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Actualité de George Benjamin
12/01/2024

Sir George et l’opéra



G. Benjamin (© Matthew Lloyd)


Il semble que le compositeur britannique George William John Benjamin (né à Londres en 1960) ait reçu son nom sous le parrainage des prénoms de trois compositeurs majeurs de musique anglaise, George (Frideric) Haendel, William Purcell et Benjamin Britten. De ce dernier, il est le digne successeur : dans le domaine de l’opéra ou il excelle, il semble que c’est lui qui ait repris le flambeau car ce ne sont pas les œuvres de Michael Tippett, Harrison Birtwistle ou Gavin Bryars qui ont beaucoup enrichi le patrimoine lyrique anglais. Seul aujourd’hui Thomas Adès peut rivaliser sur ce terrain.


Très vite, après avoir étudié le piano à Londres avec deux des meilleures maîtres, le jeune George Benjamin fut dirigé à Paris à 17 ans vers Olivier Messiaen, qui aurait dit qu’il était son élève préféré. C’est au King’s College de Cambridge qu’il a étudié la composition et donné de premières œuvres très vite reprises aux Proms de Londres sous les protections de Mark Elder et Simon Rattle. Des commandes pour l’Ircam, le Festival d’Aix‑en‑Provence, le Festival d’automne à Paris ont vite confirmé le talent de ce jeune compositeur, dont Pierre Boulez créa Palimpsests en 2002, puis le pianiste Pierre‑Laurent Aimard Shadowlines.


Pour le théâtre lyrique pour lequel il semble prendre son temps, il a aujourd’hui à son actif quatre opéras sur des livrets du dramaturge britannique Martin Crimp, avec qui il a établi une grande complicité artistique : Into the Little Hill, créé à l’Opéra Bastille, commande du Festival d’automne à Paris (2006), repris au Royal Opera de Londres en 2009 ; Written on Skin, créé au Festival d’Aix‑en‑Provence en 2012, puis à Londres l’année suivante ; Lessons in Love and Violence suivit en 2018 (Londres) puis en 2023 sous sa direction à Bruxelles et au Festival d’Aix‑en‑Provence (Théâtre du Jeu de Paume) ainsi qu’à Zurich sous la direction d’Ilan Volkov ; Picture a day like this, qui mène une belle carrière avec des représentations au Royaume‑Uni, au festival Musica de Strasbourg et à l’Opéra‑Comique à Paris en 2024, avant Luxembourg et le festival tyrolien d’Erl en 2025.


Pédagogue également, Sir George comme il faut l’appeler aujourd’hui (il a été « anobli » au titre de commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 2010), après avoir enseigné la composition au Royal College of Music de Londres a succédé à Harrison Birtwistle au King’s College de Londres et de nombreux prix sont venus récompenser ses œuvres


Into the Little Hill (2006) revisitait la légende du joueur de flûte de Hamelin des frères Grimm. Dans un entretien avec Renaud Machart dans Opéra Magazine de juillet 2023, Benjamin révèle en avoir esquissé une ébauche à l’âge de 14 ans avec un résultat qui ne le satisfaisait alors pas. Beau succès, il a été représenté dans dix‑neuf théâtres européens entre sa création parisienne et 2024.


Son dernier opéra, Picture a day like this (2023), en prend le chemin, avec déjà six lieux de représentation en deux ans. La trame en est qu’une femme pleurant son enfant mort part dans l’espoir qu’il renaisse en quête d’une personne « heureuse » dont elle doit prendre et rapporter un bouton de son habit. Après plusieurs rencontres infructueuses, elle rencontre une femme dans un jardin merveilleux et obtient le bouton espéré. Il en existe déjà deux versions au disque (Nimbus Records). Après sa création au Festival d’Aix‑en‑Provence sous la direction du compositeur, retransmise sur Arte (où l’on peut toujours le voir sur Arte.tv), il a été représenté au Royal Opera House de Londres, puis repris à l’automne 2024 au festival Musica de Strasbourg et à Paris salle Favart dans la même production et avec la même distribution. On y admirait Marianne Crebassa dans le rôle de la Femme, et Anna Prohaska dans le rôle mystérieux de Zabelle. Ce sont, comme pour Into the Little Hill en 2006, Daniel Jeanneteau et Marie‑Christine Soma qui ont signé ce spectacle ponctué d’une installation vidéo d’Hicham Berrada, aux décors efficaces d’un grand dépouillement (hormis le jardin merveilleux), avec une direction d’acteur millimétrée dont on pouvait, dans le cadre intime de la salle Favart, eadmirer tous les détails. George Benjamin, à nouveau dans la fosse, dirigeait un Orchestre philharmonique de Radio France survolté.


Written on Skin, créé avec un succès mérité au Festival d’Aix‑en‑Provence en 2012, avec comme interprètes principaux Barbara Hannigan, Christopher Purves (le Protecteur) et Bejun Mehta (le Garçon), puis à Londres l’année suivante, fait aussi une carrière exceptionnelle puisqu’il connaît déjà six productions différentes. Paris l’a monté à l’Opéra‑Comique en 2013. L’histoire s’inspire d’une légende occitane du XIIe siècle. Avec son décor de maison de poupée vue en coupe, et son scénario de facture cinématographique, cette histoire cruelle et initiatique ne comporte pas d’airs en particulier mais entretient un long recitativo secco dramatique. L’histoire est inspirée de plusieurs légendes occitanes, notamment Le Cœur mangé, qui, mettant en scène un triangle amoureux, raconte l’histoire d’un mari trompé qui tue l’amant et fait manger son cœur à sa femme. Il pratique le style direct et indirect, de sorte que les personnages sont à la fois acteurs et témoins de leurs actes, « narrateurs et personnages narrés » pour reprendre la formule de la metteuse en scène britannique Katie Mitchell. On peut l’écouter au disque (Nimbus Records) et le voir en DVD (Opus Arte).


Lessons in Love and Violence suivit en 2018 à Londres. Son histoire s’inspire de la vie du roi Edouard II d’Angleterre du début du XIVe siècle, d’après la pièce éponyme de 1594 de Christopher Marlowe. Il a connu une carrière plus éclatée : plusieurs séries de représentations peu après sa création, joué sur les scènes qui ont coproduit sa création, six en tout. Il est monté à Amsterdam en juillet, où il est enregistré et publié au disque l’année suivante par Nimbus puis sur DVD (Opus Arte). L’opéra est traduit en allemand et créé en avril 2019 à Hambourg, reprenant la même mise en scène que la création mais cette fois sous la direction de Kent Nagano. Il est ensuite repris à Lyon en mai, sous la direction d’Alexandre Bloch. Aux Etats‑Unis, initialement prévue à l’Opéra de Chicago, la production est reportée et est à la place donnée sous forme de concert en 2022 à l’Ozawa Hall à Tanglewood. La Philharmonie de Paris en a proposé en octobre 2023 une version de concert mise en espace par Dan Ayling avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Georges Benjamin et Stéphane Degout dans le rôle du Roi.


Dans le théâtre lyrique de Georg Benjamin, à chaque personnage correspond une écriture vocale spécifique aux couleurs subtiles le caractérisant. Les textes sont condensés à l’extrême et on relève un contraste fascinant entre une écriture vocale très naturelle et une partition orchestrale plutôt complexe, parfois violente dans laquelle le chant composé comme un arioso s’intègre très bien.


Signalons aussi dans l’actualité discographique non lyrique de Georg Benjamin un récent enregistrement de son œuvre pour piano par le Néerlandais Erik Bertsch, publié par Piano Classics, une heure et demie d’un itinéraire passionnant dans la carrière pianistique du compositeur, depuis sa Sonate de jeunesse composée alors qu’il étudiait avec Messiaen jusqu’aux Trois Etudes et Piano Figures, qui sont de vocation plus pédagogique.





La revue L’Avant-Scène Opéra, qui avait consacré en 2013 un numéro entier à Written on Skin, vient de publier un numéro consacré au diptyque de Georg Benjamin et Martin Crimp fondé sur deux contes philosophiques : Into the Little Hill et Picture a day like this. Magnifiquement iconographiée avec les photos de la création de ces deux opéras (respectivement à Paris en 2006 et à Aix‑en‑Provence en 2023) et connectée par une application (ASOpéra) pour en entendre des extraits audio, la revue propose les livrets avec traduction française de ces deux œuvres, des commentaires musicologiques et un guide d’écoute très détaillé de Pierre Rigaudière. Quelques essais permettent d’aller plus loin dans l’analyse des œuvres et une biblio/vidéo/discographie donnera à ceux qui n’ont pas eu accès aux représentations et retransmissions la possibilité de les découvrir (126 pages, 28  euros).


Olivier Brunel

 

 

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