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02/20/2024
Emmanuel Nunes : Ecrits
Edités par Laurent Feneyrou
Contrechamps Editions – 478 pages – 25 euros





Disparu en 2012 – annus horribilis pour la musique contemporaine puisque nous ont également quitté cette année‑là Elliott Carter, Hans Werner Henze et Jonathan Harvey –, Emmanuel Nunes n’occupe sans doute pas la place qui devrait lui revenir dans les programmes des concerts. L’exigence de sa musique est à l’image de celle de l’homme envers ses interprètes... et avant tout envers lui-même. C’est une autre facette de sa personnalité que les Editions Contrechamps mettent à l’honneur en publiant écrits et entretiens de celui qui, bien qu’installé en France depuis 1964, n’oubliera jamais d’où il vient : « Je suis né ici et je me sens toujours portugais, et je le serai toujours » (entretien avec Pedro Figueiredo, 1999).


De l’« Autoportrait liminaire », rédigé à l’occasion de la création allemande de Ruf (1977), aux textes consacrés à Kandinsky et Husserl en passant par les hommages rendus à quelques figures marquantes (Pessoa, Boulez, Stockhausen, Ernest Bour) se dessine la stature d’un intellectuel de haut vol dont les réflexions, conduites à partir de son art de musicien, puisent à d’autres disciplines (philosophie, poésie, théorie de la peinture, etc.) pour les enrichir à leur tour de son apport.


De Stockhausen, il a hérité cette conception hautement réfléchie du temps et de l’espace comme le pragmatisme consécutif aux contradictions entre l’élaboration de la partition et sa réalisation (« créer une œuvre, c’est créer un organisme vivant »), même si leur rapport n’a pas été celui de maître à élève : «  ... j’ai tout appris de Stockhausen : mais attention ! C’est par moi‑même que je l’ai appris, ce n’est pas lui qui m’a enseigné » (entretien avec Jérémie Szpirglas, 2011).


Ces essais et entretiens assument un certain disparate, où commentaires généralistes côtoient essais théoriques pointus, où notes éparses voisinent avec des analyses poussées de certaines de ses œuvres – des extraits de sa thèse de doctorat consacrée à la Seconde Cantate de Webern sont proposés en annexe.


Son goût des formes labyrinthiques et son approche multidimensionnelle du temps amènent Nunes à concevoir, pour Nachtmusik II (1981/2000), « une antiphonie de paramètres ». Une topographie encore plus poussée préside à l’élaboration de Quodlibet (1991), « une pièce où s’écrit l’espace ». Au reste, les incursions du compositeur dans le domaine opératique, avec Das Märchen (2007) et La Douce (2009), ne laissent au hasard aucun lien entre le flux sonore et les diverses dimensions visuelles, bien qu’il «   ... ne vise nullement un soi‑disant spectacle total ».


Nunes, proche de Boulez et de Berio, n’a rien d’un mandarin retranché dans sa tour d’ivoire : il revient à plusieurs reprises, à travers des considérations d’ordre sociologiques et culturelles, sur l’enseignement de la musique, notamment dans son pays d’origine (« Au fond, ce qui manque, c’est une réalisation paradigmatique de chaque technique »).


Au gré de ces différents écrits (signalons l’existence d’un journal encore inédit entamé au cours des années 1960), Nunes se montre plus disert sur son artisanat et le soin qu’il porte à la mise en œuvre de ses partitions que sur la partie électronique de celles‑ci, lors même qu’il travailla régulièrement à l’Ircam à partir de 1989, y trouvant une technologie avancer pour englober les paramètres de spatialisation et de temps réel. Quant à son activité pédagogique, il se livre en définitive assez peu.


L’étude consacrée à Husserl pourra se révéler rapidement décourageante, mais le mélomane passionné gagnera à accompagner la lecture du livre de l’écoute des œuvres évoquées : la plupart ont été enregistrées et/ou sont disponibles sur internet, à l’exception notable de Ruf.


Le tout est édité et présenté par Laurent Feneyrou, ce qui constitue en soi un gage de sérieux.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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