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Daphné entre en bourse Bruxelles La Monnaie 09/09/2014 - et 11*, 14, 16, 18, 21, 23, 25, 27, 30 septembre 2014 Richard Strauss: Daphne, opus 82 Iain Paterson (Peneios), Birgit Remmert (Gaea), Sally Matthews (Daphne), Peter Lodahl (Leukippos), Eric Cutler (Apollo), Tineke Van Ingelgem (Erste Magd), Maria Fiselier (Zweite Magd), Matt Boehler, Gijs Van der Linden, Kris Belligh, Justin Hopkins (Schäfer)
Chœur d’hommes de la Monnaie, Martino Faggiani (chef du chœur), Orchestre symphonique de la Monnaie, Lothar Koenigs (direction)
Guy Joosten (mise en scène), Alfons Flores (décor), Moritz Junge (costumes), Manfred Voss (éclairages), Franc Aleu (vidéo), Aline David (chorégraphie)
Si Opera Vlaanderen débute sa saison avec Elektra, du 12 septembre au 3 octobre, La Monnaie commence la sienne avec Daphné (1938) : choix original et judicieux puisque le théâtre bruxellois n’a jamais représenté le treizième opéra de Strauss. Après avoir mis en scène Elektra en 2010 et Salomé en 2012, Guy Joosten livre une interprétation contemporaine de cette tragédie bucolique: la nature fragile contre le capitalisme sauvage. Daphné s’oppose au monde de l’argent sans foi ni loi auquel appartient sa famille. L’acte unique se déroule dans un décor d’Alfons Flores constitué essentiellement d’un escalier, dispositif fréquent à l’opéra depuis longtemps, et d’un arbre majestueux. Des traders, des écrans boursiers, une réplique du Taureau de Wall Street représentent le libéralisme sans état d’âme, l’orgie à la fois chic et vulgaire en guise de fête dionysiaque illustre la prétendue absence de morale de ceux qui détiennent le capital.
Les éclairages de Manfred Voss et les projections sur l’arbre de Franc Aleu constituent une formidable réussite, notamment lorsque le corps de Daphné se détache du tronc lors de la métamorphose – dès lors, pourquoi la chanteuse apparaît-elle encore quelques minutes à la fin? Une conception moins politique, plus idyllique, davantage centrée sur le triangle amoureux formé par Daphné, Leucippe et Apollon, reste tout à fait envisageable, et peut-être même préférable, mais celle-ci a du sens, à condition d’en accepter le parti pris. Le message, en tout cas, passe sans ambiguïté. Guy Joosten, qui exploite le peu de théâtre que contient le livret de Joseph Gregor, règle le jeu d’acteur et les mouvements de scène avec compétence.
(© Karl und Monika Forster)
L’orchestre répond aux attentes, bien que quelques musiciens aient brièvement perdu le contrôle dans la conclusion. Les cordes affichent beaucoup de discipline, même lorsqu’elles interviennent individuellement, les bois s’expriment avec précision et suavité, les cuivres se manifestent fièrement et sans agressivité. Lothar Koenigs ajuste la mise en place avec rigueur pour dégager les voix intermédiaires, qualité indispensable dans cette partition aux vertus chambristes. Le chef obtient de ses troupes une prestation claire, contrastée, décantée, évocatrice, particulièrement dans la scène finale.
Le bilan vocal de la production s’avère lui aussi satisfaisant, bien que Birgit Remmert et Iain Paterson, respectivement Pénée et Gaïa, ne confèrent pas autant de relief à leur personnage que les chanteurs distribués dans les rôles de Daphné, Leucippe et Apollon sur lesquels l’attention se porte avant tout. Sally Matthews, qui met son timbre limpide et velouté encore mieux en valeur que dans Jenůfa en janvier dernier, chante sans effort apparent grâce au format de sa voix et à l’équilibre que Lothar Koenigs respecte entre la fosse et le plateau. Peter Lodahl et Eric Cutler composent eux aussi leur personnage avec conviction en accusant la différence de caractère entre Leucippe et Apollon. Les deux ténors disposent de timbres complémentaires, celui du premier clair et élégant, celui du second sombre et tourmenté. Préparé par Martino Faggiani, le chœur assure correctement son service mais il a peu à accomplir. La saison commence bien à la Monnaie.
Le site de La Monnaie
Sébastien Foucart
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