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03/20/2023 Patrick Barbier : Marie‑Antoinette et la musique Grasset – 446 pages – 25 euros
Un des portraits les plus connus de Marie‑Antoinette, Reine de France (1755‑1793), est dû au pinceau de Jean‑Baptiste Gautier d’Agoty et la montre (nous sommes en 1776) dans sa chambre, jouant de la harpe devant quelques proches. La place prise sur cette gouache par l’imposante harpe et le fait de nous montrer la Reine jouer d’un instrument de musique (pose finalement assez rare pour un souverain à côté, par exemple, du célèbre portrait de Frédéric II de Prusse jouant de la flûte par Adolph von Menzel en 1852) méritaient que l’on étudie de manière un peu approfondie les liens tissés entre Marie‑Antoinette et la musique. C’est désormais chose faite grâce au livre signé par Patrick Barbier, musicologue et professeur à l’Université d’Angers, auquel nous devons déjà plusieurs ouvrages sur la musique italienne notamment (citons entre autres La Venise de Vivaldi, musique et fêtes baroques en 2002, Naples en fête. Théâtre, musique et castrats au XVIIIème siècle en 2012 ou son relativement récent Voyage dans la Rome baroque. Le Vatican, les princes et les fêtes musicales en 2016, tous édités chez Grasset).
En huit chapitres présentés de manière chronologique et près de 450 pages, Patrick Barbier nous brosse ainsi un portrait musical de Marie‑Antoinette, allant donc du milieu familial dans lequel elle a été très tôt initiée à la musique y compris par quelques chemins de traverse (son professeur d’italien, langue pour laquelle elle montrait de réelles aptitudes n’étant autre que le célèbre librettiste Métastase) à sa détention à la prison du Temple, où elle bénéficiait encore d’un pianoforte, de quelques partitions et des services d’un accordeur pour l’instrument, en passant par son soutien à Gluck, Grétry, Piccinni ou Sacchini et sa rencontre ratée avec Mozart. Il en ressort, au fil d’une plume alerte et toujours précise (comme en attestent les 255 notes de bas de page et la bibliographie conséquente ayant servi à l’auteur dans le cadre de ses recherches), que Marie‑Antoinette était une vraie mélomane.
Peu réceptive à la grande tragédie lyrique formatée par Lully (on impose à la jeune dauphine une représentation de Persée lors des festivités pour son mariage), elle a visiblement eu des goûts très sûrs et très affirmés. C’est pour cela qu’elle soutint constamment son cher Gluck qui, bien qu’Allemand, fut fêté à Paris entre 1774 et 1779, même ses adversaires ayant dû reconnaître le vent nouveau qu’il faisait souffler sur l’opéra en France grâce à des chefs‑d’œuvre comme Iphigénie en Aulide (1774) ou Iphigénie en Tauride (1779), la création française d’Orphée et Eurydice ayant également connu un triomphe indescriptible. Dans ces années folles ou s’opposaient lullistes, ramistes, gluckistes et autres piccinistes (pp. 246 sq.), l’appui de la Reine a été indéfectible pour Gluck, ayant notamment permis à Armide (1777) de triompher alors que ses opposants avaient tout fait pour le comparer (et, bien entendu, le dévaloriser) au regard de l’Armide de Lully. Si les figures de Piccinni, de Salieri, de Grétry ou du Chevalier de Saint‑Georges (victime de cabales en dépit là aussi du soutien constant de la Reine à son égard) nous sont fortement détaillées, Patrick Barbier s’attache également à montrer en quoi la passion de Marie‑Antoinette pour la harpe (elle suivait alors les cours du célèbre Philipp Joseph Hinner) et sa pratique du pianoforte depuis son plus jeune âge ont contribué à faire de Paris un lieu d’expérimentation pour divers facteurs d’instruments, Cousineau et Naderman pour la harpe (passage passionnant pp. 92 sq.), Sébastien Erard pour le pianoforte.
Il nous détaille également les journées de la Reine à Versailles, où la musique est toujours présente, qu’il s’agisse des messes à la Chapelle royale ou des concerts privés en soirée. Si le baron Papillon de La Ferté, en charge du budget des Menus Plaisirs, a parfois du mal à boucler les budgets requis pour tel ou tel spectacle, tel ou tel soutien, la Reine n’en a cure, ayant ainsi présidé à 46 créations (opéras, opéras comiques et ballets) sur les scènes des deux résidences royales qu’étaient alors Versailles (rappelons que le petit théâtre de Trianon fut inauguré en juin 1780) et Fontainebleau. Ayant également à cœur de nous montrer en quoi les scènes versaillaise et parisienne pouvaient s’opposer, Marie‑Antoinette n’ayant jamais hésité à venir à Paris pour assister à un concert ou à un opéra, Patrick Barbier nous rappelle également le rôle déterminant qu’elle a joué dans la création de l’Ecole royale de musique et de déclamation en 1784 et dans celle du théâtre de Monsieur en 1789.
L’ouvrage se concluant avec les affres de la Révolution française, on s’aperçoit avec un peu d’étonnement que la vie musicale s’est poursuivie même après le départ forcé de Versailles au début du mois d’octobre 1789, Marie‑Antoinette ayant donc continué à jouer du pianoforte dans les derniers mois de sa vie, jusqu’à son exécution le 5 octobre 1793.
De ce livre, il ressort en fin de compte une facette que, à titre personnel, nous ignorions dans ses détails, à savoir le profond attachement de Marie‑Antoinette pour la musique et les artistes, des plus célèbres (Gluck, la chanteuse Dugazon...) aux moins connus, ce qui ne peut manquer d’impressionner. Un bel ouvrage donc qui, à travers le tableau de la vie musicale à la cour et à Paris qu’il brosse sur les années 1750‑1790, nous rappelle toute la richesse de la vie musicale qui existait alors en France.
Sébastien Gauthier
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