tout aussi sombre que l’opéra dont elle est satellite, et même le timbre toujours radieux d’Isabelle Faust ne l’éclaire d’aucune luminosité factice.
I. Faust (© Nucci)
Quelques jours plus tard, on retrouve Isabelle Faust seule, dans l’ambiance plus intime de la salle de la Cité de la musique (quelques centaines de places, et pas toutes remplies, en ce beau samedi après-midi de printemps). Un pupitre sur une scène vide, un halo de projecteur sous lequel arrive une artiste souriante aux pas mesurés, déjà concentrée. Chacune des trois Sonates et des trois Partitas de Bach va prendre place successivement sur le pupitre, partitions collées sur un seul grand carton pour chaque œuvre, ce qui permet à l’artiste de faire littéralement défiler tous les mouvements, en commençant tout en haut à gauche et en finissant tout en bas à droite. La métaphore du ruban, encore... En définitive c’est là toujours la petite particularité d’Isabelle Faust que ce manque relatif d’aspérités, cette indifférence apparente aux détails des événements, tous présents mais pas forcément tous fouillés. Infiniment préférable sans doute à trop de chichis, mais la perfection de ce discours très lissé, aux appuis faiblement soulignés, fait qu’inévitablement parfois l’attention de l’auditeur lâche un peu prise. Phénomène sans doute inévitable au cours de ces plus de deux heures de musique, en deux concerts successifs séparés par une pause d’un peu plus d’une heure.
Physiquement, pour l’interprète, l’exploit reste patent (ce que trahissent d’ailleurs, vers la fin, des exercices de décontraction des épaules de plus en plus souvent nécessaires entre les pièces) et intellectuellement aussi, évidemment, ce d’autant plus que le groupage des œuvres favorise l’aridité relative d’une première partie particulièrement exigeante, avec deux Sonates sur les trois, et leurs longs mouvements fugués, les plus architecturaux, les plus Bach «vieux style» aussi. Après la pause ce seront deux Partitas plus ludiques, une virtuosité plus expansive (le fameux Prélude de la Troisième) et bien sûr les fastes imposants de la Chaconne de la Deuxième, qu’Isabelle Faust a choisi de placer en guise de grandiose conclusion.
Laurent Barthel
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