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03/20/2010
La Grande Guerre des musiciens
Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes, Georgie Durosoir (direction scientifique) – Aude Caillet, Rémy Campos, Mathieu Ferey, Didier Francfort, Charlotte Segond-Genovesi, Florence Gétreau, Dominique Huybrechts, Sara Iglesias, Alexandra Laederich, Patrice Marcilloux, David Mastin, Carine Trevisan
Symétrie – Collection Perpetuum mobile – 248 pages, 45 €





Avec Composer sous Vichy de Yannick Simon, Symétrie publiait une remarquable synthèse sur la vie musicale française pendant l’Occupation. La Grande Guerre des musiciens se concentre pour sa part sur le premier conflit mondial en France, dont l’aspect musical reste encore largement à explorer, mais différemment puisqu’il regroupe quatorze contributions rédigées par autant de musicologues et historiens. L’ouvrage balaie des aspects pour le moins contrastés. C’est que la musique, pas seulement militaire (à laquelle est bien sûr consacré un article à part entière), concernait tant le front que l’arrière, les mobilisés comme les réformés, les musiciens devenus soldats – moins contre leur gré qu’on pourrait l’imaginer – comme les institutions scolaires, vidées d’une partie de leurs enseignants, et autres sociétés telle la Société française de musicologie fondée en 1917. La Grande Guerre occupe l’esprit des compositeurs et interprètes, particulièrement patriotes et engagés, y compris ceux devenus trop âgés pour combattre. La pratique de la musique, sur le champ de bataille comme au concert, permettait d’entretenir « un lien avec leur part d’humanité ».


Le premier article aborde non la musique mais une dimension que la mémoire collective tend probablement à oublier compte tenu des images muettes illustrant le conflit : l’impact incommensurable du bruit, omniprésent et causé par les nouvelles technologies mises en œuvre, et d’ailleurs perfectionnées, durant ces longues années (avions, canons, etc.). L’oreille devenait plus encore un organe d’une importance capitale pour survivre mais la cacophonie plongeait les combattants dans un état second. La musique avait également pour fonction d’encourager ces derniers, même à deux doigts de la mort : les pipes and drums de l’armée britannique témoignaient d’un courage voire d’un héroïsme inouï, certains n’hésitant pas à jouer de leur cornemuse sous les tirs, mettant ainsi leur vie en danger. Pendant les instants de répit, des poilus fabriquaient des instruments aux formes improbables avec les moyens du bord (bassine, bidon) – certains sont exposés à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. François Gervais, musicien de l’Orchestre Lamoureux, a ainsi documenté avec force détails son violoncelle mis au point par un compagnon d’infortune. A l’arrière, mais à proximité des lignes de combat, des manifestations furent organisées, dont le concert du 17 décembre 1917 dans la cathédrale de Noyon mis sur pied dans des conditions rocambolesque par Caplet et Durosoir. Dans un élan patriotique, le très populaire chanteur Félix Mayol n’hésitait pas à se produire pour les soldats, au front ou à l’hôpital.


La musique doit-elle être pure ou engagée politiquement ? Cette question, bien des créateurs se la sont posée mais les compositions montrent la diversité de leur réponse, l’article analysant à titre d’exemples Une ouverture patriotique de Reger, Histoire du soldat de Stravinsky et la Sinfonia Germanica de Schulhoff. Force est toutefois de constater l’impuissance à traduire en notes l’horreur des combats. Trois compositeurs font chacun l’objet d’un essai: Albéric Magnard, dont les circonstances de la mort au début du conflit restent quelque peu obscures, Charles Koechlin, trop âgé pour prendre les armes mais qui a donné de sa personne pour soigner les blessés mais aussi militer pour la musique française en ces temps de nationalisme exacerbé, ainsi que Joseph-Guy Ropartz, dont les efforts à Strasbourg après le conflit pour défendre le répertoire national sont analysés en détail.


Les musiciens, mobilisés ou non, ne furent pas oubliés grâce à l’énergie déployée par Nadia Boulanger et sa sœur trop tôt disparue pour instiguer et animer le Comité franco-américain destiné à leur apporter un soutien moral et matériel. Une publication, la Gazette des classes du Conservatoire, est conçue pour permettre aux élèves, anciens et professeurs éparpillés par les circonstances de rester en contact. Mais cette initiative a priori louable dérapa dans les accusations de lâcheté vis-à-vis de ceux qui ne répondaient pas, comme l’illustrent les caricatures déplaisantes qui parsèment ces publications. En ce temps-là, il était mal vu de ne pas porter les armes...


Condensant, malgré sa relative brièveté, une impressionnante somme d’informations, cet ouvrage d’une grande rigueur est riche en enseignements, notamment sur la façon dont le génie créatif de l’homme s’adapte en temps de guerre. S’il n’entend pas faire le tour de la question, au demeurant vaste, il passionne et suscite bien des émotions. Comme d’habitude chez Symétrie, le soin apporté à l’édition est irréprochable (nombreuses notes de bas de page, iconographie, index des œuvres et des personnes).


Sébastien Foucart

 

 

 

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