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Il Boemo de P. Václav
06/28/2023


Il Boemo
Vojtěch Dyk (Josef Myslivecek), Barbara Ronchi (Caterina Gabrielli), Philip Hahn (Wolfgang Amadeus Mozart), Elena Radonicich (La marquise), Lana Vlady (Anna Fracassatti)
Petr Václav (réalisateur)
Film tchèque, slovaque et italien (2022) – 142’




Il Boemo (Le Bohémien) est un biopic qui retrace la carrière, tardive, de Josef Myslivecek, compositeur né près de Prague en 1737 et mort à Rome en 1781. Célèbre à son époque, admiré par le jeune Mozart, qu’il rencontre à plusieurs reprises et avec qui il correspond, il mène une carrière essentiellement en Italie après avoir abandonné la carrière pourtant plus lucrative de meunier comme l’étaient son père et son frère jumeau. Le film raconte, après un bref flash‑back initial, ses débuts difficiles à Venise, ses succès musicaux et féminins, sa gloire napolitaine et sa déchéance physique et sociale, le troisième état de la syphilis lui ayant ravagé le visage, les dégâts de la maladie vénérienne ayant été aggravés par l’ablation du nez sur recommandations semble‑t‑il des « médecins » de l’époque.


Compositeur de nombreux opéras (vingt‑six), sur des thèmes antiques, d’oratorios, de symphonies (quatre‑vingt‑cinq), de sonates, de quatuors, de divertimentos, de trios et d’octuors, il a touché à tous les genres avec un immense succès. Mais il tombe dans l’oubli après sa mort, voire un peu avant, le film montrant qu’il est déjà passé de mode à la fin de ses jours, qu’il termine dans la misère, un peu comme Boccherini à Madrid, le mont‑de‑Piété ne suffisant pas à l’aider.


Le compositeur, dont la complexité du nom ne favorise guère sa popularité aujourd’hui comme jadis dans nos pays latins, est plutôt méconnu mais n’est pas totalement ignoré, notamment en République tchèque comme en témoigne la discographie disponible, les Orchestres de chambre Dvorák ou de chambre de Prague ayant tenu à le défendre. C’est d’ailleurs un Tchèque qui réalise le film et c’est un orchestre baroque tchèque, Collegium 1704, dirigé par le Tchèque Václav Luks (né en 1970), qui interprète les pièces de Josef Myslivecek, la bande musicale étant par ailleurs agrémentée de courts extraits d’autres œuvres de l’époque, de Galuppi, Mozart (Mithridate), Vivaldi et Boccherini.


Le biopic, septième long-métrage du réalisateur, est de facture classique. On est aussi loin du hiératisme soporifique de la Chronique d’Anna Magdalena Bach (1968) de Jean‑Marie Straub et Danièle Huillet que des délires, pourtant créatifs, de Ken Russell (Mahler, 1974, ou le jouissif Lisztomania, 1975, absolument formidable dans le genre malgré ses partis pris et son mauvais goût assumé). Ici, le récit est banalement chronologique, découpé par dates. Il insiste sur la dure vie du compositeur, traité fondamentalement comme un valet, baladé par les coteries, méprisé par les nobles, tandis que les cantatrices volent de succès en succès. L’on pense parfois à Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway (1982) où sous les ors, les perruques et les soies couvent la violence, les luttes de pouvoir et le sans‑pitié. Le film nous décrit notamment une société très dure à l’égard des femmes (mariages forcés, amours impossibles, viols, etc.).


Assez long, il narre les frasques sexuelles du compositeur, ses rencontres avec le roi de Naples, Ferdinand IV, assez ressemblant, passablement ridicule et sans pudeur, ou avec le jeune Mozart, interprété remarquablement par le jeune pianiste allemand Philip Hahn (né en 2009) et qui lui fait une brillante démonstration de ses talents d’improvisateur de variations, et ses relations tumultueuses avec la légendaire soprano Caterina Gabrielli, ô combien capricieuse.


Mais on a du mal à s’attacher au compositeur. Dans le film, c’est un légume, un bellâtre assez fade dont on a peine à imaginer que la musique est la vocation. C’est une sorte de Barry Lyndon. On ne le voit jamais composer, jamais répéter avec son orchestre, jamais reprendre ses chanteurs. En ce sens, le film ressemble à beaucoup de films récents. Dans le Caravage de Michele Placido (2022), on ne voyait quasiment pas le peintre à l’œuvre. Dans le Michel‑Ange d’Andreï Kontchalovski (2019), le sculpteur ne travaille jamais le marbre, ne dessine pas et ne peint pas plus. Il y a décidément comme une incapacité des réalisateurs, à part peut‑être Alain Corneau avec Tous les matins du monde (1991) sur le compositeur et violiste Jean de Sainte‑Colombe, à appréhender la création, l’inspiration comme le travail de l’artiste et ses doutes. Ils s’en tiennent la plupart du temps aux côtés aventureux ou caractériels des personnages évoqués ou à leurs aventures sentimentales (Coco Chanel et Igor Stravinsky de Jan Kounen, 2009, bien documenté mais académique). Du côté des opéras ou des pièces chantées, les acteurs sont ici doublés et s’il y a un peu plus de réalisme que dans le Don Giovanni de Joseph Losey (1979) et surtout La Flûte enchantée d’Ingmar Bergman (1975), ces derniers réalisateurs ayant eu manifestement du mal à accepter les déformations du visage dus au chant, on n’y croit pas toujours. Dans le film enfin, Josef Myslivecek ne dirige pas son orchestre mais bat, avec aussi peu de conviction qu’au lit, la mesure et de façon mécanique. Il ne prête aucune attention aux différents pupitres de l’orchestre.


Le film est évidemment aidé par le fait que la figure de Josef Myslivecek est méconnue. On conçoit aisément que réaliser un film sur Beethoven est plus risqué. Critiquer le film de Petr Václav sous l’angle historique comme on a pu le faire avec Amadeus, d’un autre Tchèque, Milos Forman (1984), caricatural de bout en bout, apparaît plus délicat puisque on ne connaît pas grand‑chose de Myslivecek. Mais il ne semble pas que Petr Václav en profite pour broder ; manifestement, il ne souhaite pas s’éloigner du peu que l’on sait.


Il reste que l’intérêt du film n’est pas là. S’il a des défauts, il n’est pas sans qualités. L’usage des langues (tchèque, allemand, italien, napolitain, français) est par exemple fait avec finesse et réalisme. Les décors des palais italiens sont un régal pour les yeux. La somptuosité des costumes ajoute à la beauté du film. Mais, évidemment, on est surtout sensible à sa bande‑son. Elle nous permet de se rendre compte de la richesse et de l’originalité des compositions de Josef Myslivecek, de la variété de ses arias coloratures et de la proximité de leur écriture avec celle de Mozart. Le pari du film est de ce point de vue plutôt gagné : on souhaite en savoir plus sur Myslivecek et ce d’autant plus que ses pièces ne sont pas toujours bien distinguées dans le film de celles de ses contemporains.


Stéphane Guy

 

 

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