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Prodigieuses de F. et V. Potier
11/25/2024

Prodigieuses
Camille Razat (Claire Vallois), Mélanie Robert (Jeanne Vallois), Franck Dubosc (Serge Vallois), Isabelle Carré (Catherine Vallois), August Wittgenstein (Klaus Lenhardt)
Frédéric et Valentin Potier (réalisateurs)
Film français (2024) – 107’




On entend beaucoup de musique classique dans ce film : des extraits de la Sonate pour piano à quatre mains K. 381 de Mozart, des Sonates « Clair de lune » et « La Tempête » de Beethoven, de la « Barcarolle » des Saisons de Tchaïkovski, de la Pavane de Fauré et de la « Sérénade » de Schubert transcrite pour piano par Liszt. Figurent également des musiques signées du violoniste et compositeur franco‑italien Mario Forte, pour le passage de jazz, ou de Dan Levy (né à Paris en 1976), pour les pages composées spécialement pour le film et qui ne font évidemment guère le poids avec les chefs‑d’œuvre précités.


Le tout ne laisse quasiment pas de répit et est assez assourdissant, les enregistrements ou les enceintes de l’une des rares salles de cinéma où le film est projeté insistant beaucoup sur les basses. Mais la bande‑son comme les thèmes du film justifient qu’on en dise quelques mots ici.


En effet, on y parle de musique classique et de la passion qu’elle suscite, ici dans un milieu éloigné de la culture. Certes il y a de plus en plus de films qui abordent la musique classique ; on a en commenté plusieurs récemment dans ces colonnes (Il Boemo, Boléro, Gloria!). Mais l’approche de Prodigieuses présente des originalités. Ce n’est pas un biopic sur un compositeur comme Amadeus de Milos Forman sur Mozart, Il Boemo de Petr Václav sur l’oublié Myslivecek ou Boléro d’Anne Fontaine sur Ravel ou encore sur un chef d’orchestre comme Prélude à la gloire de Georges Lacombe sur le jeune Roberto Benzi ou Divertimento de Marie-Castille Mention‑Schaar sur Zahia Ziouani, musicienne issue d’un milieu algérien vivant en banlieue. Il ne s’agit pas plus d’une fiction à la manière de Maestro(s) de Bruno Chiche (peu recommandable) ou de Tár de Todd Field (excellent), deux films assez différents mais jouant tous deux sur le côté spectaculaire de la direction d’orchestre.


Prodigieuses traite plus modestement de la formation de pianistes réelles, plutôt méconnues il faut bien le reconnaître, et du monde assez impitoyable de la musique classique. Il se rapprocherait en ce sens de La Tourneuse de pages de Denis Dercourt, qui évoquait fort bien, en 2006, la dureté écœurante des conservatoires au travers d’une histoire de vengeance.


Si l’histoire n’était inspirée de faits réels, on pourrait taxer le scénario d’invraisemblable. L’histoire vraie des jumelles Audrey et Diane Pleynet est en effet celle de pianistes victimes d’une maladie orpheline affectant leurs mains, qui ne vivent cependant que pour le piano et reviennent sur le devant de la scène grâce à une volonté de fer, en adaptant leur répertoire et leur technique, les partitions pour deux mains étant jouées finalement à quatre mains sur deux pianos.


Mais, à vrai dire, ce qui est intéressant, ce n’est pas le biopic, même arrangé, les Pleynet devenant dans le film les Vallois avec deux « l » pour être distingués de la branche dynastique, récit qui pourrait passer comme facilement édifiant. C’est de montrer l’envers du décor, la vie d’artistes passionnées, la vie de conservatoire, le cosmopolitisme des écoles formant les élites pianistiques, le trac qui tétanise, la carrière qui peut se fracasser sur les murs de santés défaillantes. C’est que la vie des apprentis musiciens classiques est loin d’être rose. Le film montre que l’élitisme peut faire des ravages, les conservatoires sous la pression des demandes être terriblement sélectifs, les professeurs parfois musiciens ratés casser les jeunes, la concurrence être rude au point de susciter des haines entre élèves et les soucis de santé conduire à de vrais drames personnels. D’autres professions peuvent évidemment être sensibles aux problèmes de santé : le sportif qui ne sent plus ses jambes, le tapissier qui perd ses mains, le peintre qui ne voit plus, l’écrivain qui ne peut plus écrire, rencontrent des adversités qui peuvent être terribles. Beethoven, Smetana, Fauré, Monet, Montherlant, dans des domaines différents, ont connu ces moments, impliquant une immense solitude. Certains parviennent à les surmonter ; d’autres pas. Pour les sportifs, les jeux Paralympiques ont montré que des issues pouvaient être envisageables. Elles sont souvent impressionnantes. Qu’on en juge avec le parcours de Bebe Vio, fleurettiste italienne sans jambes et sans avant‑bras. Pour un interprète, ce peut être compliqué. Que peut faire un pianiste qui ne peut plus utiliser ses deux mains ou l’une de ses mains ? Leon Fleischer ou Michel Béroff sont parvenus à surmonter, après plusieurs années, leur handicap. C’est que pour un pianiste, qui ne veut ou ne peut devenir chef d’orchestre par exemple, la maladie peut se traduire par des chemins de croix rédhibitoires, des formations impossibles ou une carrière brisée, voire de la dépression.


Le film nous montre un cas de sauvetage, exceptionnel. Il est même perçu comme un « miracle » pour reprendre un mot des dialogues. Mais derrière la volonté de continuer à jouer, à toucher le clavier qui produit du son, cette sensation extraordinaire, il y a surtout une passion, celle de la musique. C’est en cela que le film peut parler aux lecteurs de ConcertoNet. La musique, c’est toute la vie de ces jumelles, dont l’entente parfaite permet par ailleurs leur duo, si spécifique. A un moment, une des pianistes ne supporte plus le clavier et les marteaux du piano. Les metteurs en scène Frédéric (père) et Valentin Potier (fils) rendent bien ce coup de mou, tout se télescopant dans la tête de l’interprète. La passion n’exclut en effet pas le travail et ses côtés répétitifs ou fastidieux. Mais la passion finit par l’emporter.


Du point de vue cinématographique, le résultat est indéniablement de qualité. Les réalisateurs savent faire passer de l’émotion et éviter le pathos. Et il y a des moments fort drôles, qu’on ne dévoilera pas ici. Les actrices Camille Razat et Mélanie Robert sont suffisamment proches physiquement pour faire croire à des jumelles. Leur complicité manifeste fait le reste. Leur jeu pianistique, éventuellement grâce aux trucages et doublures, est en outre globalement très convaincant ; tout coule avec naturel. Franck Dubosc, à contre‑emploi, joue de son côté un père modeste qui, en fait, ne comprend pas la musique, ça arrive, et ce qu’implique le piano mais qui souhaite le meilleur pours ses filles, ses « reines » comme il les appelle. Ambitieux pour ses filles à défaut de pouvoir réussir dans son activité de plongeur en apnée, il cumule les maladresses mais finit par être touchant. Isabelle Carré, la mère qui a sacrifié sa carrière de styliste pour ses enfants, est aussi impeccable, comme d’habitude il est vrai. Le bémol concernera August Wittgenstein dans le rôle du professeur de la Hochschule für Musik de Karlsruhe, le redouté Klaus Lenhardt. Apparenté semble‑t‑il à Carolyne de Sayn‑Wittgenstein, la dernière compagne de Franz Liszt, l’acteur présente dans le film une caricature à plus d’un titre. Il a le mauvais rôle, trop souvent vu au cinéma, de l’Allemand dur voire sadique qui veut, comme pour préparer un athlète de haut niveau aux jeux Olympiques, qu’une des pianistes joue plus fort et plus vite, et du bellâtre profitant de sa position dominante. Paraissant du même âge que les jumelles, on ne croit guère à son personnage.


D’autres choses peuvent gêner en dehors de la puissance de la bande musicale évoquée plus haut qui frappe d’emblée. On assiste à une pénible scène de sélection de pianistes – les bons d’un côté, les mauvais de l’autre – qui, dirigée par un Allemand, a des relents assez nauséabonds. Peut‑être vraie, elle est sans doute inutile. On voit, aussi et à nouveau dans le cinéma, à la fin, un concert qui n’a manifestement été précédé d’aucune répétition, avec un chef aux gestes improbables, découvrant son soliste au dernier moment. On s’étonne enfin d’entendre une professeure de piano déclarer de façon péremptoire que la « colère » (sic) est le moteur de la musique de Beethoven. Mais c’est finalement peu de choses pour ce film sensible, bien et très écrit, qui parle de bout en bout de musique.


La bande-annonce du film
Le site des sœur Pleynet


Stéphane Guy

 

 

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