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En fanfare d’E. Courcol
11/30/2024

En fanfare
Benjamin Lavernhe (Thibaut Desormeaux), Pierre Lottin (Jimmy Lecocq), Sarah Suco (Sabrina), Jacques Bonnaffé (Gilbert Woszniak), Clémence Massart‑Weit (Claudine), Anne‑Sophie Lapix (Elle‑même), Harmonie des mineurs de Lallaing (La fanfare de Walincourt), String Orchestra de Paris
Emmanuel Courcol (réalisation)
Film français (2024) – 103’




Ce n’est pas parce qu’on y entend (brièvement) des musiques de Mozart (Vingt‑troisième Concerto pour piano), de Beethoven (Ouverture d’Egmont), de Mendelssohn (Ouverture Les Hébrides), de Rossini (Le Barbier de Séville), de Verdi (« Chœur des esclaves » de Nabucco), de Debussy (Prélude à l’après‑midi d’un faune), de Ravel (Boléro), de Mahler (Troisième Symphonie), pages éventuellement arrangées, ou du contemporain Michel Petrossian (Quadrature I et II) que l’on évoque ici ce film présenté à Cannes en juin dernier et qui vient de sortir mais, malgré ses côtés caricaturaux un brin irritants, parce qu’y sont traités sous la forme d’une comédie très plaisante, le monde de la musique classique et même le rôle fédérateur de toutes les musiques.


Thibaut est un pianiste et chef d’orchestre renommé chez qui la médecine diagnostique une leucémie nécessitant une greffe urgente de moelle osseuse. Seul un frère improbable et oublié peut la lui fournir. Or, il se trouve que ce dernier, modeste employé de cantine scolaire, est aussi musicien mais dans une fanfare du Nord de la France où il joue du trombone. La chirurgie et surtout la musique vont les rapprocher.


La caricature va encore une fois dans le même sens, sur fond de déterminisme social simpliste inspiré par Pierre Bourdieu. C’est le côté autant convenu qu’irritant du film, vu déjà mille fois. Le chef d’orchestre habite ainsi la ville huppée de Meudon et son frère, forcément, le « Nooord ». Il y a donc du Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon et de La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez dans le scénario. Parallèlement, il y a, d’un côté, la musique dite « savante », expression qu’on persiste un peu partout à employer malgré sa prétention et le mépris qu’elle induit pour les autres musiques, et, de l’autre, la musique populaire, défendue dans le film par un type apparemment un peu bas de plafond, « popu », au vocabulaire limité, à l’occasion grossier d’ailleurs, pour qui la musique classique est à la fois inaccessible et incarnée par un personnage qu’il perçoit comme un intellectuel, bourgeois, tête à claque de premier de la classe, avec qui il n’a décidément rien à faire. Le panorama n’est d’une certaine façon pas bien éloigné de celui d’Intouchables d’Olivier Nakache et Eric Toledano, autre conte sur les barrières sociales : comme on s’y attend, les deux mondes vont apprendre à se connaître. Mais ici, en partie, grâce à la musique.


Le film joue sur cette caricature sociale à la fois de base et éculée, pour la retourner et militer en faveur d’un autre abolissement, celui des frontières musicales. S’il est pétri de bons sentiments, il aborde, sous l’humour fondé comme beaucoup d’autres films sur l’opposition de deux personnages centraux (La Traversée de Paris, La Grande Vadrouille...), un vrai sujet, au‑delà du thème de l’inné auquel on ne peut échapper (la moelle épinière) et de l’acquis (la culture), celui de la musique qui réunit et surtout du soutien à toutes les formes de musique, voie possible pour l’accès au monde du classique, plus complexe à défaut d’être supérieur. Le film en lui‑même fait d’ailleurs probablement partie de cette voie car la comédie, bien enlevée, sensible et remarquablement interprétée devrait être populaire. Il semble d’ailleurs effectuer un démarrage... en fanfare.


Le scénario est, il est vrai, bien ficelé. Il joue sur les cordes de l’humour et de la sensibilité, sans s’appesantir sur le volet médical de l’histoire, avec deux personnages fracassés, quoique de façon différente, par la vie et interprétés par deux acteurs épatants, formidables de naturel. L’un est moins hautain qu’on pourrait croire ; l’autre, à l’oreille absolue, plus musicien qu’il le croit lui‑même. Mais ici on voudrait surtout souligner la qualité de la présentation des nombreuses répétitions, tant de la fanfare que de l’orchestre symphonique, qui émaillent l’histoire. Le spectateur est plongé au sein même des ensembles de musiciens. La gestique du chef est notamment tout à fait convaincante. Rien n’est empesé ou trop propre. On sait y jouer faux ou pas ensemble. On tourne les pages des partitions, on les annote. Les spectateurs peuvent ainsi voir de la musique qui se fait, qui se travaille, et ce que signifie la pratique collective comme on dit dans les conservatoires. C’est à la fois réaliste, convaincant et finalement enthousiasmant.


On ne s’étonnera donc pas que le ministère de la culture ait vu un intérêt à la réalisation du film. C’est qu’à l’origine d’un plan fanfare , lancé en 2021, il entend justement encourager les ensembles musicaux du type que l’on y voit, notamment au travers d’un dialogue avec d’autres formes artistiques pour donner aux jeunes l’envie de participer à des projets plus ambitieux, plus complexes dirions‑nous encore une fois pour éviter le mot de « savants ». Depuis son lancement, plus de 1 300 projets auraient été soutenus sur tout le territoire métropolitain et ultramarin. Près de 70 % de ces projets ont lieu en zone rurale : accompagnement des musiciens amateurs par la formation, ouverture à de nouveaux répertoires, échanges avec d’autres ensembles, intervention des musiciens et des artistes professionnels, renouvellement et qualification des encadrants : chefs de pupitre, chefs d’orchestre, direction d’ensembles musicaux. Il s’agit en effet d’éviter la mort de ces lieux de vie que sont les fanfares – on a des cas en tête d’ensembles proches de la disparition – et de permettre des décloisonnements qui ne peuvent que jouer en faveur du monde du classique. En matière sportive, il ne saurait y avoir d’athlètes de haut niveau sans la pratique amateur. En matière musicale, il en est un peu de même : le monde amateur, dont font partie les fanfares, est essentiel ; il constitue un vivier stratégique. Le film nous le rappelle avec bonheur. Si des compositeurs classiques ont écrit pour les harmonies (Mozart, Méhul, Gossec, Cherubini, Gounod, Saint‑Saëns, Hindemith...), il est d’ailleurs arrivé que des compositeurs soient issus de ce monde‑là. Le cas le plus connu est sans doute celui du compositeur américain Charles Ives, son père ayant été chef de fanfare. Il s’amusait avec les polyrythmies et polytonalités provenant des croisements ou rapprochements de fanfares différentes. Où sont les Charles Ives français ?


Sans réponse pour l’instant, il faut continuer de rêver. Peut‑être avec l’aide de ce joli film. Celui‑ci fera en tout cas passer sans honte de bons moments aux lecteurs de ConcertoNet. Ils riront, seront émus et apprécieront certainement la présentation qui est faite du monde du classique, celui que l’on défend dans ces colonnes et qui a tout à gagner en fin de compte avec l’établissement de passerelles avec ses marges musicales (le jazz, la musique de fanfare, les musiques populaires, les musiques extra‑européennes...).


La bande-annonce du film
Le site de l’Harmonie des mineurs de Lallaing


Stéphane Guy

 

 

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