Back
L’effondrement culturel 07/11/2003
Le désastre s’est finalement produit, les deux festivals emblématiques - Aix et Avignon - ont annoncé le même jour - le 10 juillet - l’annulation de leur édition 2003, après bien d’autres, et la liste n’est certainement pas close. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment un tel effondrement culturel a-t-il pu se produire ?
A l’origine du conflit se trouve le nouvel accord de l’Unedic concernant le régime des intermittents du spectacle signé le 27 juin. Son déficit atteint un niveau tel qu’il constitue un affront à la solidarité nationale : 952 millions d’euros de dépenses pour 124 de recettes, soit 828 millions d’euros (5,4 milliards de francs) de déficit en 2002 ! On le sait, les abus sont légion (on trouve même des intermittents sur le Tour de France !), beaucoup ont flairé la bonne affaire (le nombre d’allocataires a doublé en dix ans pour s’établir à 100.000) et le gouvernement aurait du réprimer les abus, surtout du fait de l’audiovisuel soit dit en passant (ah bon, il y a de la culture à la télé ?). La création d’une carte professionnelle, par exemple (comme pour les journalistes), permettrait de faire le ménage, mais il faut une volonté politique. Ceci dit, la réforme de l’Unedic a l’avantage de garantir ce statut unique en Europe et de maintenir légèrement à la baisse ses avantages : 507 heures sur 10 mois (contre 12 auparavant) ouvrant droit aux allocations (sur 10 mois contre 12), cela laisse du temps pour préparer son spectacle (ou faire grève...). Pour Patrice Chéreau (Le Monde du 2/7) : « Je ne suis absolument pas choqué par l'accord. Certes, il est perfectible. Mais le statut de l'intermittent a été sauvé. Il faudrait faire des simulations pour savoir s'il défavorise réellement les bas salaires ». Quoi qu’il en soit, chacun a le droit de critiquer l’accord, mais ce qui s’est passé ces derniers jours dépasse la simple protestation sociale.
Car sur le front des festivals il faut rétablir la vérité et ne pas croire que c’est la « majorité » qui a pris les décisions qui ont amené la catastrophe :
- A Jazz à Vienne les intermittents avaient lu un communiqué sur scène en début de soirée, sous les applaudissements des 5.000 spectateurs. Mais le beuglement des cornes de brume de leurs collègues « extérieurs » amena l’ambassadeur de la bossa nova, Joao Gilberto à annuler son concert.
- Pour les Francofolies (1er festival de chanson française), les intermittents avaient voté contre la grève à 47 voix sur 48. Mais la CGT du spectacle a annoncé son intention de « bloquer les Francofolies et de refuser toute discussion avec les organisateurs ou le public ». (Libération du 4/7). Bel exemple de démocratie ! 50 grévistes extérieurs au festival occupent le site et poussent son directeur artistique Jean-Louis Foulquier à annuler l’édition. « J'arrête contraint et forcé parce que ma vocation n'est pas celle d'un otage. Je regrette que les représentants de la CGT qui étaient sur place, alors que le leur tendais la main, m'aient roulé dans la farine, n'aient jamais respecté leur engagement et leur parole », a-t-il ajouté à l’AFP.
- Au Festival d’Aix-en-Provence, les intermittents ont procédé à un vote à bulletin secret lors d’une assemblée générale le 3 juillet, « sur les 336 votants (sur 588 inscrits), 207 voix se sont exprimées contre le maintien de la grève (soit 64,89 %) et 112 pour la reconduction effective du préavis (35,11 %) » (Le Monde du 4/7). D’autres consultations donneront une toute aussi large majorité favorable au travail. Mais le 7, le spectacle dirigé par Pierre Boulez est perturbé dans la dernière demi-heure par des manifestants CGT (S. Lissner sur France Info le 8/7), et le 9, la représentation de La Traviata est perturbée par « des intermittents (tous extérieurs au festival) qui ont orchestré pendant quatre heures un véritable charivari avec crécelles, trompettes d'enfants, pétards et boîtes métalliques frappées en cadence » (AFP). Des « militants de la CGT » selon un technicien du festival s’exprimant sur TF1, pendant, au passage, que le responsable de la CGT-spectacle, Jean Voirin, assistait au concert des Rolling Stones au Stade de France...
- Seul Avignon a en fait réussi à réunir une majorité d’intermittents favorables à la grève, mais de justesse (272 pour, 244 contre et 69 abstentions et nuls) et dans des conditions plutôt bizarres : « Plus de mille personnes dans la salle. Pas seulement les trois collèges - techniciens, administratifs, compagnies - qui voteront tout à l'heure et sont un peu plus de six cents. Mais aussi tous ceux que la coordination tolère et laisse même longuement s'exprimer à la très étonnante exception des journalistes qui n'ont même pas le droit de pénétrer dans la cour » (Le Figaro 10/7)... C’est cette « AG », la deuxième, qui conduira à l’annulation de la manifestation.
On le voit, une large majorité d’artistes et d’intermittents étaient favorable à la tenue des festivals, mais une minorité d’excités - c’est à dire un syndicat qui de toute façon ne signe jamais rien et ensuite hurle à la mort en demandant de renégocier, ainsi que des groupuscules d’anarchistes professionnels - s’y est victorieusement opposé. Mais après tout, des agités il y en a toujours, cependant force doit rester à la loi. Le droit de grève est bien sûr légal, mais empêcher les autres de travailler est, lui, parfaitement illégal. Hors qu’a fait le gouvernement pour garantir le droit au travail ? Rien.
Il n’y avait en fait qu’une infime minorité d’artistes irresponsables appelant à la grève. On peut en citer deux, grassement subventionnés, dont le second a laissé le théâtre qu’il dirigeait au bord de la faillite. Régine Chopinot d’abord, qui dans Le Monde (4/7) déclare : « ...il (le directeur du Festival de danse de Montpellier NDLR) nous a tous réinvités pour l'édition 2004. Personne dans ces conditions ne demande de cachets, sauf des défraiements minimaux. On sort tous grandis de cette épreuve ». Elle se vante de ne pas demander de cachet alors qu’elle ne joue pas ! Et les spectateurs apprécieront, eux dont les « défraiement minimaux » ne seront pas remboursés. Stanislas Nordey ensuite, qui déclare carrément : « on n'est pas là pour sauver le Festival d'Avignon ». Avec des artistes pareils, c’est sûr. Lors de la grande « manif » des intermittents à Avignon (en fait renforcée de bataillons de cheminots de la CGT), on a pu en voir certains, en tête de cortège, promener un Christ en Croix ! S'ils font des spectacles d'aussi mauvais goût ce n'est pas étonnant qu'ils ne trouvent pas de travail.
Contre cette autodestruction (la CGT a annoncé dès le départ que « les festivals allaient sauter les uns après les autres »), les avertissements n’ont pourtant pas manqué : « Je trouve cela complètement fou, suicidaire. On risque de se réveiller dans huit jours avec une terrible gueule de bois » déclare Bernard Faivre d’Arcier, qui dirige son dernier Festival d’Avignon. Philippe Toussaint, président de France Festivals, parle pour sa part de « menace de mort » sur les festivals, dont certains pourraient selon lui de « ne pas se relever » d'un tel mouvement. Le risque, c'est qu'il y ait « deux fois moins de festivals l'an prochain » et que des milliers d'artistes et de techniciens se retrouvent sur le carreau » (Associated Press), il dénonce « une politique du pire ». « Nous voulons mettre en garde ceux qui bloquent l'organisation des festivals, car ce sont ceux-là même qui en vivent », a-t-il insisté, en soulignant que l'accord signé vendredi a le mérite de pérenniser le statut spécifique des professionnels du spectacle, sans lequel « les festivals ne peuvent pas continuer à travailler ». Recommandation non écoutée ou, pire, sifflée comme le raconte Libération (3/7) : « Tout se déroulait dans un calme relatif jusqu'à ce que Patrice Chéreau prenne la parole pour «répondre à des contradictions et des interventions démagogiques entendues». «Je ne pense pas, a-t-il dit, qu'on cherche à nous liquider et je vois dans le protocole autant de pertes que d'avancées. Je ne suis pas choqué, car le statut est malgré tout préservé. Tant que nous exercerons notre métier, il sera préservé. Ce qui peut le casser, c'est l'annulation des festivals.» Sifflé, puis hué, il se rasseyait»...
Comment a-t-on pu en arriver là ? Entre une minorité jusqu’au-boutiste, un gouvernement qui laisse filer la situation et des autorités morales qui sont sifflées (Chéreau aujourd’hui, comme Vilar en 68), la spirale de l’annihilation l’a emporté. Certains remettent les choses en place, tel Zingaro à Avignon : « Ce qui m'a énervé dans certains des comportements que j'ai pu observer ces jours-ci, c'est l'oubli, pour ne pas dire le mépris absolu, du public. Or, je le sais, Zingaro n'existe pas sans son public, un public que nous avons mis vingt ans à construire et qui est pour nous sacré. Des spectacles, des spectacles à succès, y en a : Johnny Hallyday, Star Academy... Mais des spectacles qui n'existeraient pas tels qu'ils le sont sans une relation très particulière avec le public, ce sont les nôtres.» (Le Figaro 8/7). Bravo l’artiste ! « Agir en artiste et non en terroriste » comme le recommande Mireille Delunsch. Effectivement. Nous faisons nôtre le jugement de Jérôme Savary : « Les intermittents qui bâillonnent les autres ne méritent pas le nom d'artiste » (Le Point 4/7). Mais, malheureusement, les délinquants de la culture ont gagné.
Et maintenant ? Y aura-t-il des festivals (Aix, Avignon, etc) en 2004 ? Verra-t-on le Ring de Rattle/Braunschweig dans la future grande salle d’Aix-en-Provence ? L’effondrement culturel va-t-il se poursuivre ? Il y a déjà eu un effet de contagion dans les institutions permanentes, à Toulouse où le concert d’adieu de Michel Plasson a été annulé (les musiciens de l'orchestre se sont-ils un instant demandés ce qu'ils seraient devenus sans lui ? c’est vraiment très petit), à l’Opéra National de Paris, où la grève est une seconde nature chez le personnel, à l’Opéra de Lyon également. Cette folie destructrice va-t-elle se poursuivre à la rentrée ? Il serait peut être temps que le public et la vraie majorité des artistes se fassent entendre.
Lire l'article sur les Chorégies d'Orange
Philippe Herlin
|