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Entretien avec Salomé Gasselin 03/18/2023
Salomé Gasselin est la gambiste qui monte : un portrait en pleine page dans Le Monde signé Marie‑Aude Roux (8‑9 janvier 2023), un article signé Vincent Cressard dans Ouest‑France le 22 janvier à l’occasion de sa participation aux Folles journées de Nantes, un entretien sur France Musique début février... N’en jetez plus ! Il est vrai que la jeune femme de pas encore 30 ans explose sur la scène musicale grâce notamment à un premier disque soliste, « Récit », d’ores et déjà salué par la critique, à commencer par Apolline Croche sur ConcertoNet, démontrant à qui aurait un doute que la musique pour viole de gambe est d’une diversité encore insoupçonnée. A notre tour donc de la rencontrer et de découvrir cette personnalité attachante et enthousiaste.
Vous êtes née le 19 juin 1993 à Nantes. Comment avez-vous découvert la viole de gambe ? Par hasard je crois, le jour où vous abandonnez le violon...
Oui... A l’époque, j’étudiais le violon au Conservatoire de Cholet ; j’adore toujours le violon mais je n’avais pas de vrai coup de cœur avec cet instrument. Le jour où j’ai dit à ma professeure de violon que j’arrêtais après cinq années de pratique de l’instrument (j’avais alors 10 ans), il se trouve que le professeur de viole de gambe du Conservatoire s’accordait dans le couloir ; j’ai immédiatement éprouvé un choc sonore pour l’instrument. Je voyais bien que ce n’était pas un violoncelle mais je ne savais pas exactement ce que c’était et je suis donc allé le voir ; voilà comment s’est passée cette rencontre. Je parle volontairement de « rencontre » car c’est vraiment le son de la viole qui m’a attrapée !
J’ai lu que vous aviez pratiqué le rugby jusqu’à l’âge de 15 ans mais qu’un pouce cassé vous a empêché de poursuivre ; vous êtes semble‑t‑il également passionnée par la génétique et la littérature puisque je crois que vous avez passé une licence de lettres à Nanterre. Pouvez- ous nous en dire davantage sur ces diverses pistes professionnelles qui s’offraient à vous et comment, finalement, la musique a‑t‑elle pris le dessus ?
Oui, c’est vraiment ça : la musique a gagné sur les autres activités parce que c’est finalement le domaine où l’expression était la plus facile pour moi. Peut‑être pas la plus facile en fait, la plus évidente je dirais... Le hasard veut que je me sois effectivement cassé le pouce au rugby (que j’aime toujours) un mois seulement avant de passer mon DEM (diplôme d’études musicales) ; ce devait être un signe. Je suis de nature à avoir des coups de cœur et à être intéressée par plein de choses mais la musique me semblait vraiment être le moyen d’expression qui allait me permettre de me réaliser pleinement. Et donc, à partir de 17‑18 ans, je n’ai plus hésité. Je suis entrée au CNSM à Lyon, puis je suis partie étudier en Hollande, en Autriche... Je dessine toujours, je lis énormément ; c’est juste le rugby où la poursuite, parallèlement à la musique, aurait été un peu plus compliquée...
Vous étudiez donc la viole de gambe avec Julien Léonard au Conservatoire d’Angers puis avec Marianne Muller à Lyon (elle‑même avait été professeure de Léonard), avec Philippe Pierlot à La Haye et avec Vittorio Ghielmi au Mozarteum de Salzbourg, avant que vous ne remportiez notamment le prix Gianni Bergamo à Lugano. Qu’avez‑vous appris de chacun de ces professeurs ?
Ils ont tous une approche différente de la musique et de l’instrument qui m’a beaucoup enrichie.
A Angers j’ai donc eu Julien Leonard comme professeur mais également Emily Audouin, qui avait elle‑même été l’élève de Marianne Muller. J’ai donc vraiment été élevée dans la « tradition Marianne Muller ». De Julien Leonard, j’ai appris sa fougue. Marianne, c’est quelqu’un qui travaille beaucoup sur la posture par rapport à l’instrument, qui vous apprend à quitter toute tension inutile pour se mettre pleinement au service de la musique.
Chez Philippe Pierlot, ce qui m’a marqué, c’est surtout l’opportunité que j’ai eue de pouvoir jouer avec lui, notamment pour un disque Buxtehude (Membra Jesu Nostri, paru chez Mirare en 2019). Philippe, c’est quelqu’un qui a une communication assez impressionnante par la musique. Pour lui, il y a une sorte d’évidence ; quand il prend sa viole de gambe, c’est vraiment une prolongation de lui-même.
Vittorio, c’est quelqu’un de très peu compris, en tout cas en France mais, pour moi, c’est un génie en fait ! C’est quelqu’un qui met son ego de côté pour être totalement au service de la musique. C’est sans doute la plus grande rencontre élève-professeur que j’ai eue car il a su mettre une distance toujours juste avec l’élève que j’étais, il sait vraiment faire grandir ses élèves par la musique. On m’a avertie quand je suis allée étudier avec lui sur le mode « Attention ! Il veut faire des clones » ; en fait, ça a été totalement l’inverse. Il laisse chacun s’exprimer mais c’est vrai qu’il a une identité tellement forte que ça peut être tentant d’imiter son jeu ; ce n’était pas ma démarche. En tout cas, c’est une personne qui est toujours en recherche avec l’instrument ; nous échangeons régulièrement et c’est vraiment une personne qui me motive pour travailler.
Je crois que la figure de Sophie Watillon (1965‑2005), qui a réalisé de très beaux disques Hotman et Marais notamment, vous a également beaucoup marqué ?
Exactement ! Je ne l’ai jamais rencontrée ; elle est décédée alors que je n’avais commencé la viole que depuis un an. Au disque en tout cas, c’est pour moi le son idéal de la viole de gambe, notamment dans son disque Marin Marais qu’elle a enregistré un peu avant sa mort. J’ai d’ailleurs contacté Hugues Deschaux, le même ingénieur du son que celui qui avait travaillé avec Sophie, pour mon disque ; je lui ai posé beaucoup de questions sur elle, sur sa façon de travailler puisqu’il avait lui‑même beaucoup collaboré avec elle. C’était finalement une façon pour moi d’avoir un lien avec Sophie que d’avoir ainsi la même personne qui fasse la prise de son et qui assure la direction artistique de mon premier disque soliste.
On constate que vous faites partie de toute une génération de jeunes femmes (Emmanuelle Guigues, Florence Bolton, Noémie Lenhof, Sylvia Abramowicz...) qui jouent de la viole de gambe aujourd’hui : comment voyez-vous à la fois cet aspect générationnel et, je dirais presque, « sexué » de la viole de gambe ?
(Rires) J’ai un peu ma théorie là‑dessus... Je pense que, comme dans beaucoup de domaines, les hommes étaient plus visibles jusqu’à il y a peu. D’ailleurs, quand on parle de la viole de gambe, on pense tout de suite à Jordi Savall ; même moi, quand je regarde mes professeurs, ce furent Vittorio Ghielmi, Philippe Pierlot... bref, des hommes. Mais, pour autant, la majorité des élèves en classe de viole de gambe sont des femmes ! De fait, donc, comme dans d’autres domaines, les femmes commencent à être plus visibles et il y a effectivement une petite explosion féminine dans la pratique professionnelle de cet instrument. Aujourd’hui, il y a finalement davantage de place pour les femmes, moins de distinction, j’ose espérer en tout cas mais je m’avance peut‑être... Pour autant, sur la viole elle‑même, je ne pense pas que ce soit un instrument spécialement féminin...
Oui, ensuite, comme vous le disiez, cela peut être le fruit des circonstances plus globales...
Oui, ça c’est sûr ! C’est évidemment plus facile pour quelqu’un comme moi d’avoir un article dans Le Monde aujourd’hui que pour Sophie Watillon il y a vingt ans par exemple mais il y a toujours eu beaucoup de femmes qui ont joué de la viole de gambe. Henriette de France par exemple, une des filles de Louis XV, jouait de la viole. Il n’y avait pas que Marin Marais ou Forqueray à l’époque !
Vous participez en tant que gambiste à plusieurs ensembles (Pygmalion, Capriccio Stravagante de Skip Sempé, Jupiter, Le Consort...) : comment avez‑vous pris part à ces divers ensembles :par le bouche à oreille, par le biais de camarades de Conservatoire... ?
Pas Le Consort, pas encore en tout cas... Mais c’est vrai que je joue avec Justin Taylor car, en fait, c’est mon meilleur copain : c’est un ami d’enfance ! On a étudié ensemble au Conservatoire d’Angers ; on a grandi au même rythme, il a ensuite fondé son ensemble juste avant le mien. Sinon oui, c’est vrai que les prix internationaux que vous pouvez remporter, ça aide. Avant Lugano, j’avais déjà passé des concours en Allemagne, à Coethen notamment ; donc on se fait connaître à travers ces compétitions, des rencontres avec les uns les autres sur place...
Et on fait des auditions également. L’audition qui m’a le plus aidée à titre personnel, c’est quand j’étais au Conservatoire de Lyon, où j’avais auditionné pour Raphaël Pichon qui allait monter l’Académie du Festival d’Aix‑en‑Provence pour le projet « Trauer Nacht » (« Nuit funèbre ») autour des cantates de Bach, avec Katie Mitchell à la mise en scène. Il avait fait un tour d’Europe des conservatoires, il avait ainsi entendu pas mal de violistes et j’ai été sélectionnée à ce moment‑là, en 2014 ; j’ai ainsi pu rencontrer plein de gens dans le milieu de la musique baroque. L’ensemble Pygmalion a été pour moi une porte d’entrée importante, qui m’a permis de rencontrer d’autres musiciens et de jouer un peu partout à partir de ce moment‑là. Je suis d’une nature assez entreprenante et j’ai toujours eu envie de mener mes propres projets ; et donc pour ce disque, j’ai eu envie d’associer des amis que j’avais pu rencontrer et avec qui j’ai joué au fil de toutes ces années, que ce soit Justin ou Emmanuel Arakélian.
L’enregistrement du disque « Récit » s’est déroulé en juin et septembre 2021. Première question à ce sujet : pouvez‑vous nous expliquer les raisons de cet écart chronologique ? Serait‑ce à cause des engagements de certains pour les festivals d’été ?
En fait, un mois avant l’enregistrement, j’ai rencontré un instrument exceptionnel (une basse de viole de Simon Bongars de 1653). On devait initialement tout faire en juin mais j’ai donc eu cet instrument en mains, un instrument tellement immense que je ne me voyais pas enregistrer ce disque sur une autre viole que celle‑ci. Alors j’ai demandé au label et à toute l’équipe de décaler une partie de l’enregistrement. On a donc gardé la partie « consort » en juin avec les musiciens qui étaient prévus, et on a enregistré la partie plus « soliste » quelques mois plus tard, une fois que j’avais pu apprivoiser un peu ce nouvel instrument.
Donc, pour ce disque, vous jouez sur la basse de viole de Bongars et sur celle de Judith Kraft.
En fait, je joue bien la viole de Bongars mais également le dessus de viole de Pierre Jacquier. C’est vrai que j’avais jusque-là une viole fabriquée par Judith Kraft, qui est un instrument que j’adore. Mais pour ce disque, c’est Mathias Ferré qui la joue, qui aime beaucoup cet instrument et qui voulait absolument en jouer ! De fait, je suis très heureuse que mes deux violes aient pu se retrouver sur ce disque !
Deuxième question concernant ce disque justement : pourquoi avez-vous séparé les Pièces en ré, qui ouvrent et ferment le disque ? Est‑ce volontaire de ne pas les avoir toutes regroupées et d’avoir ainsi intercalé entre elles les Pièces en mi/sol et les Pièces en la ?
Dès le départ, j’avais une idée précise de la construction du programme. Je souhaitais terminer par le « Plein Jeu » de Pierre Du Mage, qui est ma pièce préférée sur ce disque et j’avais par ailleurs envie qu’on puisse l’écouter d’une traite. Je dirais ça en fait : la séparation des pièces en ré en deux blocs permet d’avoir en fin de compte un disque « circulaire » en quelque sorte. Je souhaitais également commencer par cette magnifique pièce de Jacques Boyvin, ce qui a imposé également une certaine construction du programme ; d’ailleurs, il y a beaucoup de gens qui me disent que, quand ils mettent le disque et écoutent le « Récit grave » de Boyvin, ils pensent que leur chaîne a un problème ! Bref, j’avais mes idées de début et de fin et ça s’est donc agencé comme ça.
C’est là, ce disque « Récit », votre premier récital comme soliste ; pourquoi ce mot « récit » ? Est‑ce une référence au récit de tierce en taille, qui était une forme musicale assez courante au XVIIe siècle, consistant pour l’orgue à jouer sur un jeu de tierce, accompagnée par un jeu sur un autre clavier de l’orgue, sauf erreur ? Mais n’est‑ce pas aussi un récit de ces mois qui ont coïncidé avec le confinement (époque où vous allez écouter l’orgue de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, dans le département du Var) et avec votre envie de découvrir ce répertoire alliant ou transcrivant l’orgue pour la viole ? Ce récit serait donc également le récit de l’histoire de ce disque...
Oui, c’est juste ce que vous avez pressenti. Le récit, ce n’est pas uniquement le récit de ma découverte de l’orgue ; j’avais en fait envie d’un titre qui laisse l’auditeur assez libre pour se fabriquer lui‑même un récit de ce qu’il entend. Je suis intimement persuadée que le son raconte quelque chose, comme lorsqu’on lit un livre. Je ne sais pas trop comment dire... Pour moi, les sons anciens, les sons du passé, les sonorités de cet orgue de Saint‑Maximin mais aussi celles de l’orgue de Saint‑Ursanne où nous avons enregistré le disque, ce sont des sons passés mais qui ont une vraie résonance aujourd’hui et qui nous racontent quelque chose. Il y a bien sûr dans le titre du disque la référence aux récits de tierce en taille car ce sont ces pièces qui m’ont donné envie de faire ces transcriptions mais, plus largement, c’est une référence au fait que c’est vraiment pour moi une musique qui vous parle, comme je vous parle en ce moment même...
Le jeu des résonances, des silences, qui est assez facile avec un orgue (ne serait-ce qu’avec l’acoustique d’une église, la facture du buffet...), est‑il plus compliqué avec une viole ? Quelle a d’ailleurs été votre démarche : jouer une transcription pour viole avec la viole seule ou en ayant toujours à l’esprit la manière dont cela sonne ou pourrait sonner à l’orgue pour en quelque sorte vous fondre dans ces sonorités ? Si l’on écoute par exemple le « Récit de tierce en taille » de Guilain, l’orgue fait l’introduction puis la viole se coule dans le climat très ample défini par l’orgue. On a un peu le même ressenti dans le « Récit de tierce en taille » de Dandrieu.
Mon autre conviction, c’est que l’orgue imite dans tous ces récits la voix humaine et la viole imite également la voix, chez Marais notamment. Du coup, plus qu’imiter l’orgue ou chercher la ressemblance avec l’orgue, j’avais envie de retrouver l’essence de la composition de ces pièces là ; je voulais vraiment retrouver la source compositionnelle de ces pièces si j’ose dire, qui pouvait aussi m’inspirer quand je jouais.
Lorsqu’on écoute ce disque, on constate que, par exemple dans « Cloches ou Carillon » de Marin Marais, le rubato a beaucoup d’importance, la virtuosité passe au second plan au bénéfice des effets de surprise, des silences, d’une rythmique presque « terrienne » où la mesure s’avère très marquée. C’est un peu la même chose dans « Les Voix humaines », où il y a là aussi un jeu important sur les résonances. Est‑ce une volonté de votre part ou un souhait de mettre en évidence toute la fantaisie de pièces que l’on pourrait croire austères a priori ?
Je vais avoir du mal à vous répondre... En fait, c’est juste que j’entends ces pièces de cette manière. La musique française de cette époque ne comporte que peu d’indications sur les partitions et les manuscrits, mais on sait que c’était une musique très contrastée, à l’image d’ailleurs de ce diècle, à la fois violent et raffiné, également plein de contrastes donc ; du coup, c’est ce contraste, ce sont ces frictions que je recherche, non pas pour eux‑mêmes mais parce qu’ils racontent quelque chose, notamment le son de cette époque.
Décidément, on est toujours dans le récit...
(Rires) Oui ! Mais je crois que c’est vraiment mon fil conducteur ! C’est vrai : certains amis musiciens me disent que j’ai eu des partis pris assez radicaux dans mes interprétations mais, en fait, c’est seulement ainsi que je ressens ces morceaux.
Radicaux, oui mais, en fin de compte, je trouve quand même que tout cela est très naturel !
Vous avez parlé de « musique française » mais, justement, je trouve que diverses pièces ont des accents parfois assez bien définis : le « Trio » de Guilain par exemple me semble avoir des accents anglais comme on peut les entendre chez Orlando Gibbons ou Anthony Holborne ; la « Fantaisie » de Marin Marais a presque des accents italiens (on pense à certaines sonates de Locatelli ou Corelli). « La Mariée » de Marin Marais a quant à elle des accents très dansants, populaires, festifs... Qu’en pensez‑vous ? Avez‑vous eu le même ressenti ou est‑ce finalement très subjectif, une impression propre à chaque auditeur ?
Non, je pense que c’est juste. A cette époque‑là, la musique était de toute façon très cosmopolite et chaque compositeur s’inspirait donc des compositeurs d’autres pays ; ils connaissaient tous très bien le style de leurs voisins, en Italie, en France, en Allemagne ou en Angleterre. Et du coup, cela a donné naissance à une musique très riche. Mais même pour les instruments en tant que tels, il faut se rappeler qu’en France on jouait alors sur des violes anglaises. Ensuite, on a eu des luthiers français qui ont fabriqué des violes mais, pour une bonne partie du XVIIe siècle, on jouait quand même sur des instruments anglais.
Vu à qui étaient initialement destinées ces pièces (orgue ou consorts de violes), comment avez‑vous introduit le clavecin là‑dedans ? Etait‑il requis par certaines partitions ou s’agit‑il d’un travail de reconstitution et/ou d’improvisation dont vous avez discuté avec Justin Taylor (par exemple, dans la « Pavane selon le goût des anciens compositeurs de luth », c’est presque le clavecin qui prend le dessus, les violes étant plus attentistes) ?
En fait, dans la musique de Marais, l’orgue n’existe pas normalement ; on joue sa musique d’habitude avec un théorbe et une deuxième basse de viole, ou un clavecin et une deuxième basse de viole. Donc, pour toute la musique de Marin Marais, c’était pour moi essentiel d’avoir un clavecin. Ensuite pour les transcriptions d’orgue, en tout cas pour tout ce qui était en consort, j’aimais bien l’idée d’avoir un double continuo, à la fois orgue et clavecin, notamment dans le « Plein Jeu » de Du Mage ou dans la « Pavanne » de Dumont. A l’époque, il faut se souvenir que les organistes étaient également des clavecinistes ; François Couperin jouait par exemple des deux instruments, Louis Marchand c’était pareil, Dandrieu également... C’était donc assez naturel pour moi d’avoir un clavecin qui nous accompagne, d’autant que j’avais envie que Justin participe à ce premier disque puisque je souhaitais le faire avec tous ceux qui font que je suis devenue la musicienne que je suis aujourd’hui.
Le consort de violes n’est pas une forme si courante que cela ; ici, on entend plusieurs pièces à deux ou trois violes (quatre éventuellement ?). Ce disque, est‑ce aussi une volonté de remettre au goût du jour ce répertoire ?
Oui, complètement ; cela va d’ailleurs être mon cheval de bataille pour les années à venir car il existe un répertoire immense, aussi grand que celui pour quatuor à cordes en fait... C’est un répertoire très peu connu alors que c’est pourtant une musique sublimissime !
J’avoue que j’ai un petit regret sur le disque ; c’est qu’il ne soit pas indiqué, ne serait‑ce que par les initiales des musiciens, qui joue tel ou tel morceau, ce qui nous permettrait de savoir quels sont les morceaux où l’on entend deux, trois ou quatre violes. Car, même après plusieurs écoutes, j’ai personnellement des doutes. Par exemple, dans le « Trio » de Guilain, je dirais trois violes ?
Oui, bravo !
Coup de chance ! Mais, par exemple, dans la « Plainte » de Marin Marais, je dirais quatre violes et un clavecin...
Ouah ! Ca me fait très plaisir ! (Rires) Non, en fait, il n’y a que moi et Mathias qui joue en pizzicati ; je suis la seule à jouer avec l’archet.
C’est incroyable car on entend une richesse harmonique hallucinante !
Oui, complètement... Mais ça me fait plaisir de vous entendre dire ça car l’écriture pour viole de gambe est normalement faite en accords et tout le jeu consiste justement à faire croire qu’il y a plusieurs violes qui jouent en même temps. Si vous avez donc entendu plusieurs violes, le but est atteint. Sur le disque, les seules pièces où nous jouons à quatre violes, ce sont la « Pavanne » d’Henry Dumont et le « Plein Jeu » de Pierre Du Mage. Ensuite, il y a quelques pièces où nous sommes à trois violes : l’« Allemande » de Dumont, le « Trio » de Jean‑Adam Guilain et la « Sarabande » de Louis Couperin. Le reste, c’est ce qu’on appelle le répertoire de viole solo où vous avez une partie soliste, que je joue, et qui est accompagnée par un continuo, donc une viole et un clavecin.
Un mot quand même sur votre instrument, que vous avez récemment acquis : une exceptionnelle viole de Simon Bongars de 1653, qui n’a pas été refaite alors que vous jouiez initialement sur une viole de facture moderne construite par Judith Kraft. Cet instrument, aux cordes en boyau de mouton sauf erreur, a une profondeur, une résonance incroyables ; parlez-nous de cette découverte...
Oui, la partie caisse de cette viole n’a effectivement jamais été ouverte et n’a jamais été refaite depuis le milieu du XVIIe, c’est incroyable... Le manche en revanche a été retouché ; on y avait mis un manche de violoncelle pendant tout le XIXe siècle. Le manche n’est donc pas d’origine mais la tête et le corps le sont par contre. C’est en effet un instrument exceptionnel qui me dépasse et qui me guide là où je ne pensais pas pouvoir aller avec une viole de gambe. J’ai beaucoup de reconnaissance pour cet instrument ainsi, évidemment, que pour les personnes qui m’ont permis d’en jouer.
Enfin une dernière question sur le futur : quels sont vos projets en soliste ou au sein d’ensembles ? Un concert Couperin notamment est prévu à Paris en l’église Saint‑Gervais au mois d’avril si je ne me trompe ?
Oui ! J’ai beaucoup de projets en cours mais j’en ai notamment deux qui m’occupent pas mal en ce moment. J’ai tout d’abord un projet avec mon frère, Théophile Gasselin, qui est metteur en scène et comédien et on va organiser quelque chose autour de la viole de gambe et le théâtre. Et j’ai un autre projet avec la mezzo Fiona McGown, qui va tourner autour de la musique pour consort de violes et voix sur le thème de la chevelure.
[Propos recueillis par Sébastien Gauthier]
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