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Dix ans avec Lionel Sow 01/01/2022
Insider’s view : bilan des dix années passées par Lionel Sow à la tête du Chœur de l’Orchestre de Paris par notre rédacteur Gilles Lesur, qui en est membre de longue date.
L. Sow (© Christophe Abramowitz/Radio France)
En septembre 2011, Lionel Sow était nommé chef du Chœur de l’Orchestre de Paris, fonction qu’il vient de quitter après un mandat de dix ans qui, même entaché en sa fin par la pandémie COVID-19, aura marqué cet ensemble. Essayons d’évoquer ici les principales étapes de ce mandat.
A son arrivée en 2011, le Chœur de l’Orchestre de Paris est mal en point artistiquement et humainement. La direction bicéphale de Didier Bouture et Geoffroy Jourdain s’épuise et le premier contact raté avec le futur directeur musical de l’Orchestre de Paris, Paavo Järvi, autour d’une Messe en ut de Mozart en février 2009 sonne le glas de cette direction. Une saison de transition sans chef de chœur attitré permet de réfléchir tout en invitant de grandes pointures de la direction chorale (Michael Gläser, Simon Phipps, Stephen Betteridge...) mais nuit à la cohésion de l’ensemble. Lionel Sow, qui dirige avec succès la Maîtrise Notre-Dame de Paris depuis 2006, est donc appelé en sauveur par le directeur artistique de l’Orchestre de Paris de l’époque, Didier de Cottignies.
Lionel Sow le dira souvent plus tard, il trouve en arrivant un chœur en souffrance. Il commence alors un travail de fond, notamment en auditionnant progressivement tout l’effectif. Il se sépare non sans difficultés des chanteurs dont il juge qu’ils n’ont plus leur place dans l’ensemble et renforce la structure pédagogique. Il crée dès 2012 une Académie pour les jeunes chanteurs issus des maîtrises et chœurs d’enfants qui souhaitent continuer à chanter et pour lesquels aucune structure n’existe ; puis en 2013, un chœur de chambre, composé des meilleurs éléments du chœur symphonique. Il réunit souvent ces deux ensembles pour des projets avec ou sans orchestre mais à effectif moindre.
Paavo Järvi, qui a pris ses fonctions en septembre 2010, dirige ponctuellement le Chœur de l’Orchestre de Paris, réalise quelques enregistrements (Requiem de Fauré, Gloria et Stabat Mater de Poulenc) mais avec le temps, il préfère de plus en plus le confier à des chefs invités. C’est ainsi que le chœur chante par exemple sous la direction de Riccardo Chailly (Daphnis et Chloé en février 2012), Herbert Blomstedt (Brahms en janvier 2014) et Bertrand de Billy (Schubert en novembre 2013, Mozart en janvier 2016).
En 2015, le chœur s’installe à la Philharmonie de Paris et participe au concert inaugural du 14 janvier 2015 avec Paavo Järvi (Ravel, Fauré). Cette installation permettra à l’avenir des collaborations avec les orchestres de passage, par exemple avec l’Orchestre de Cleveland en octobre 2015 et avec le Philharmonique de Strasbourg en 2016. En 2016, Lionel Sow quitte la direction de la Maîtrise Notre-Dame de Paris. Et c’est à nouveau Bertrand de Billy qui dirige en janvier 2017 le concert anniversaire des quarante ans, consacré au Te Deum de Berlioz, première œuvre donnée par le chœur, rappelons-le fondé en 1976 à l’initiative de Daniel Barenboïm et dirigé de 1976 à 2001 par Arthur Oldham.
En septembre 2016, Paavo Järvi est remplacé par Daniel Harding et Thomas Hengelbrock. Commence alors une véritable lune de miel entre le chœur, Lionel Sow et Daniel Harding, passionné du répertoire choral et aimant diriger les chœurs, ce qui n’était pas le cas de son prédécesseur. Les projets choraux se succèdent avec chaque fois un plaisir partagé notamment autour de Schumann, d’abord les Scènes de Faust (septembre 2016), puis Le Paradis et la Péri (décembre 2016) et l’atypique Manfred (2018). Daniel Harding programme des œuvres inhabituelles, ainsi Falstaff de Verdi donné en version de concert (septembre-octobre 2017) et le rare Songe de Géronte d’Elgar (décembre 2017), toutes œuvres qui sont des entrées au répertoire comme le sera aussi A Child of Our Time de Tippett donné en novembre 2018 sous la direction de Thomas Adès. Chaque ouverture de saison se fait désormais en présence du chœur et avec des œuvres volontiers inusuelles comme la Musique pour les funérailles de la Reine Mary de Purcell (septembre 2017) ou le Psaume CXXIX de Lili Boulanger (septembre 2018).
Lionel Sow construit progressivement le son de l’ensemble, stimule l’engagement individuel, devient plus exigeant sur l’intonation. Son charisme, son ouverture à chacun, sa parfaite connaissance des partitions, son humour et sa détermination calme font que la « sauce » prend chaque jour un peu plus. De plus, il adapte l’outil en pensant au renouvellement des chanteurs. Ainsi est créé en septembre 2014 le chœur d’enfants, qui apparaît pour la première fois dans Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger en mars 2015, et enfin en 2015 le chœur de jeunes. Tout est ainsi en place pour un parcours de l’enfance à l’âge adulte, à l’image des nombreux ensembles étrangers qui fonctionnent ainsi.
Durant son mandat, Lionel Sow invite aussi de très grands chefs de chœur à venir faire travailler l’ensemble qu’il dirige : le Britannique Simon Halsey à trois reprises (2017, 2019, 2021), l’Américain Gary Graden pour un programme a cappella autour de Shakespeare (2016), l’Italien Claudio Fenoglio pour le Requiem de Verdi (février 2016), la Norvégienne Grete Pedersen pour les Vêpres de Rachmaninov (2019) et l’Espagnol José Antonio Sainz Alfaro pour une Grande Messe des morts de Berlioz donné en collaboration avec l’Orfeón Donostiarra en février 2019. En cela, il souhaite ouvrir le chœur à d’autres cultures chorales et lui faire gagner en réactivité. Il ouvre certaines répétitions aux apprentis chefs de chœur pour des classes de maître (2018) et fait participer le chœur à un concours de jeunes chefs de chœur en 2019.
Lionel Sow relance les déplacements hors de Paris : en Alsace (2014, 2018), à Monaco (2015, 2017, 2021), à Troyes (2018), à Rognes (2016), Montargis (2017), à Ferrière-en-Gâtinais (2018), au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence (2019), à Metz (2018, 2019) et au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André (2018, 2019, 2021) notamment en 2021 pour des remarqués Troyens donnés sous la direction de François-Xavier Roth.
A l’issue de son mandat de directeur musical et en signe de reconnaissance du travail choral accompli et de l’entente artistique et humaine, Daniel Harding associe le chœur à sa tournée d’adieux consacrée au War Requiem de Britten et ce seront ainsi en mai 2019 des concerts mémorables salués de tous à Paris, Hambourg, Munich et Linz. Quelle belle consécration pour un chœur qui ne s’était pas déplacé avec l’Orchestre de Paris depuis 2009 !
Au fur et à mesure du travail de Lionel Sow, les résultats sont de plus en plus souvent salués par la critique. Parmi quelques moments particulièrement forts, beaucoup garderont en mémoire le Requiem de Verdi avec Gianandrea Noseda (février 2016), Mass de Bernstein avec Wayne Marshall (mars 2018) et la flamboyante Neuvième Symphonie de Beethoven avec Riccardo Chailly en février 2020, juste avant le premier confinement. Valery Gergiev (Le Martyre de saint Sébastien) en décembre 2019 et Tugan Sokhiev (La Damnation de Faust) en janvier 2020 étaient aussi venus diriger le chœur pour la première fois avec succès.
A partir de mars 2020, d’ambitieux projets choraux sont malheureusement annulés : Elias de Mendelssohn, la Symphonie « des mille » de Mahler, tous deux prévus avec Daniel Harding, la Messe glagolitique de Janácek, une première rencontre depuis son départ de l’orchestre avec Daniel Barenboïm et la Staatskappelle de Berlin, et une Symphonie « Résurrection » de Mahler en novembre 2020 qui devait être la première collaboration avec le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä.
Lionel Sow annonce son souhait de quitter ses fonctions en janvier 2021. Son dernier concert, donné les 22 et 23 décembre dernier, ne comportait, COVID oblige, qu’une pièce, le Chant du destin de Brahms, dirigé avec émotion par Daniel Harding, qui a des mots touchants pour le remercier. Lionel Sow devait assurer la préparation des concerts de janvier dédiés à la musique chorale russe avec le jeune et talentueux Stanislav Kochanovsky, mais la situation sanitaire en a disposé autrement.
Entre temps, un processus de recrutement a lieu dans le plus grand secret. Place donc maintenant au duo choisi par Klaus Mäkelä pour remplacer Lionel Sow, à savoir Marc Korovitch (né en 1987), chef français déjà en poste au Jeune Chœur de Paris (2017) et au Chœur de la Radio suédoise (2019) et qui deviendra en septembre 2022 le directeur musical de l’Orchestre Colonne, et Ingrid Roose (née en 1990), jeune cheffe estonienne. Souhaitons-leur autant de succès que leur prédécesseur. Et bonne route au Chœur de l’Orchestre de Paris ,qui fêtera ses cinquante ans en 2026 !
Le site du Chœur de l’Orchestre de Paris
Gilles Lesur
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