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Entretien avec Dominique Meyer 04/29/2018 Vienne, les institutions musicales et leurs directeurs: l’Opéra d’Etat de Vienne et Dominique Meyer
Le Wiener Staatsoper : l’ambassade culturelle
Cette série d’entretiens permettra au lecteur de mieux saisir, à travers le regard de leurs directeurs, ce qui fait la singularité des grandes institutions musicales viennoises.
Dominique Meyer explique ici comment il a progressivement organisé la modernisation de cette grande maison, l’adaptant inlassablement au monde moderne tout en respectant les traditions.
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D. Meyer, D. Finker (© Dimitri Finker)
Un parfum diplomatique flotte les premières minutes où l’on fait connaissance avec Dominique Meyer. Le Wiener Staatsoper est certes bien plus qu’une maison opéra, et son directeur loin d’en être un administrateur anonyme: c’est avant tout une institution phare de l’Autriche, faisant de son représentant une icône du microcosme viennois et l’investissant de la charge informelle d’ambassadeur du rayonnement culturel national. Cette première impression solennelle est cependant trompeuse: derrière le verbe poli et le ton feutré, pointe la personnalité de l’entrepreneur alsacien, assidu dans l’action, gérant le personnel avec paternalisme et sachant savourer le souvenir d’un dossier proprement géré. Le spacieux bureau d’angle qu’il occupe au premier étage, surplombant la place Karajan, reflète au fond le personnage: cela pourrait être un cabinet d’apparat, c’est en fait une salle de travail, sans luxe superflu et entièrement dédiée au labeur de l’Opéra.
Pour Dominique Meyer, le directeur doit servir l’institution et assumer ses responsabilités – voici des notions que l’on retrouve avec constance dans son vocabulaire. Le seul moment où la voix douce s’élève avec indignation, c’est pour revenir sur un ancien scandale qui s’était déroulé dans l’enceinte du Burgtheater. Dans sa plaidoirie, le directeur s’en prend d’une part à l’absurdité des mesures bureaucratiques, le scandale ayant généré «un changement de loi contreproductif et inefficace alors qu’un contrôle systématique des virements, des frais du directeur et des caisses aurait permis de régler l’affaire», mais il dénonce avant tout la conjonction de freins administratifs paralysant l’action d’une part – l’oubli des responsabilités inhérentes à la fonction de directeur artistique d’autre part: voici un condensé de tout ce qui semble pouvoir révulser mon interlocuteur.
Souvent reviennent les réflexes de l’ancien professeur d’économie, toujours prêt à invoquer les chiffres pour étayer les faits. L’académie de chœur? Un groupe créé pour aider les nouvelles recrues à couvrir chaque saison quarante-cinq opéras, chantés (sans partition) en six langues. Un choriste peut ainsi terminer sa carrière avec près de cent cinquante œuvres apprises par cœur. Les contraintes de programmation? Premièrement le bâtiment, dont le cadre de scène relativement fermé (13 mètres) autorise le stockage des décors nécessaires au fonctionnement en théâtre d’alternance. Deuxièmement le rythme à respecter de 330 techniciens répartis en trois équipes, qui quotidiennement démontent le décor de la veille, assemblent celui de la répétition du jour et préparent celui de la représentation du soir. Troisièmement l’orchestre, dont le nombre de répétitions (110 pour assurer 300 représentations par an) doit permettre d’assurer neuf nouvelles productions par an mais aussi de préserver le cœur du répertoire des musiciens tout en faisant tourner l’effectif, ainsi que de gérer les tournées concomitantes des Wiener Philharmoniker – hors de question par exemple de produire Wagner à Vienne lorsque l’orchestre joue Bruckner à l’étranger. Cet équilibrage de contraintes sur un horizon de quatre ans, perpétuellement remis en jeu par les aléas du moment, semble fournir à Dominique Meyer un puissant stimulant intellectuel.
Cette avalanche de chiffres n’est finalement jamais clinique, mais semble servir de repères familiers propices à réveiller les émotions du moment – comme cette date du 17 mars 2007, 19 heures 30, après une répétition de la Huitième Symphonie de Bruckner, lorsque deux représentants de l’orchestre l’invitent à rejoindre Vienne.
Les chiffres continuent à rythmer notre conversation avec une précision métronomique lorsque nous abordons l’une de ses marottes; la technologie, explique-t-il, est l’une des clefs pour préserver la pertinence de l’opéra au XXIe siècle. Les représentations ont beau afficher des taux de fréquentation dépassant les 99%, il faut continuer à investir pour faire évoluer l’institution: un nouveau projecteur de 30000 lumens, un éclairage LED, neuf cameras téléguidées quasiment invisibles du public et capables de retransmettre en 4K, désormais en HDR – donc sans la nécessité d’adapter les lumières du spectacle en cours pour les besoins de l’enregistrement. Autant d’innovations sur lesquelles l’Opéra communique peu, mais qui ont permis de s’ajuster aux sources de diffusion modernes, faisant passer le coût d’une retransmission de 200000 à 7000 euros. Une occasion aussi de mettre en valeur la richesse des archives, comme certaines des partitions annotées par Gustav Mahler, pouvant défiler lors des retransmissions commandées sur internet: «Cela intéresse certes très peu de gens, mais je trouve cela formidable» se réjouit Dominique Meyer.
L’enthousiasme de mon interlocuteur ne tarit pas; c’est l’horloge, et non le directeur de l’Opéra de Vienne qui semble suggérer la fin de l’entretien. On le quitte en ayant un peu la sensation d’avoir croisé un homme providentiel, dont les compétences et les passions coïncident avec les besoins de l’institution.
Dimitri Finker
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