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Maria de P. Larraín 02/05/2025 Maria
Angelina Jolie (Maria Callas adulte), Valeria Golino (Yakinthi Callas), Haluk Bilginer (Aristote Onassis), Alba Rohrwacher (Bruna Lupoli), Pierfrancesco Favino (Ferruccio Mezzadri), Kodi Smit‑McPhee (Mandrax), Alessandro Bressanello (Giovanni Battista Meneghini), Caspar Phillipson (John Fitzgerald Kennedy), Vincent Macaigne (Docteur Fontainebleau), Lydía Koniórdou (Lista Callas)
Pablo Larraín (réalisation)
Film multinational (2024) – 124’

Encore un biopic traduisant l’engouement croissant du cinéma pour le classique. Mahler et Lisztomania de Ken Russell étant hors catégorie, le mouvement amorcé par la Chronique d’Anna Magdalena Bach de Jean‑Marie Straub et Danièle Huillet et surtout l’Amadeus de Milos Forman (sur Mozart), poursuivi par Toscanini de Franco Zeffirelli, Tous les matins du monde d’Alain Corneau (sur Marin Marais et Jean de Sainte‑Colombe), Farinelli et Le roi danse (sur Lully) de Gérard Corbiau, Le Cas Furtwängler d’István Szabó, Il Boemo de Petr Václav (sur Josef Myslivecek) et Boléro d’Anne Fontaine (sur Ravel) s’accélère et se poursuit cette fois avec Maria, consacré à la soprano Sophia Cecilia Anna Maria Kalogeropoulos, plus connue sous le nom de Maria Callas (1923‑1977). Attention, le film ne doit pas être confondu avec un autre Maria, film biographique sorti l’an dernier sur l’actrice Maria Schneider et revenant notamment sur le tournage du film Le Dernier Tango à Paris. Rien à voir, si ce n’est qu’il s’agit de deux femmes, bafouées et poussées autrefois à des limites qu’on juge aujourd’hui inacceptables et qui en sont ressorties brisées.
Le film, annoncé dans nos colonnes à l’occasion de nos commentaires sur le roman d’Eric‑Emmanuel Schmitt sur la Callas, La Rivale, a été présenté à la Mostra de Venise l’an dernier mais vient simplement de sortir en France. Il a été largement tourné en Hongrie avec des moyens hongrois en 2024 par Pablo Larraín, un metteur en scène chilien (né en 1976) qui s’est spécialisé dans le biopic. Après Neruda et Pinochet, il continue avec Maria ses portraits de femmes célèbres puisqu’il a réalisé Jackie sur Jacqueline Kennedy-Onassis et Spencer sur Diana Spencer, « Lady Di ». En attendant l’intelligence artificielle pour reconstituer la voix de tous les jours de la cantatrice pour un récit et la refaire vivre – ça viendra –, il a fait appel pour porter le film et incarner la diva à une autre diva qui a déjà montré qu’elle ne craignait pas les challenges et savait prendre des risques en tant qu’actrice, réalisatrice et productrice : Angelina Jolie. Tout le film repose sur ses épaules. Il lui faut coller au plus près à l’image qu’on a tous de Maria Callas mais aussi, à la fois, faire d’une certaine façon oublier la vraie Maria Callas dont on dispose de très nombreuses images filmées, en dehors bien entendu de ses célèbres enregistrements, souvent captés sur le vif et parfois pirates. C’est un peu la quadrature du cercle, habituelle à vrai dire lorsqu’il s’agit de personnages connus. Mais ici on bute forcément sur l’épineuse question de la voix. Sans doute, diront certains, comme pour Aznavour ou Bob Dylan, objets de films récents, mais en fait la voix de ces chanteurs n’a jamais exercé une fascination comparable à celle de Maria Callas, unique pour l’éternité et sur laquelle on a tant écrit. Pablo Larraín s’en sort pourtant plutôt bien à cet égard : la problématique de la voix est subtilement réglée ou atténuée dans le film par des appels à celle d’Angelina Jolie, sa voix étant mêlée avec des pourcentages variables à celle de Maria Callas, et surtout par le fait que n’est traitée que par de brefs flashbacks la grande période de la soprano, grâce à de vraies images d’archives mais surtout des fausses, avec l’actrice. Est privilégié le moment où la voix de la cantatrice déraille, ce qui tombe bien car si Angelina Jolie s’est dit‑on préparée au rôle pendant plus de six mois, elle n’a jamais chanté, même dans un autre répertoire. Elle ne pouvait jouer à l’évidence dans la même catégorie que la Callas des années cinquante. Le point de départ du film est ainsi le point d’arrivée de la cantatrice, selon un schéma vu maintes fois et dénué d’originalité – après la gloire, la décadence comme dans Raging Bull – mais qui, avec la présentation des affres de la diva, permet d’évacuer une grande partie du problème. Alors que sa carrière est terminée, Maria se remémore ses succès et fait face seule à ses souvenirs, brillants ou sombres, dans son appartement de l’avenue Georges-Mandel à Paris où elle passa ses derniers jours alors que l’adulation, l’hystérie, la fascination, un peu recherchées quand même, ont fait place dès après 1958 à la critique impitoyable, aux ragots et aux calomnies, peut‑être à la hauteur des immenses déceptions suscitées par la cantatrice, et surtout alors que les cordes vocales ne suivent plus et l’écartent des scènes du monde.
Qu’apporte le film ? Rien à la gloire de Maria Callas, c’est évident. Pas plus que la précédente tentative de traiter la légende, Callas pour toujours de Franco Zeffirelli, avec Fanny Ardant (plus ressemblante) dans le rôle‑titre (2002). Callas n’a pas besoin de films, et les films, même avec Angelina Jolie comme locomotive, ne la feront probablement pas découvrir à ceux qui l’ignoreraient encore. Du point de vue cinématographique, l’impression retirée de la réalisation de Pablo Larraín est en tout cas mitigée. Les décors, les costumes, les reconstitutions sont soignés. Le réalisateur est sans doute passionné par l’opéra et se sait scruté par des fanatiques de Callas, des inconditionnels allant jusqu’au fétichisme comme on l’a vu lors de ventes aux enchères d’effets personnels de la cantatrice. On a d’ailleurs droit à un appartement chargé de bustes antiques, de tableaux, de robes, de chaussures, de sacs à main, etc. Mais les dialogues sont insupportables de lourdeur, Maria parle américain à sa sœur et Onassis, le visage dépressif de Callas finit par fatiguer, on ne croit vraiment pas qu’Angelina Jolie chante (surtout au début), les scènes improbables se succèdent (ensemble de cordes jouant sous la pluie, multitudes de personnages potiches à différents moments), on a droit à un long extrait orchestral de Parsifal, œuvre qui n’a quand même pas été au cœur de la carrière de Callas, et le film s’attache beaucoup aux caprices de la diva alors qu’ils ne lui sont pas propres et ne la grandissent pas, et surtout à ses problèmes intimes, parfois aussi sordides qu’hypothétiques. Bref, on est très loin de son chant. La tragédie de la fin de la Callas n’explique pas ses dons de tragédienne, sur la scène comme de soprano dramatique colorature. Du coup, la distance entre ces aspects et le chant fait que ce timbre incroyable, qu’on entend quand même dans le film dans toute sa beauté, qu’on reconnaît entre tous, plombe en fait tout le reste, c’est-à-dire le film lui‑même. Ils le rendent banal. Tout ce qui n’est pas chant paraît dérisoire, sans intérêt. On a envie d’ordonner à tous ceux qui gravitent autour du personnage central de la fermer.
Peut-on faire pire ? Certainement. Peut‑on faire mieux ? Ce n’est pas sûr. Les tentatives pour monter des films sur la vie de Maria Callas ont été semble‑t‑il assez nombreuses. On comprend qu’elles aient échoué car on se dit en sortant de la salle que décidément Maria Callas n’est pas Jeanne d’Arc, que c’est un sujet impossible au cinéma et qu’il eût mieux valu faire preuve d’un peu d’imagination pour construire un film moins risqué que le biopic et surtout plus original sur l’opéra, Diva de Jean‑Jacques Beineix constituant par exemple un coup d’essai contestable mais autrement plus intéressant.
Maintenant, on suivra avec curiosité le match entre Callas et Bob Dylan (film Un parfait inconnu de James Mangold, sorti quasiment en même temps) : qui va gagner au box‑office ?
La bande-annonce du film
Stéphane Guy
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