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04/25/2020
En un acte – Les Actes de ballet de Jean-Philippe Rameau (1745-1757)
Etudes réunies et présentées par Raphaëlle Legrand et Rémy-Michel Trotier
Editions Aedam Musicae – 482 pages – 35 euros





En 2014, les célébrations pour le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau ont suscité un grand nombre de concerts bien sûr, de parutions discographiques mais également de colloques et de journées d’études dont ce livre est une des nombreuses illustrations. Voici donc un ouvrage des plus conséquents, réunissant les actes de la journée d’études qui s’est tenue en Sorbonne le 21 novembre 2014, consacrée aux actes de ballet de Rameau, journée qui prenait place dans un vaste ensemble de dix rencontres organisées dans le cadre d’un séminaire de recherche «Atelier Rameau» qui ont jalonné toute l’année 2014.


Si l’idée était évidemment des plus intéressantes (car, hormis les passionnés et les spécialistes, qui connaît Io, Daphnis et Eglé, Les Sibarides ou Les Fêtes de Rapire?), cet ouvrage possède à la fois toutes les qualités et toutes les faiblesses de l’érudition universitaire. Attachons-nous tout d’abord aux qualités de l’ouvrage, divisé en deux grands ensembles (seize contributions réparties elles-mêmes en trois parties d’une part, les livrets des douze actes de ballet recensés d’autre part, sans compter plusieurs annexes).


L’exhaustivité est bien sûr la première chose que l’on remarque au sujet d’œuvres qui, dans les monographies jusqu’alors consacrées à Rameau, étaient «rapidement expédiées» (pour reprendre les mots de Thomas Soury, p. 85), les articles étant tous rédigés par des spécialistes de cette histoire, de cette musique, de cette période. Plutôt que de consacrer un développement à chaque acte en particulier, qui aurait été fastidieux et sans doute répétitif, les contributions s’attachent à seulement certains actes ou traitent de sujets transversaux, encore que ces dernières soient minoritaires (mentionnons néanmoins le très bon article de Laura Naudeix, «Marmontel et Cahusac: deux librettistes face à une dramaturgie à contraintes»). Les contributions jettent donc plutôt un éclairage sur quelques actes dont Anacréon, sans doute le plus célèbre puisqu’il fit l’objet de deux actes de ballet distincts, le premier sur un livret de Louis de Cahusac et créé à Fontainebleau le 23 mai 1754, le second sur un livret de Pierre-Joseph Bernard et créé en 1757 (il s’agissait alors de la troisième entrée des Surprises de l’Amour). Du fait de sa relative notoriété, Anacréon bénéficie d’ailleurs de pas moins de six contributions à lui seul, suivi par Pigmalion et Zéphire (deux contributions chacun). On découvre ainsi de multiples éclairages sur ces œuvres: intéressantes sont alors les précisions sur l’approche de la danse dans les ballets (cf. article de Laura Naudeix préc., p. 35), sur les différents types de pastorales en vogue à l’époque (cf. article de Benjamin Pintiaux «De l’affirmation générique à la référence thématique: les avatars du registre pastoral dans les actes de ballet de Rameau», pp. 41 sq.) ou sur la dimension comique chez Rameau (très bon article de Bertrand Porot à ce sujet, notamment les développements sur «le motif du rire», pp. 237 sq.). Si certains articles génériques permettent donc d’avoir une très bonne appréhension de ce genre spécifique qu’est l’acte de ballet (en premier lieu l’article de Thomas Soury), d’autres ont souhaité adopter un angle très spécifique, parmi lesquels on remarque notamment l’excellent et très convaincant article de Julien Dubruque qui démontre avec force que l’Ouverture des Fêtes de Ramire n’est pas de la plume de Rameau mais bel et bien de celle de Jean-Jacques Rousseau (pp. 141 sq.). L’alternance entre les deux approches dynamise le livre et permet au lecteur de papillonner s’il le souhaite pour passer en quelque sorte de la théorie (articles généraux) à la pratique (articles spécialisés).


Mais, si l’intérêt de l’ouvrage ne suscite aucun doute en tant que tel, on regrette trop souvent la pesanteur universitaire qui pousse parfois jusqu’à la caricature. Bien des articles adoptent ainsi un style jargonneux au possible ou inutilement pédant, qui rend la lecture parfois difficile et, en fin de compte, hérisse quelque peu le poil, l’approche académique n’empêchant pas de mettre toutes ces connaissances à la portée des uns et des autres quand bien même ils ne possèderaient pas de doctorat en musicologie. Qu’il s’agisse d’une grande partie de l’article conjoint de Théodora Psychoyou et de Raphaëlle Legrand («Anacréon et l’économie du plaisir au XVIIIème siècle», pp. 47 sq.), de passages de l’article de Sarah Nancy portant là encore sur AnacréonCelle-ci, de toute évidence, déborde l’"esthémè classique", dans laquelle les ingrédients non linguistiques ne pourraient être goûtés que comme des écarts justifiables par rapport à l’univers intelligible, pour éviter, au contraire, à une appréciation de la musique et de la danse pour elles-mêmes», p. 73) ou de passages de l’article d’Ana Stefanovic («il faut préciser que nous employons le terme mimésis musicale dramatique de préférence au terme ricœurien de "mimésis d’action" afin de souligner le lien étroit qui existe entre les genres mimétiques et les genres expressifs musicaux», p. 207), on tombe facilement dans ce que l’Université peut offrir de plus hermétique, voire de caricatural. L’art de la connaissance consiste parfois, sans bien sûr simplifier à l’extrême ou grossir inutilement le trait de ce que l’on souhaite étudier, à mettre ces vastes connaissances à la portée du plus grand nombre.


On l’aura donc compris: un ouvrage intéressant, indispensable même pour qui souhaite approfondir sa connaissance de l’œuvre de Rameau, mais à ne pas mettre entre toutes les mains, tant s’en faut...


Sébastien Gauthier

 

 

 

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