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Jean-Claude Malgoire (1940-2018)
06/03/2018


L’héritage discographique de Jean-Claude Malgoire





J.-C. Malgoire (© Danielle Pierre)


La disparition de Jean-Claude Malgoire: la mémoire d’un pionnier français du baroque


Une barbe... Visuellement parlant, c’est peut-être, à titre personnel, ce qui nous restera de Jean-Claude Malgoire. Hier noire et drue, devenue par la suite grise et courte, elle était néanmoins toujours là, participant de la bonhomie d’un musicien aux talents multiples dont l’accent chantant va indéniablement nous manquer.


Accent qui lui venait de son Avignon natal, au cœur de la Provence, où il vit le jour, le 25 novembre 1940. Venant d’un milieu modeste (une mère employée des PTT et un père ouvrier) mais féru de musique, ses parent l’emmenant très tôt à l’opéra d’Avignon (où il découvrit notamment l’opéra italien), il est fasciné par un de ses professeurs qui, à l’école, jouait du violon. Or, lorsqu’il demanda à ses parents d’être inscrit en classe de violon, il avait 9 ans: trop vieux lui répondit-on. Alors quoi? Le hasard voulut que son professeur de solfège, Marien Cassan, fût également professeur de hautbois. Or, étant assez mauvais en solfège, le jeune Jean-Claude en fut quitte pour plusieurs heures de colle pendant lesquelles il assistait aux cours donnés par ce professeur: ce sera donc le hautbois! Hasard total (de même que celui qui voulut qu’il fût, tout jeune, dans la même classe de hautbois qu’un certain Maurice Bourgue, d’un an son aîné!) mais hasard bien entendu déterminant. Jean-Claude Malgoire montre des dispositions exceptionnelles pour cet instrument à tel point qu’il atteint rapidement le meilleur niveau, son professeur l’envoyant au Conservatoire national supérieur de musique de Paris pour continuer de se perfectionner: il a 17 ans. Ses parents lui achètent alors un hautbois Marigaux, instrument de grande qualité qui remplaça son hautbois d’étude, et le voilà qui alterne heures d’études et premiers engagements, notamment au sein de l’Harmonie des Usines Renault, alors dirigée par Jean Devémy (1898-1969), par ailleurs professeur de cor au Conservatoire de Paris. Il épaule et joue avec des ouvriers venant répéter en bleu de travail et avec un enthousiasme dont il dépeint parfaitement l’ambiance au micro de Benjamin François dans ses Grands entretiens, diffusés de façon presque prémonitoire du 19 au 23 mars dernier et disponibles sur le site de France Musique (ici, ici, ici, ici et ici).


Quelques tournées en Allemagne, quelques collaborations avec divers petits orchestres, une incursion dans le monde de l’opérette jusqu’à la fin 1961 (L’Auberge du Cheval-Blanc et Le Secret de Marco Polo avec Luis Mariano au Châtelet ou à L’Européen), un poste de soliste dans divers orchestres de casinos (à Cannes notamment, où il alterne programmes sérieux à l’ancien Palais des Congrès et concerts en plein air, mais aussi à Enghien): autant d’expériences qui vont lui permettre de s’adapter à une multitude de répertoires. Jean-Claude Malgoire poursuit également ses études au Conservatoire dans les classes d’Etienne Baudo (cor anglais solo à l’Opéra de Paris et père du chef d’orchestre Serge Baudo), Pierre Bajeux et Roland Lamorlette. Ayant décroché en 1960 deux premiers prix (hautbois et musique de chambre), il doit partir effectuer son service militaire en France (à Courbevoie, avant de partir en Algérie fin 1961, le service durant alors 28 mois) pendant lequel il a aussi bien joué au Théâtre des Champs-Elysées pour des ballets où officiait l’étoile Rudolf Noureev, notamment dans La Belle au bois dormant (spectacle qui revêtait la dimension d’un événement considérable, comme il le rappela lui-même, la foule en délire faisant la queue pendant des heures pour admirer le danseur russe) que, alors qu’il était de l’autre côté de la Méditerranée, joué de la flûte piccolo dans la variation d’une aubade reprenant le célèbre thème du Pont de la rivière Kwai.


De retour à Paris, des amis et connaissances l’aident à devenir «aspirant» (remplaçant) à la Société des concerts du Conservatoire, ce qui lui permet de participer, par exemple, à la tournée japonaise de l’orchestre sous la direction d’André Cluytens et à jouer dans l’orchestre qui enregistre plusieurs disques avec Maria Callas (Tosca, «Callas à Paris»... publiés chez EMI). Tout en travaillant le «grand répertoire», il tâte également de la musique contemporaine en participant par exemple en 1964, sous la direction de Serge Baudo, à la création d’Et exspecto resurrectionem mortuorum de Messiaen, à la cathédrale de Chartres, devant le Général de Gaulle. En 1967, Malgoire intègre l’Orchestre de Paris, tout nouvellement créé, la phalange recrutant la moitié de ses effectifs parmi les membres de la Société des concerts du Conservatoire. Il auditionne donc devant Charles Münch et, après s’être fait doubler par Maurice Bourgue pour le poste de hautbois solo, devient cor anglais solo de l’orchestre, tout en continuant à jouer du hautbois, notamment dans le répertoire contemporain. De Münch, il garde le souvenir d’un «être merveilleux» et de formidables concerts, comme ceux donnés à Boston en octobre 1968 où le chef français était accueilli par un public de fans. De Karajan, conseiller de l’orchestre pendant une brève période, il garde le souvenir d’un chef extraordinaire (la «Scène aux champs» dans la Symphonie fantastique, la Symphonie en ré mineur de Franck enregistrée en une seule prise salle Wagram, avant quelques intenses séances de répétitions en vue du concert donné le lendemain au Palais des fêtes de Strasbourg) et d’un homme affable qui l’autorisa notamment à rater des répétitions avec lui pour aller passer la finale du concours de Genève («Mais bien sûr: allez donc à Genève et gagnez le prix!» lui aurait intimé le chef autrichien), compétition qu’il remporta effectivement en septembre 1968. Puis ce furent également Celibidache, Solti (avec lequel il ne s’est pas bien entendu et dont l’arrivée précipita sa décision de quitter l’Orchestre de Paris), Ozawa (dont la «gestuelle inoubliable» lui a permis de participer à l’enregistrement de «disques miraculeux» comme l’intégrale de L’Oiseau de feu ou à certains concerts comme ce Requiem de Berlioz donné au festival de Salzbourg à la mémoire de Münch décédé quelque temps auparavant) et Barenboim...


Mais Jean-Claude Malgoire mène alors une double vie puisque, entre-temps, 1966 est passée par là! Il a très tôt été intéressé par l’interprétation et par la manière dont, à son sens, il convenait d’aborder le répertoire baroque. Après avoir compulsé frénétiquement le livre d’Antoine Geoffroy-Dechaume (1905-2000) sur l’histoire de la musique ancienne (Les Secrets de la musique ancienne, recherches sur l’interprétation, Fasquelle, 1964), et le traité d’Eugène Arnold Dolmetsch (1858-1940), The Interpretation of the Music of the Seventeenth and Eighteenth Century (Londres, Novello, 1915), il se rend compte du décalage croissant entre la manière de jouer ce répertoire et ses aspirations propres, critiquant ouvertement le chef qui le dirige à ce moment-là Le Messie, au festival d’Aix-en-Provence. C’est l’époque où, avec d’autres férus de musique ancienne venus des quatre coins de l’Europe, il investit le salon de la comtesse de Chambure (1902-1975) qui, richissime mécène, offrait son appartement pour y faire jouer de la musique ancienne, époque également où il rencontre Charles Ravier (1924-1984), chef de chœur et par ailleurs grand spécialiste de la musique du Moyen-Age. «Mon modèle», confie-t-il à Ivan A. Alexandre (Diapason, n° 529, octobre 2005), «c’était Michel Piguet», formidable artisan du renouveau du hautbois baroque qui travaillait alors avec Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt.


Alors qu’il effectue des recherches à la Bibliothèque nationale de France, il tombe sur un manuscrit de Philidor, Musique pour la Grande Ecurie et Musique pour la Chambre du Roy, titre se référant à deux ensembles créés sous François Ier: c’est dit, ce sera le nom de son ensemble. On est à la fin de l’année 1966: La Grande Ecurie et la Chambre du Roy est née. Malgoire et son nouvel orchestre enregistrent leur premier disque en 1969 grâce au soutien du producteur français Georges Kadar (qui travaillait pour la firme américaine CBS), aussi passionné que notre Avignonnais. Le programme est aussi éclectique que rare avec des œuvres signées notamment Jean-Joseph Mouret, dont Malgoire avait déjà enregistré plusieurs pièces peu connues, comme L’Empereur dans la lune, La Foire des fées ou L’Amante difficile, au sein d’un disque intitulé «Les Jeux Olimpiques» (avec un i), dirigé par Jean-Louis Petit (avec l’orchestre du même nom) qui, édité chez Decca dans la série «Grand Siècle», avait remporté en 1963 le Grand Prix du disque. Au programme de ce premier disque, citons également André Campra (quelques extraits de Tancrède, déjà...), L’Hyver (une cantate de Boismortier avec Sophie Boulin en soliste) ou la Sinfonia pastorella en la majeur de Leopold Mozart. Ce qui est également important dans ce premier opus, c’est la «bande à Malgoire», si l’on peut dire, le jeune chef réunissant autour de lui des musiciens qui joueront souvent avec lui, aussi avides de découvertes que les cornistes Michel Garcin-Marrou (qui venait, en 1966, de créer une classe de cor naturel au Conservatoire de Paris) et André Both, qui enregistra une magnifique version du Concerto pour deux cors RV 539 de Vivaldi avec Claudio Scimone (Erato), ou le hautboïste Michel Henry. S’intitulant «La Grande Ecurie en concert», le disque paraît donc chez CBS, la photo de couverture nous montrant un Jean-Claude Malgoire prenant la pose, la barbe fournie et la pipe dans la main gauche, le regard assuré: l’aventure peut véritablement commencer!


En fait, l’aventure se transforme vite en aventures puisque, à l’occasion de l’exposition «La Vie quotidienne au temps de Saint Louis» qui se tient à la Conciergerie, à Paris, de janvier à juin 1970 (à l’occasion des sept cents ans de la mort du grand roi), Jean-Claude Malgoire crée un nouvel ensemble, le Florilegium Musicum de Paris, destiné à jouer de la musique du Moyen-Age et de la Renaissance. S’inspirant du travail déjà effectué par des ensembles comme le fameux Studio der frühen Musik, le petit orchestre connaît rapidement un succès considérable, multipliant les concerts et les disques, jouant aussi bien de la musique du XIIe siècle que de la musique contemporaine (Luciano Berio, Marc Monnet...). Mais ce sont surtout des disques aussi précurseurs que ceux consacrés à la «Musique au temps de Saint Louis» (août 1970), à la «Musique au temps des Croisades» (1973), aux «Danses de la Cour et des villages» (fameux disque avec des morceaux comme le Tourdion de Robert Ballard, que l’on connaît surtout sous sa forme chantée: «Quand je bois du vin clairet, Ami tout tourne...», les délicates Danceries à 4 de Claude Gervaise ou l’anonyme Ballet des coqs) et le non moins célèbre opus consacré à la «Musique pour le camp du Drap d’Or» (1975). Si Malgoire enregistra également avec cet ensemble un disque consacré à des «Concertos italiens pour hautbois» (Marcello, Vivaldi, Albinoni...), cet épisode du Florilegium Musicum de Paris permit surtout au public d’entendre des répertoires et des sons qu’il ne connaissait guère jusqu’alors; et là, tout d’un coup, on pouvait écouter le cervelas, le cromorne, la vièle, les flûtes à bec les plus diverses (sopranino, soprano, ténor et basse), la basse de viole, le rebec, l’épinette... Autant dire qu’un monde nouveau s’offrait aux oreilles d’alors!


C’est d’ailleurs peut-être l’héritage le plus important (à nos yeux en tout cas) de Malgoire: de nouvelles sonorités, de nouvelles rythmiques aussi. En 1972, année même où il crée Sequenza VII pour hautbois solo de Berio (il venait alors d’intégrer l’ensemble de musique contemporaine 2e2m), il enregistre la Water Music de Händel avec cors naturels et cordes en boyaux (peut-être moins réussie que sa seconde gravure en 1984, toujours pour CBS, bien que plus enlevée) mais, comme il l’avoua lui-même, les musiciens ne comprenaient pas cette musique, ne savaient pas comment devait être jouée une «ouverture à la française» avec ses rythmes pointés... La même année, ce sont des extraits des Paladins de Rameau (avec notamment Alain Moglia au violon solo, Jacques Cazauran à la contrebasse, père du truculent Bernard Cazauran qui lui succéda comme contrebassiste solo de l’Orchestre de Paris, Yves Pourcel au hautbois et à la musette, et les cornistes Michel Garcin-Marrou et Robert Tassin). Suivirent peu après deux autres disques Händel avec, en 1974, la Royal Fireworks Music (de loin préférable à la version de 1986 avec orchestre complet) et les Concerti a due cori: alors, justement, écoutons ces disques, réécoutons-les surtout! Certes, le premier Allegro de la Première Suite en fa majeur de la Water Music s’avère très retenu, l’Andante montre un legato assez prononcé, le Passepied et l’Air sont assez lourds mais, dans la Troisième Suite en sol majeur, comment ne pas être convaincu par ces Rigaudons très dansants avec flûte à bec et tambourin, ou par ces Menuets parfaitement enlevés? Le disque consacré à la Royal Fireworks Music est encore plus abouti et, pour tout dire, formidable! Dans la version uniquement avec instruments à vent (cuivres, anches doubles et timbales), la «Réjouissance» est géniale de truculence et de brillance, les timbres sont vivifiants, la spatialisation est très étudiée (on entend parfaitement les cors à droite, les hautbois au milieu et les trompettes à gauche): sans conteste, cet enregistrement a beaucoup moins vieilli que, par exemple, les Brandebourgeois par Harnoncourt et la ferveur des musiciens se communique parfaitement à l’auditeur. La réussite dans les Concerti a due cori est d’ailleurs tout aussi patente. En janvier 1974, ce sont également Les Indes galantes que Malgoire enregistre en intégralité (le prologue et les quatre entrées!) avec notamment Rachel Yakar (pour le petit rôle d’Emilie, mais quelle tenue dans la voix!), Pierre-Yves Le Maigat (Huascar) et Sonia Nigoghossian (Zaïre). Version sans doute dépassée aujourd’hui (des tempi souvent rapides, un orchestre qui sonne «petit» et qui s’avère souvent aigre à l’oreille) mais qui, à l’époque, était des plus novatrices.


Le succès remporté par Malgoire et La Grande Ecurie est tel (les projets comme Alceste ou Rinaldo sont en ligne de mire, les tournées se multiplient en Scandinavie, à Londres, en Allemagne) que le chef quitte définitivement l’Orchestre de Paris avec l’arrivée de Barenboim, qui ne lui en tint pas rigueur, sa décision ayant été prise bien avant. Après une grande tournée en Amérique du Sud en 1975, Malgoire dirige Tancrède à Copenhague puis Le Couronnement de Poppée à Covent Garden. C’est également l’époque où il enregistre Alceste de Lully (1974 marquant le bicentenaire de la création de l’œuvre, l’enregistrement étant le premier d’un opéra de Lully dans l’histoire du disque) ainsi que Rinaldo de Händel (enregistrement effectué du 19 au 23 mai 1977 en l’église Notre-Dame-du-Liban) sur instruments anciens, l’exceptionnel plateau vocal (dominé par Carolyn Watkinson dans le rôle-titre et Ileana Cotrubas dans celui d’Almirena) rachetant quelque peu un orchestre parfois assez neutre. Enregistrement d’une extrême importance puisqu’il s’agissait là du premier enregistrement d’un opéra de Händel en intégralité, qui plus est sur instruments d’époque.


C’est ainsi que Malgoire mit au goût du jour un répertoire baroque dans lequel une génération de nouveaux chefs, orchestres et chanteurs allaient bientôt s’engouffrer, Händel et Vivaldi s’affirmant comme les grands bénéficiaires de cette boulimie musicale. Fin mars 1979, toujours en l’église Notre-Dame-du-Liban, les micros se plantent pour capter cette fois-ci l’enregistrement de Serse de Händel (Carolyn Watkinson dans le rôle-titre, la toute jeune Barbara Hendricks dans le rôle de Romilda et Paul Esswood dans celui d’Arsamene). Puis, plus tard, ce sera Jules César, gravé en 1995, version dominée par l’excellent James Bowman («Empio, diró, tu sei» ou le célébrissime «Va tacito...», airs à l’interprétation superlative) et Agrippina à la scène avec Véronique Gens et Philippe Jaroussky, alors peu connu, dans le rôle de Néron. Pour Vivaldi, les œuvres orchestrales (Les Quatre Saisons notamment) ne sont pas parmi les plus grandes réussites de Malgoire; on n’en dira pas autant des opéras qu’il contribua à sortir de l’oubli comme Catone in Utica, donné en 2001 à l’Opéra Comique, ou Montezuma qu’il enregistra en concert le 8 mai 1992, ayant lui-même reconstitué la partition, et rappelant dans la notice que «ce travail de "résurrection" (...) bien qu’arbitraire, me permet d’honorer le génie opératique de Vivaldi». Isabelle Poulenard, Dominique Visse et Nicolas Rivenq, entre autres, sont de la partie avant qu’Alan Curtis ne retrouve la partition originale et n’enregistre à son tour l’œuvre, non sans avoir (dans la notice du disque) rendu hommage à son ami.


A la fin des années 1970, à l’image de l’Opéra du Rhin qui associait les villes de Strasbourg, Mulhouse et Colmar, Maurice Fleuret eu l’idée de constituer dans le nord un projet musical au sens large, associant musique et danse, avec le soutien des villes de Lille, Roubaix et Tourcoing. Le marché était le suivant: à Lille le «grand opéra», à Roubaix les ballets et à Tourcoing, l’expérimental, où Malgoire s’investit immédiatement. Le projet du chef avignonnais fut retenu et l’entente tourna malheureusement court après des succès indéniables, comme Le Couronnement de Poppée qui, servi par une troupe de jeunes chanteurs, remporta le prix du meilleur spectacle lyrique de l’année en 1982. Le Ballet de Roubaix et l’Atelier ont donc pris leur liberté et se sont transformés en association, prenant le nom d’Atelier lyrique de Tourcoing, devenue troupe lyrique dont Jean-Claude Malgoire fut le promoteur et l’animateur jusqu’à sa mort. Infatigable défricheur de répertoires nouveaux (des Tréteaux de Maître Pierre de Falla au Falstaff de Salieri en passant par le Tamerlano de Händel et l’Aben Hamet de Théodore Dubois!), il fut également un grand découvreur de talents, recourant sans cesse à de nouveaux chanteurs pour son atelier musical en pleine effervescence. C’est ainsi qu’ayant besoin d’une basse pour un opéra de Monteverdi, il appela Renaud Delaigue qui vint avec sa future femme, une certaine Stéphanie d’Oustrac... De même, Véronique Gens, Dominique Visse, Sabine Devieilhe, Ingrid Perruche, Philippe Jaroussky furent autant de jeunes pousses qui, sous l’autorité du maître, évoluèrent aussi bien dans le répertoire baroque que classique: c’est grâce à lui que Véronique Gens devint la mozartienne que l’on connaît, notamment lors de la fameuse trilogie Da Ponte donnée au Théâtre des Champs-Elysées à partir de 1995 dans la mise en scène de Pierre Constant et reprise en 2010 (voir ici, ici et ici). Défenseur acharné des opéras de Rossini (du Barbier de Séville à Tancrède en passant par L’Italienne à Alger dans la mise en scène du fidèle Christian Schiaretti), Malgoire s’était également essayé à Wagner à l’Opéra de Marseille (Parsifal) mais l’expérience tourna rapidement court. C’est donc quelques jours après avoir donné Pelléas et Mélisande, opéra qu’il chérissait entre tous, avec Guillaume Andrieux et Sabine Devieilhe dans les rôles-titres, que Jean-Claude Malgoire nous a donc quitté, dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, des suites de complications postopératoires.




L’héritage discographique de Jean-Claude Malgoire


Outre ses talents de défricheur musical, Jean-Claude Malgoire nous a laissé plusieurs trésors comme la recette du poulet au vinaigre ou le conseil selon lequel le boudin doit être grillé et non poêlé... Telle est en tout cas l’une des images qui resta gravée à jamais à l’esprit de Philippe Beaussant (Vous avez dit baroque?, éditions Babel, rééd. 1994, page 38), qui le rencontra alors qu’il répétait Alceste de Lully à Saint-Maximin! Outre ces magnifiques pages pleines de tendresse («Malgoire entraîne sa musique et la fait voler bien au-dessus des musiques froides» écrit-il quelques lignes plus tôt), on ne peut qu’inciter le lecteur à se précipiter sur l’ouvrage Jean-Claude Malgoire: cinquante ans de musiques et d’aventure de Virginie Schaefer-Kasriel (Symétrie), qui fourmille d’informations détaillées et bénéficie d’une discographie complète.


Georg Friedrich Händel





C’est sans doute le compositeur auquel le nom de Jean-Claude Malgoire restera le plus attaché tant il a été un véritable fil conducteur de sa vie de musicien et tant il l’a magnifié dans plusieurs enregistrements restés justement célèbres. Malheureusement et sauf erreur, ses versions primitives de la Water Music et de la Royal Fireworks Music n’existent pas sur disque compact: on doit se contenter des versions (moins réussies) gravées en 1984-1986 (Sony). Ces premières versions sont heureusement disponibles sur YouTube et s’écoutent avec un plaisir et une fraîcheur sans cesse renouvelés. Côté opéra en revanche, on a plusieurs trésors à disposition, de Serse à Rinaldo en passant par Tamerlano (tous publiés chez Sony Classical)! N’oublions pas non plus le magnifique Giulio Cesare in Egitto (Astrée Auvidis) et, pour les vidéothèques cette fois-ci, la captation d’Agrippina en mars 2003, à Tourcoing, avec Véronique Gens (Agrippine), Philippe Jaroussky (Néron) et Ingrid Perruche (Poppée): quel plateau là encore (Dynamic)!


Musique française





«Je tiens donc de Malgoire, avec quelques autres belles découvertes, une manière d’être avec la musique qui me fut révélée en quelques heures par le premier contact proprement physique avec celle de Lully» écrivait Philippe Beaussant. Autant dire que cette musique du «Grand Siècle» fut un terrain d’élection pour l’insatiable curieux qu’était Jean-Claude Malgoire! Si l’histoire retient Alceste, on conseillera plutôt les formidables Tancrède de Campra (un live aixois publié chez Erato avec François Le Roux dans le rôle-titre), Indes galantes de Rameau (enregistrées en janvier 1974 et rééditées chez Sony Classical) sans oublier un méconnu mais très beau disque consacré aux «Grands Motets pour Louis XVI», rassemblant des motets de Grétry, Gossec et Giroust (K 617).


Divers





Pour qui souhaite un témoignage de Malgoire mozartien, on ira en priorité vers sa trilogie Da Ponte (rééditée en coffret par Naïve). N’oublions pas par ailleurs sont très convaincant Montezuma de Vivaldi (Astrée Auvidis) et ce génial disque, pour qui n’aurait pas de tourne-disques pour vinyles, rassemblant plusieurs œuvres enregistrées avec le Florilegium Musicum de Paris entre 1970 et 1975, qui s’intitule «Le Tourdion» (K 617). Enfin, pour qui souhaite écouter Malgoire au cor anglais, on pourra conseiller les enregistrements de la Fantastique (en vidéo seulement) et de la Symphonie en ré mineur de Franck (EMI puis Warner) par l’Orchestre de Paris sous la direction de Karajan.


Sébastien Gauthier

 

 

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