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10/11/2008
Gérard Grisey : Ecrits ou L’invention de la musique spectrale

Edition établie par Guy Lelong avec la collaboration d’Anne-Marie Réby
Editions MF, collection Répercussions – 375 pages, 22€






Malgré les œuvres marquantes d’illustres prédécesseurs à la Villa Médicis, Gérard Grisey, pensionnaire entre 1972 et 1974, est sans doute l’un des seuls à y avoir conçu une œuvre, Périodes créée à la Villa, qui contenait les éléments fondateurs d’un courant musical qui allait influencer, modifier et peut-être bouleverser les principes essentiels de la création musicale de son époque et leur évolution consécutive. Il s’agit de «l’invention de la musique spectrale».


Dix ans après la disparition prématurée de Gérard Grisey, les Editions MF publient dans la collection Répercussions l’ensemble de ses écrits significatifs, connus à ce jour, grâce au travail éditorial à la fois rigoureux et inspiré de Guy Lelong, son ami, écrivain, critique et chercheur, assisté d’Anne-Marie Réby, docteur-ès-lettres en musique et musicologie. C’est un ouvrage remarquable, informé, informatif, passionnant à lire, qui ne peut être autre que d’un grand intérêt, voire indispensable, pour qui étudie ou apprécie la musique de Gérard Grisey précisément, la musique du courant dit «spectral» en général ou la musique contemporaine dans son ensemble.


Les textes réunis proviennent principalement de publications anciennes (certaines maintenant difficilement trouvables), et, pour les textes inédits, des archives de la Fondation Paul Sacher (Collection Gérard Grisey). Par ailleurs, une sélection d’écrits liés à la musique proviennent de collections privées : il s’agit essentiellement d’extraits de lettres à des amis, d’extraits de son journal et de fragments épars, non datés. Tous les écrits inédits publiés ici le sont avec l’accord de son fils, Raphaël Grisey, et de la Fondation Paul Sacher. L’ouvrage s’organise par le regroupement des textes en six volets bien délimités qui mènent le lecteur de l’élaboration progressive des concepts compositionnels du grand théoricien qu’était Gérard Grisey à des considérations toujours touchant uniquement à la musique mais exprimées dans un registre plus intime. En filigrane de l’essentiel, qui est sa pensée musicale, se dessinent les contours du monde musical de son époque et, plus pleinement, un portrait émouvant de l’homme et de l’ami.


Les six volets se présentent chacun par ordre chronologique, les écrits se situant le plus souvent entre les années 1970 et les années 1990 mais remontant à 1967 pour Charme, la première œuvre commentée, et exceptionnellement jusqu’en 1961 (Grisey avait quinze ans). Les volets se complètent, certaines années étant davantage représentées dans les uns que dans les autres. Chaque volet réunit des textes d’une même catégorie et c’est ainsi que l’ensemble va du registre soutenu, théorique, au plus intime qui laisse à l’occasion paraître des flamboiements de tendresse et d’humour : «Ecrits sur les principes de composition», «Ecrits sur les œuvres», «Autres écrits et textes de circonstance», «Entretiens», «Lettres», «Pages de journal». Seulement deux textes plus théoriques du premier volet sont illustrés, et ce par de nombreux extraits musicaux.


Une lecture en continu, volet après volet, permet à chaque fois de suivre une même idée à tous les stades de son élaboration, c’est-à-dire de voir s’approfondir et s’affiner à travers les années le moindre élément d’une pensée complexe qui trouve un équilibre merveilleux entre le scientifique et l’esthétique, la raison et l’imagination créatrice. Une deuxième lecture en parallèle des six volets par année permet d’intrigants recoupements entre certitudes et recherches, affirmations et interrogations, principes visionnaires et espoirs, et c’est tout à fait instructif de voir se constituer et évoluer ici, à tous les niveaux à la fois, les fondements de la musique «spectrale» au fur et à mesure de la composition du cycle Les Espaces acoustiques, qui en représente les étapes, et, au-delà, une pensée musicale tout à fait originale, convaincante et profonde.


Autour des «Ecrits» de Gérard Grisey proprement dits, viennent en soutien les travaux d’inventaire et de documentation de Guy Lelong et d’Anne-Marie Réby, si précieux au lecteur. Tout est utile jusqu’aux remerciements détaillés de la première page qui sont ipso facto une mine d’informations. En fin d’ouvrage, avant l’habituel index des noms et après un album de photographies informatif et émouvant, vient un dossier très complet qui contient, comme on peut s’y attendre, le catalogue des œuvres, une chronologie, discographie, bibliographie («sommaire»), filmographie et radiophonie, mais aussi la liste des concerts d’anniversaire de janvier 2008 en octobre 2009. La deuxième partie du dossier se consacre aux notices et compléments des Ecrits, traités page après page. On y trouve des précisions, des mises au point et des commentaires issus de la rédaction, quelques textes d’amis, musiciens et interprètes et certains textes encore de la plume de Grisey dont des notes relatives à l’exécution de certaines œuvres au concert. C’est un ensemble très riche sans superflu aucun.


L’introduction de l’ouvrage est en trois parties, une note sur l’édition et les sources et droits des textes publiés venant après un texte d’introduction de Guy Lelong. Ce texte, remarquable, s’intitule «L’œuvre du son» et il s’agit non seulement d’une introduction à l’organisation raisonnée de l’ouvrage mais plus essentiellement d’une excellente introduction informée à la pensée musicale de Gérard Grisey et donc à la musique dite «spectrale». Guy Lelong en trace l’historique, en dessine la nature, en décrit les facteurs compositionnels, souligne l’importance accordée à la perception, minimise à bon escient le rôle de l’électroacoustique et de l’informatique et évoque les problèmes inhérents au terme «spectral», à la fois trop flou et trop précis (donc restreint), si souvent contesté mais in fine admis. Il en présente les principaux protagonistes, Grisey en tête, et met en mémoire ainsi les musiques si différentes auxquelles l’attitude ou la «pensée spectrale» (Dufourt) peut donner naissance.


Guy Lelong : «Quoi qu’il en soit des évolutions parallèles ou concurrentes des compositeurs qu’on regroupe aujourd’hui dans le courant de la musique spectrale, il est sûr que la pensée de Gérard Grisey, si elle s’appuie sur un renouvellement des techniques de composition, lui a surtout fait élargir toujours davantage le champ des sonorités qu’il désirait intégrer à la musique. L’évolution, tant du compositeur que du théoricien, est de ce point de vue l’une des plus exemplaires de la musique du XXe siècle».


La lecture des «Ecrits» de Gérard Grisey est à la fois une recherche, une étude, une révélation, une satisfaction et un plaisir et on peut remercier Guy Lelong de son excellent travail éditorial qui donne à l’ensemble toute la cohérence et la clarté nécessaires. Au-delà vient la merveille de la musique. Comme Debussy l’écrivait de Bach, on pourrait écrire de Grisey : «malgré la sévère discipline qu’imposait ce grand maître à la Beauté, elle put se mouvoir avec cette libre fantaisie toujours renouvelée qui étonne encore à notre époque».


La page de Gérard Grisey sur le site de l’IRCAM
Le site des Editions MF


Christine Labroche

 

 

 

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