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08/20/2010
Lettres de compositeurs à Camille Saint-Saëns

Présentées et annotées par Eurydice Jousse et Yves Gérard
Symétrie Perpetuum mobile, 683 pages, 2009, 49 euros





Dix mille lettres au musée de Dieppe, qui ne constituent qu’une partie de l’énorme correspondance du musicien : de quoi satisfaire la curiosité du chercheur. Il est vrai que Saint-Saëns a vécu longtemps et, surtout, était une institution. Quel compositeur ne le connaissait pas, ne lui écrivait pas, de France ou d’ailleurs, pour solliciter son aide ou sa participation à un concert, lui dire son admiration, le féliciter pour une promotion, lui annoncer simplement sa visite ? Qui n’avait-il pas rencontré ou côtoyé ? Le Centre d’études romantiques français, dont le siège est au Palazetto Bru Zane à Venise, présente ainsi près de six cents lettres adressés à Saint-Saëns, issues du fonds du musée de Dieppe, remarquablement présentées et annotées par Eurydice Jousse et Yves Gérard – dont on attend toujours impatiemment l’opus de référence sur le compositeur de Samson et Dalila. Tout un pan de la vie musicale française et européenne – voire américaine - ressuscite, montrant bien le rayonnement international de Saint-Saëns, lié, par exemple, à Bülow ou Tchaïkovski. Côté français, les plus illustres côtoient les moins connus ; on ne trouvera pas, en revanche, les noms de Fauré, de Lecocq ou de Durand – l’éditeur était aussi compositeur : trop abondantes, ces correspondances ne pouvaient prendre place dans le volume – et celle avec Fauré a déjà été éditée.



Paul Dukas, qui revendique par ailleurs un « wagnérisme raisonnable », voudrait toucher des droits d’auteur sur la Frédégonde de Guiraud, dont Saint-Saëns lui a fait orchestrer les trois premiers actes. Théodore Dubois veut, comme lui, barrer à Strauss la route de l’Institut et se lamente sur le « chaos sans nom » que constitue à ses oreilles la musique de « certains de nos jeunes compositeurs ». Eugène Gigout voudrait succéder à Franck à la tête de la classe d’orgue du Conservatoire – il attendra vingt ans. Gounod le félicite pour ses Légions d’honneur. Grieg lui recommande un facteur de pianos norvégien. Reynaldo Hahn, pour qui L’Heure espagnole est « trop cacophonique », assure avoir tout fait pour permettre une exécution honorable d’Ascanio. Augusta Holmès le remercie d’aimer sa Montagne noire, « pour laquelle on [l]’a attachée au poteau, et criblée de flèches et de boue ». Julien Koszul tente de le consoler d’avoir été interdit ou sifflé en Allemagne, à cause de ses positions sur Wagner. Liszt lui dit toute son estime et fait l’éloge du Deuxième Concerto pour piano ou de la Messe op. 4. Messager compte sur son intervention pour être élu à la tête des Concerts du Conservatoire – il patientera sept ans.



Bref, la petite et la grande histoire de la musique française, avec ses querelles et ses polémiques, confirmant que Saint-Saëns incarne avant tout une certaine tradition, un certain esprit français : ce n’est sans doute pas un hasard si Reynaldo Hahn lui présente Milhaud comme « un de ces êtres difformes au point de vue auditif, à qui la musique tonale est désagréable, et dont l’esprit malade ne peut souffrir la logique et le goût, qui règnent dans votre bel ouvrage [Ascanio] » ! Certes. Mais, comme l’écrit Yves Gérard, « Saint-Saëns restera, aux yeux de tous, même sous le regard de Debussy et dans l’admiration de Ravel pour ses œuvres, le « passeur » entre l’aura et la prégnance de la musique romantique allemande et l’établissement – le renouveau diront certains – d’une certaine esthétique musicale française, faite de clarté, de concision, d’arabesques et d’ellipses, de savantes et raffinées orchestrations, qui permettra à Fauré vieillissant, à Debussy et à Ravel de devenir les novateurs qu’ils ont été. » On ne saurait mieux dire.



Puisse ce précieux et substantiel volume, joliment et richement illustré, contribuer à nous enrichir ou modifier notre jugement sur Saint-Saëns et, surtout, à nous faire réécouter sa musique. Et ne regrettons pas trop le petit nombre de lettres d’un Berlioz, d’un Bizet ou d’un Wagner : comme le dit Yves Gérard, ils se voyaient assez souvent pour ne pas avoir à s’écrire. C’est d’ailleurs à Saint-Saëns, plus tard son détracteur acharné, que Wagner fait appel pour jouer au piano sa musique chez l’ambassadeur de Prusse trois mois après la malheureuse création parisienne de Tannhäuser. Et Cosima, pour lui faire oublier le mauvais accueil des Allemands, l’invite à Bayreuth…


Didier van Moere

 

 

 

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