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02/09/2012
James Lyon: Leos Janácek, Jean Sibelius, Ralph Vaughan Williams. Un cheminement commun vers les sources

Editions Beauchesne, Collection «Le Miroir des savants» – 719 pages, 59 € (prix de lancement) puis 79 €





James Lyon, musicologue et hymnologue, réunit ici dans une même approche hymnologique trois compositeurs presque contemporains que des mondes séparent en apparence mais qui ont en commun la volonté d’affirmer une identité musicale nationale en prenant appui sur les caractéristiques des sources orales de la musique traditionnelle et sur la musique de la langue. Leos Janácek (1854-1928), Jean Sibelius (1865-1957) et Ralph Vaughan Williams (1872-1958) ont d’autres traits en commun: ils sont théoriciens, humanistes et de vaste culture; ils captent l’essence mystique de la nature qui les entourent; leur profonde spiritualité les rend sensibles à la religion, sans religion; assimilant leurs racines musicales avec une grande pénétration d’esprit, ils aboutissent à une transcendance créatrice. Sur le plan de la composition musicale, se refusant à toute école, ils restent fidèles à leurs propres conceptions hautement originales, ils pratiquent une ambiguïté tonale et modale et une instabilité mélodique nées en partie de leur cheminement vers les sources musicales de leur pays. Par ailleurs, ils se donnent sans réserve au chant choral qui prenait à leur époque une place considérable dans les mondes musicaux morave, finlandais et anglais. Ils partagent aussi le souci de se détacher d’une influence allemande alors prépondérante.


Leurs compositions échappent à l’analyse musicologique telle qu’elle est traditionnellement menée mais se prêtent à merveille à une analyse hymnologique selon la définition élargie des hymnologues actuels. Celle-ci remonte d’abord aux sources de «hymne», mot grec sans doute dérivé du verbe uph (tisser), qui se réfère aux multiples sources et chants de l’aède. (C’est à noter que ce verbe a tant de force et d’importance dans l’esprit de l’auteur qu’il le met en valeur entre guillemets à chaque fois qu’il l’emploie). Selon James Lyon «l’hymnologie est une science qui s’occupe essentiellement des sources et du sens. Elle valorise spécialement la mélodie à partir de laquelle se "tisse" une herméneutique elle-même fondée sur une longue tradition [...] autant dans une dimension sacrée que sur le plan de la civilisation séculière». L’étude ou l’analyse hymnologique tisse ensuite des liens étroits avec la mythologie, la philosophie et, en premier lieu, avec la psychologie et avec le processus créateur. C’est dans cet esprit que l’hymnologue suisse sélectionne, aborde et analyse quelques oeuvres précises – pour Janácek, Jenůfa et La petite renarde rusée, pour Sibelius La Fille de Pohjola et le cycle de Lemminkaïnen, et pour Vaughan Williams, ce qu’il considère son œuvre phare: The Pilgrim’s Progress.


Après une longue introduction – prélude factuel et détaillé qui tisse les itinéraires croisés des trois compositeurs, soulignant leur esprit de recherche, leurs prises de position, la qualité de leurs écrits et l’importance des rencontres fortuites ou attendues – viennent les trois parties principales de l’ouvrage consacrées chacune à l’un des trois compositeurs pris par ordre chronologique. James Lyon applique à chacun toute sa science hymnologique qui situe leur parcours en amont au coeur des sources et du savoir du peuple (folk-lore) et en aval sur un oeuvre qui atteint l’universel. Lyon trace l’historique des sources et des collectes, l’historique de la genèse des œuvres et la réception qu’on leur réserve, mais son approche d’hymnologue souligne le caractère mythologique des livrets, ou du Kalevala pour Sibelius, trouvant à l’occasion des parallèles avec la mythologie grecque. Prenant son élan sur les principes de l’herméneutique et de la psychologie, il propose une exégèse des attitudes symboliques des personnages et le sens caché des différents aspects du récit, avec à l’appui son analyse musicologique et interprétative des tonalités et modes, des altérations, de l’ambitus, du caractère des intervalles et des motifs et de la progression musicale. Les compositions de Sibelius en sont une synthèse intuitive et pénétrante, une transcendance musicale basée sur sa compréhension profonde du Kalevala et sa propre émotion, son intériorité, devant l’épopée en soi et son statut de symbole national. Celles de Janácek intègrent sa philosophie personnelle, ses recherches minutieuses, en particulier sur les mélodies du langage parlé («nápěvky mluvy»), et, au-delà, bénéficient de son savoir en psychologie. Plus du tiers du texte (220 pages sur 506) se consacre à Vaughan Williams, compositeur, collecteur (folksongs et hymn-tunes) et théoricien, peut-être parce que le terme hymnologie lui correspond aussi bien dans le sens restreint que dans le sens actuel, ou parce que ses propres démarches touchent à l’hymnologie, ou encore parce que le parcours de John Bunyan, auteur du Pilgrim’s Progress, relève aussi de certaines préoccupations hymnologiques. Cette partie est presque un ouvrage en soi, indépendant hormis les parallèles toujours existantes avec les deux autres compositeurs. Lyon fait un portrait valorisant de ce musicien attachant et des multiples aspects de son vaste catalogue souvent injustement méconnu.


Profondément convaincu que le menu détail, et jusqu’au plus infime, relève non du hasard mais de la psyché, du conscient, du surconscient et du subconscient tout autant du musicien que des personnages en jeu, Lyon procède à une interprétation des œuvres précitées qui investit de sens la moindre couleur, la moindre fluctuation. Le dernier chapitre, la conclusion, en devient une plaidoirie en faveur de la riche association de l’hymnologie et de la psychologie qui mène, selon James Lyon et le psychologue Paul Diel, non seulement à l’approfondissement de leur science mais à une possibilité d’analyse objective et juste. «L’œuvre d’art est donc subjective en tant qu’expression d’une psyché personnelle unique et, en tant que reflet de la légalité qui régit les motifs intimes de l’artiste, sa valeur, sa beauté, peut être définie avec objectivité». James Lyon en convient néanmoins: une appréciation voulue objective reste tributaire du degré d’objectivité de son auteur.


Outre des notes détaillées, une bibliographie et un index des noms propres, l’ouvrage contient un précieux «Dictionnaire biographique» d’une petite centaine de pages qui rend compte de quatre cent soixante-dix-sept personnalités importantes croisées au fil des pages. Cette partie restera un outil de référence.


C’est un ouvrage érudit, fouillé à l’extrême, qui n’examine aucun phénomène isolé mais qui, au contraire, le situe dans l’histoire d’un pays et l’esprit d’une époque en dessinant avec clarté les cheminements personnel, national et international qui justifient la logique de son aboutissement. Construite ainsi, l’approche des trois compositeurs, esprits libres, et des œuvres élues s’élargit à une interprétation philosophique, mythologique, symbolique et psychologique, c’est-à-dire à une interprétation pleinement hymnologique et musicale, toujours intéressante si on peut à la rigueur la trouver trop poussée sur certains points. Lyon «tisse» des liens multidirectionnels et multidimensionnels en permanence et l’ouvrage en devient comme une gravure d’Escher défiant l’espace et le temps ou une projection en 3D d’une image fractale dans toute sa complexité bienvenue.


Le site de James Lyon


Christine Labroche

 

 

 

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