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Le Choix du pianiste de J. Otmezguine 02/02/2025 Le Choix du pianiste
Oscar Lesage (François Touraine adulte), Pia Lagrange (Rachel), Zoé Adjani (Annette), Philippe Torreton (Le père de François Touraine), Laurence Cote (La mère de François Touraine), Andréa Ferréol (La mère de Rachel), André Manoukian (Paul Paray)
Jacques Otmezguine (réalisation)
Film français (2024) – 106’

Le film, réalisé en 2024 et projeté un première fois au festival du film francophone d’Angoulême de l’an dernier mais qui vient de sortir au niveau national, n’est que très faiblement diffusé sur les écrans de cinéma. A Paris, seuls quatre d’entre eux l’ont programmé. Pourtant le thème est intéressant. Il y est question d’un pianiste virtuose qui n’a d’autre choix pour sauver la femme qu’il aime que de partir en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale et de remplacer un musicien juif dont on imagine le sort. Oubliant l’attitude du plombier du coin intervenant à la Kommandantur, car il faut bien survivre ou vivre, on a beaucoup commenté ces situations d’artistes plus visibles que le plombier, confrontés à l’Occupation et continuant à se produire devant des parterres de nazis, servant le cas échéant de faire‑valoir pour les Allemands. Pour s’en tenir au monde de la musique classique et des interprètes, certains en étaient déchirés (Furtwängler), d’autres moins, allant jusqu’à la compromission la plus totale et l’approbation (Richard Strauss, Alfred Cortot, Germaine Lubin, Walter Gieseking, Herbert von Karajan, Willem Mengelberg), convaincus, aveuglés ou envahis par leur vanité ou leur ambition, tandis que d’autres marquaient leur opposition frontale (Arturo Toscanini, Erich Kleiber, Otto Klemperer, Pau Casals). Ici, le cas traité est un peu différent. Le film évoque le remplacement de musiciens juifs, non parce qu’ils écrivaient une musique « dégénérée » puisque ce n’est pas le cas dans l’histoire mais simplement parce qu’ils étaient juifs. Il fait penser au cas Messiaen, devenant professeur au Conservatoire en 1941, à la suite de sa libération anticipée du fameux Stalag dans lequel il était interné, grâce au général Charles Huntziger (signataire de l’armistice de 1940 puis ministre de la Guerre de Pétain) : il avait pris la place, sans état d’âme particulier, d’un enseignant renvoyé en raison du « statut » des Juifs, André Bloch. C’est le trou dans les biographies de Messiaen. Mais le trou, noir, en a concerné d’autres.
Le film cependant s’attarde moins sur cette histoire de remplacements indignes que sur la liaison passablement compliquée entre un jeune pianiste passionné par son instrument depuis l’enfance, François Touraine, et sa professeure juive, Rachel. Le pianiste vient d’un milieu aisé. Son père est dans les affaires. Devenant importateur de whisky, il pense devenir encore plus riche et ne comprend pas son fils veuille devenir artiste. La crise économique le conduit pourtant à la ruine tandis que le fils, lancé par Marguerite Long et Paul Paray, connaît le succès notamment dans Chopin, pied de nez évident du cinéaste à Cortot, spécialiste du compositeur et qui a fait le choix de la collaboration. La guerre survient et le pianiste finit par comprendre. Il pense cependant pouvoir sauver sa professeure, qu’il finit par aimer, en se produisant à Berlin, sous la direction de Furtwängler. Ce ne sera pas le cas. La Libération arrive et il doit se reconstruire.
Le tout est très soigné et documenté, sans que les moyens mis en œuvre soient considérables, les répétitions d’orchestre se déroulant par exemple devant de tout petits effectifs, l’Orchestre symphonique de Moldavie au complet ou presque n’apparaissant qu’à la fin. Les décors, les costumes, l’évocation de l’époque, avec les débats au Conservatoire supérieur de musique où les élèves juifs sont écartés, les troubles de Furtwängler, les ambitions de Karajan, la dignité de Paul Paray, sont indéniablement réussis. Mais les dialogues sont parfois bien lourds. Jacques Otmezguine veut tout dire, tout expliquer, tout rappeler, et au travers de flashbacks dûment datés pour la compréhension de l’histoire et somme toute assez conventionnels. Pourquoi par exemple cette présence d’une sœur du pianiste, membre du Parti populaire français et admiratrice de Jacques Doriot ? Pour montrer un exemple de division des familles ? Pour illustrer la complexité du moment ? Pour présenter une collabo pure si l’on ose dire et dresser un panorama complet des profils de l’époque ? On aurait pu s’en passer.
Les plans sont des plus classiques : l’acteur en gros plan, puis les mains des doublures Paul Lecocq, Dimitri Naïditch et Polina de Carlo. Le jeu des acteurs n’est en outre pas toujours convaincant. Philippe Torreton en père borné, Andréa Ferréol en mère juive et Pia Lagrange en professeure de piano à la fois ambiguë et sensible sont idéals. Mais Oskar Lesage qui incarne le personnage principal, très théâtral, en fait beaucoup, sans être plus crédible pour autant.
Mais au-delà de l’évocation d’une période difficile pour les artistes, et épouvantable pour les musiciens juifs, de l’histoire d’un amour raté, de l’importance des maîtres, de la vénération que les professeurs peuvent susciter, l’intérêt du film réside dans la description de la passion musicale, celle qui dévore tout et qui console de tout. Le film est manifestement réalisé par quelqu’un qui connaît autant la musique que l’histoire des années sombres, et sait en parler.
Il est logiquement illustré par une musique omniprésente, Chopin surtout mais aussi Beethoven, Liszt, Brahms et Rachmaninov. La musique originale, composée par Dimitri Naïditch dans un style chopinien mâtiné de musique klezmer, n’y apporte rien mais ce n’est pas grave. On passe un moment émouvant où le Beau est confronté au Mal. On comprend d’autant moins la diffusion restreinte du film.
La bande-annonce du film
Stéphane Guy
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