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05/03/2014
Bernard Fournier : Panorama du quatuor à cordes
Fayard, Collection Musique – 328 pages, 22 €





Must de ConcertoNet


Bernard Fournier, musicologue et violoniste-quartettiste, réussit avec éclat une synthèse de ses immenses connaissances en matière de quatuor à cordes, synthèse qu’il destine non au spécialiste mais «à l’amateur éclairé, au mélomane, au public de concert, [et] au discophile» qui souhaitent mieux pénétrer cet univers. Toutefois, la synthèse cristallise l’essentiel de manière tellement pertinente et claire que tous, peu important la spécialisation de chacun, y trouveront de quoi clarifier, parfaire ou élargir leur vision personnelle. La réflexion acérée sur le genre à toutes les époques de 1740 à nos jours, concise, dense, historique, philosophique et poétique, ne peut qu’apporter – si ce n’est que par le pur plaisir de retrouver l’essence du quatuor au travers d’une prose agréable – à ceux qui voudront s’y pencher jusques à ceux-là mêmes qui connaissent le fourmillant détail de ses quatre précédents ouvrages remarquables: L’Esthétique du quatuor à cordes et les volumes I, II et III de L’Histoire du quatuor à cordes, publiés chez Fayard respectivement en 1999, 2000, 2004 et 2010.


Après un préambule à triple portée – dont on apprécie en particulier l’examen de la palette sonore des cordes – et un chapitre consacré aux spécificités du quatuor et de son fonctionnement, l’ouvrage se construit par ordre chronologique et évolutif du moment fondateur lors de la période classique aux différentes tendances d’une période contemporaine en pleine effervescence. Chacune des parties se subdivise à l’envi pour aboutir à l’étude de quatuors spécifiques chargés de quelque importance significative, ou de pièces maîtresses du genre. L’analyse détaillée est écartée en faveur d’un commentaire posé et tout à fait pertinent mais plus ressenti, parfois plus imagé, qui permet au lecteur de situer les compositeurs et les œuvres plus précisément dans le temps et dans leur adéquation à l’esprit du temps, d’en déterminer les influences subies, les interactions et leur empreinte éventuelle, de prendre plus profondément conscience de l’apport au genre de corpus importants et de comprendre les lignes de forces principales des quatuors distingués. Le langage, par conséquent, ne comporte que les termes techniques essentiels, souvent connus sinon qu’il est bon de connaître – le glossaire en fin d’ouvrage en recense une petite centaine.


Comme pour chaque ouvrage, Bernard Fournier se concentre sur le fond qui se doit d’être instructif et enrichissant mais il soigne la forme. Son style élégant, fluide et agréable, toujours limpide et rigoureux en ce qui concerne le sens, peut se faire poétique et évocateur lorsqu’il s’agit de la nature des œuvres. Il éclaire ainsi le lecteur tout en le rapprochant du son même de la musique, d’avance connue ou non.


L’ensemble s’articule autour des périodes charnières et des grands noms fondateurs ou innovateurs dont les quatuors sont examinés de près: Haydn (fondateur), Mozart (dans une moindre mesure), Beethoven à l’apogée, Schubert (malgré le relatif désintérêt des romantiques), Dvorák (et les courants nationaux), Janácek (l’écriture de la vie), Schönberg (un nouvel univers harmonique), Bartók (le grand continuateur en esprit de Beethoven) et plus tard Chostakovitch ou Carter, par exemple. Il subdivise le renouveau du quatuor au XXe siècle, difficile à caractériser, en faisant référence, au travers d’attitudes positives ou hostiles, aux deux écoles de Vienne, y compris, parmi les positives à la seconde, celles des compositeurs qui adoptent la série mais en l’utilisant harmoniquement pour revitaliser une écriture encore chromatique. Petit à petit émergent les promoteurs des différentes esthétiques d’avant-garde, les promoteurs de l’esthétique du son et non de la note et les compositeurs qui ont su élaborer une manière moderne d’être classique. Parmi les autres tendances contemporaines, peut-être plus éphémères parce qu’elles peuvent négliger les ressources du genre, le renouveau par le déni, la nouvelle complexité, la nouvelle simplicité, l’hédonisme hypnotique du minimalisme répétitif et des esthétiques planantes et certains aspects d’une postmodernité sensible aux effets de mode. Bernard Fournier présente un riche éventail de compositeurs groupés par tendances ou par pays ou les deux à la fois, chacun vivement évoqués en quelques mots bien choisis. Il traite plus longuement les compositeurs devenus emblématiques d’une tendance et quelques indépendants au style éminemment personnel.


Le quartettiste et auteur de cet excellent ouvrage accentue à tout instant la perfection du genre et la pérennité, au-delà des dénis, des expérimentations iconoclastes et des effets de mode, du «vrai quatuor» (Hummel), de cette «épreuve par excellence qui révèle sans trucage et sans fards la valeur du musicien et la qualité de la musique qu’il porte en lui» (Albert Roussel). Le panorama de Bernard Fournier trace avec clarté toute l’histoire du genre, démontrant que le quatuor à cordes doit sa vitalité non à un statu quo viennois mais, en ses propres mots, à «une chaîne ininterrompue de réécritures faisant de cette histoire une sorte de palimpseste dont les innombrables couches se nourrissent indéfiniment les unes des autres». Quelles que soient ses connaissances au préalable, le lecteur en sort enrichi.


Le site de Bernard Fournier


Christine Labroche

 

 

 

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