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06/16/2024
Jean-Jacques Nattiez : Proust musicien
Les Presses de l’Université de Montréal – 152 pages – 19 euros





Au lendemain des célébrations de grande ampleur qui ont marqué le centenaire de la mort de Proust, revoici l’écrivain analysé au travers d’une des dimensions essentielles de sa vie et de son œuvre, la musique. Le sujet n’est certes pas neuf et a fait couler beaucoup d’encre dès Benoist‑Méchin dans les années 1920. Mais qu’on ne compte pas sur Jean‑Jacques Nattiez pour se contenter de considérations sur Reynaldo Hahn et le milieu musical parisien de l’époque ou bien des habituelles et assez vaines spéculations sur la Sonate de Vinteuil et sa fameuse « petite phrase », ou même d’une synthèse des nombreux travaux qui ont précédé les siens.


Car dans cet ouvrage de 1984, déjà révisé en 1998 puis encore une fois pour cette troisième édition, l’auteur, par le double prisme wagnérien et sémiologique auquel il est attaché de longue date, est animé par une toute autre ambition : non seulement « réhabiliter le Proust musicien, si cet adjectif désigne bien, comme l’indique le premier sens du dictionnaire Le Robert, “toute personne capable d’apprécier la musique” » mais également et surtout tenter de démontrer que La Recherche a une « structure musicale ». Ainsi, Proust n’a en rien approché la musique comme un objet secondaire, de façon superficielle ou insuffisamment technique : bien au contraire, « c’est la réflexion du Narrateur sur la nature de la musique qui le conduit à voir en elle le modèle idéal de la littérature et l’amène à décider de consacrer sa vie à l’écriture littéraire »..


A la lumière d’une lecture scrupuleuse des passages consacrés à la musique, particulièrement des abondantes « descriptions » des partitions de Vinteuil, il apparaît que pour le Narrateur, comme d’ailleurs pour Swann, elle survient à des moments et dans un ordre parfaitement choisis. Dès lors, comment ne pas reconnaître dans le Septuor de Vinteuil La Recherche elle‑même ? « Le Septuor est une œuvre unitaire, close, totale, qui sa logique interne, où les thèmes et les motifs se pourchassent, se séparent, se réunissent : par là, il est un microcosme de la Recherche du temps perdu elle‑même. »


Incidemment, il est frappant de constater que la genèse du Ring, autre création de caractère unitaire, voire unique, présente de nombreux traits comparables à celle de La Recherche. Bien plus, Proust a trouvé chez Wagner « le modèle du sujet fondamental de la Rercherche : la quête de l’absolu par l’œuvre d’art ». Nattiez estime ainsi que l’écrivain tient la musique pour le langage de communication des âmes, l’artiste, plus généralement, ayant pour vocation de donner à voir l’univers avec ses yeux, dans une perspective où l’art est supérieur à la vie.


S’il ne s’agit pas ici, comme l’a dit, de savoir si la Sonate de Vinteuil est inspirée de Franck, Fauré ou quelque autre compositeur, Nattiez ouvre des horizons intéressants sur des rapprochements moins souvent suggérés. Ainsi de ces « phrases interrogatives [...] plus pressantes » (Proust) du Septuor dans lesquelles Nattiez débusque le Muss es sein? interrogatif du Seizième Quatuor de Beethoven, ou bien la description d’un autre passage du Septuor qui fait clairement penser au premier mouvement de La Mer de Debussy.


Si dense et bien écrit soit‑il, la lecture de cet essai, malgré les abondantes citations de La Recherche qui l’émaillent, sera sans doute plus aisée à ceux bénéficiant déjà d’un minimum de familiarité avec cet univers. Quoi qu’il en soit, proustomanes comme mélomanes y trouveront sans nul doute leur compte.


Simon Corley

 

 

 

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