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12/22/2010
Simon Gallot : György Ligeti et la musique populaire

Symétrie, collection Perpetuum mobile 2010 – 285 pages, 44 €





«György Ligeti composa une musique personnelle qui s’appropria les cultures musicales à l’échelle planétaire»». La déclaration de Simon Gallot, provocatrice ou déroutante, vient vers la fin de sa monographie qui porte un titre dont la belle simplicité est en un contraste d’apparence total: György Ligeti et la musique populaire. Les deux énoncés imbriqués présentent plusieurs niveaux de lecture, au sens profond, que Simon Gallot développe, étaie et affine au cours de son ouvrage avec une rigueur érudite et une ouverture d’esprit remarquables. Il en révèle les complexités bienvenues et dégage une vision nouvelle du compositeur, plus rationnelle et plus satisfaisante par «le fait que la vie et la création de Ligeti [y] forment une seule unité depuis sa prime enfance et jusqu’à la fin». C’est en ces termes dans la préface que György Kurtág salue, entre autres points, la réhabilitation de la période dite «hongroise» de Ligeti, si souvent laissée pour compte par les musicologues et les mélomanes comme si son départ pour l’Occident en 1956 était une rupture et non une décision qui s’inscrivait dans la logique du parcours cohérent et de la continuité de pensée du musicien. En effet, Ligeti écrivit en 1950 un texte sur la musique populaire qui contient des notions dont il fera son credo dans les années 1960 et il datait lui-même de 1950, quand il eut «l’idée de ce qui devint plus tard Visiók et Apparitions», le sentiment d’avoir trouvé son style personnel.


Si l’on peut néanmoins dégager trois périodes dans l’œuvre de Ligeti, si l’on peut cerner les différentes manières dont les musiques populaires peuvent nourrir son inspiration et les différents niveaux auxquels cette influence peut éventuellement être sensible dans sa musique, Simon Gallot fait état des constantes qui traversent la vie et l’œuvre du compositeur depuis l’enfance. En tout premier lieu on trouve une curiosité insatiable. Les centres d’intérêts de Ligeti couvrent de nombreuses sphères sans jamais qu’il ne reste à la surface des choses – sciences naturelles, linguistique, cultures populaires, histoire, politique, mathématiques dont les fractales... – et chaque sphère devient pour lui une source intarissable de possibilités musicales en raison de sa capacité à inventer à partir d’elle des systèmes nouveaux, aux éléments combinables, aussi solides que tout autre procédé qui au siècle dernier tentait de remplacer ou de suppléer un système tonal épuisé. Des références hongroises, roumaines, slovaques et serbes, qui pénétraient son enfance, à celles de l’Afrique, qui ont tant compté pour lui, et bien au-delà, quand il s’agit de cultures populaires, en plus des structures et de l’attrait certain de l’hétérophonie ou de la polyrythmie, par exemple, ce ne sont pas seulement les hauteurs et les intervalles des sons, purs ou impurs, qui l’inspirent mais leur épaisseur et leur rugosité nées parfois de péripéties interprétatives. Son art peut aller jusqu’à effacer toute trace perceptible des influences d’origine et en tous les cas sa musique conserve une indépendance et une originalité entre cérébralité et affect.


Simon Gallot n’avance rien sans preuve. Chaque point est soutenu par des exemples tirés de l’œuvre de Ligeti souvent accompagnés d’extraits de partition significatifs, par des références bibliographiques annotées, par des illustrations pertinentes, ou, le cas échéant, par le détail biographique. L’accent se porte, dans ce dernier cas, sur l’enfance et les années formatrices, sources de problèmes identitaires, religieux, philosophiques et dangereusement politiques jusqu’en 1956, qui ont forgé le caractère et la personnalité du compositeur. C’est un travail hautement documenté d’universitaire qui met à profit les nombreux manuscrits maintenant détenus par la Fondation Sacher de Bâle dont les cahiers d’esquisses d’entre circa 1939 et 1953 qui lui permettent de souligner l’importance des partitions inédites du compositeur pour une meilleure compréhension de son évolution musicale. On n’oublie pas les travaux antérieurs de Simon Gallot; docteur en musicologie, il est l’auteur d’un mémoire et d’une thèse datant de 2005, tous deux consacrés à Ligeti qu’il eut le bonheur de connaître au cours de ses études à la Hochschule de Hambourg.


Grâce à ce même travail approfondi de chercheur et de musicologue, Gallot établit la filiation qui existe entre Ligeti et Bartók et, d’une importance bien moindre, celle de plus courte durée entre Ligeti et Kodály. Il examine également la relation indirecte, qui existait avant Darmstadt, entre Ligeti et Schönberg et la deuxième Ecole de Vienne, relation peu fructueuse mais dont le compositeur avait retenu la possibilité d’un statisme formel. Gallot souligne aussi son éclectisme musical. Lors du chapitre essentiel «Le déploiement de l’Urtraum», le musicologue, qui semble avoir saisi l’essence de Ligeti jusqu’au plus intime, dégage ce que le compositeur appelait ses «névroses de réfugié», c’est à dire des préoccupations telles des problèmes d’identité et la peur de la mort ou de temps apocalyptiques qui se révèlent lors d’écrits ou de compositions ouvrant sur des mondes parallèles aux mécanismes déréglés, souvent dans l’ambiguïté d’un double sens ironique.


Toujours avec des exemples tirés des partitions, l’ouvrage offre en outre ce qui ne pourra manquer de passionner tout amateur de Ligeti – le texte en hongrois avec, en vis-à-vis, la traduction en français, de Claire Delamarche ou de Gallot lui-même, des poésies populaires et des poèmes de grands poètes hongrois mis en musique par Ligeti et classés par l’auteur en un catalogue thématique commenté. A part, viennent les poèmes de Sándor Weöres tant appréciés de Ligeti pour leur sens et la potentialité musicale de leur syntaxe. En fin d’ouvrage, est présentée la traduction de deux textes essentiels de Ligeti à propos de la musique populaire roumaine. Ils datent de 1950 et de 1953.


Le lecteur trouvera selon ses attentes le catalogue des œuvres mis à jour grâce au travail de Simon Gallot sur les plus récentes acquisitions de la Fondation Sacher, une bibliographie chronologique d’écrits de Ligeti et d’écrits le concernant, l’index des noms propres et une discographie du compositeur et de musiques en rapport direct avec lui. C’est à noter que quand Ligeti participait aux enregistrements de ses œuvres il lui semblait perpétuer dans un sens nouveau la tradition orale de la musique populaire.


Malgré l’importance aujourd’hui reconnue du compositeur hongrois et l’abondance d’articles qui le concernent directement ou par le biais, il n’existe pratiquement pas de monographies en français à son sujet. György Ligeti et la musique populaire comble ce vide de façon magistrale. Fruit de recherches minutieuses menées à bien, l’ouvrage est d’une lecture aisée et agréable grâce à la limpidité de son style mais il n’en est pas moins d’une grande densité souvent technique dont l’acuité invite plusieurs approches et d’une pénétration et d’une clairvoyance telles qu’il ne laissera insensible ni le spécialiste exigeant ni le simple mélomane. Excellent.


Christine Labroche

 

 

 

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