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Entretien avec Yves Petit de Voize
03/20/2017


Après le brillant vingtième anniversaire du festival de musique de chambre de Pâques de Deauville en 2016, Yves Petit de Voize, son directeur artistique, a bien voulu accepter de répondre à quelques questions de ConcertoNet (qui suit fidèlement le festival depuis plus de dix ans) à la Fondation Singer-Polignac en prévision du vingt et unième festival (15 avril-30 avril 2017).



Y. Petit de Voize (© Stéphane Guy)


S’agissant de l’origine du festival...
...Vous trouverez tout dans le livre consacré aux vingt ans du festival et publié par l’association Les Amis de la Musique à Deauville.


Quelle comparaison feriez-vous entre les premiers festivals et les derniers?
Les objectifs sont les mêmes. Aujourd’hui, nous avons affaire à la quatrième génération de musiciens mais les principes du festival n’ont pas changé. Depuis 1987, il y a eu quatre renouvellements des musiciens parce que le but, c’est d’accueillir de très jeunes musiciens pour faire de la musique de chambre, fonder des ensembles, des trios, des quatuors, des octuors, etc. Depuis plus de vingt ans, il s’agit d’accueillir les générations les plus prometteuses et de les mettre en contact avec les générations qui les précèdent, depuis cette première génération autour d’Augustin Dumay, Maria João Pires, Renaud Capuçon, le Quatuor Ebène, Jérémie Rhorer. Les générations restent le temps d’apprendre les deux ou trois cents œuvres nécessaires aux métiers de la musique. En effet, quand les jeunes musiciens sortent du Conservatoire ou d’une Musikhochschule, ils ont bien travaillé leur instrument, ils ont appris quelques concertos, quelques sonates, quelques œuvres de musique de chambre, mais quand ils prennent vraiment la décision de devenir chambristes, il leur reste à apprendre avec leurs aînés les plus compétents tout le répertoire des trios, quatuors, des quintettes, des sextuors, etc. Pour cela, il faut trois ou quatre-cinq ans. Une génération à Deauville, c’est cinq-six ans. La génération présente aujourd’hui, depuis cinq-six ans, c’est Ismaël Margain, Adam Laloum, le Trio Les Esprits, de nombreux jeunes quatuors. Ils restent le temps de rentrer vraiment dans la carrière, de ne plus avoir besoin de nous, de jouer dans les grands festivals. Le festival de Deauville joue finalement un rôle de tremplin.
Le but du festival, c’est aussi de prendre soin de la culture musicale de ces jeunes interprètes, d’établir des passerelles entre les différentes époques, entre la musique baroque et la musique du vingtième siècle. Un quart de nos musiciens sont des «baroqueux»; ils doivent apprendre auprès de musiciens dont la spécialité est justement la musique baroque. Mais il faut aussi jouer de la musique du vingtième siècle. C’est ainsi que sont à l’affiche des compositeurs comme Thomas Adès, György Ligeti, György Kurtág, Henri Dutilleux. C’est la raison pour laquelle il y a toujours un ou deux concerts – il y en a deux cette année au festival de Pâques – entièrement consacrés à la musique contemporaine. Cette ouverture, nos jeunes musiciens ne l’apprennent pas dans les conservatoires et les grandes académies.


Comment est élaborée la programmation?
Je l’établis sur ces bases.


Quelle est la marge d’intervention des musiciens en la matière?
Nulle. Ils ne savent rien quand ils sortent du Conservatoire. Ils apprennent des concertos qu’ils ne joueront avec aucun orchestre. On forme des pseudo-concertistes; ils passent des concours et après ils disparaissent ou rentrent dans des orchestres. En général, ceux qui deviennent des grands solistes ne sont que trois par génération pour deux cents musiciens de talent! Certains se révèlent très vite et font de la musique de chambre en marge de leur carrière comme Gautier Capuçon ou Henri Demarquette mais la plupart, pour des raisons souvent de culture – comme les Hermès – font le choix de fonder un ensemble de musique de chambre ou d’intégrer un orchestre. Rares sont ceux qui ont l’attitude d’un Renaud Capuçon qui, après le Conservatoire, a décidé de ne pas se laisser enfermer et de repartir refaire toutes ses études en Allemagne auprès de Thomas Brandis à Berlin. Il avait une vision longue de l’apprentissage de la musique. En France, on forme de pseudo-concertistes dans les conservatoires. Nos jeunes musiciens ont au contraire besoin d’être réconfortés, encouragés dans la construction de leur projet musical. On reste ainsi dix semaines par an avec eux. Le cadre de la Fondation Singer-Polignac est idéal pour cela; les musiciens y disposent de sept salles de travail. Et à la fin du festival, nous constituons une sorte d’orchestre idéal, rassemblant tous ces chambristes après quatre jours de répétition. C’est toujours un moment exceptionnel. Au total, avec la vingtaine de concerts deauvillais de Pâques, le festival du mois d’août, les deux ou trois concerts par mois de la fondation, les concerts hors les murs que la fondation aide, un festival en Bretagne, les musiciens, qui sortent de rien pour rentrer dans notre famille, disposent ainsi, d’un coup, de trente à quarante concerts assurés par an. Ça change leur vie et la détermine. Après, intervient le destin ou la carrière... Certains enseignent même rapidement comme Bertrand Chamayou, Adam Laloum ou Jonas Vitaud. Quelques-uns intègrent de grands orchestres européens, mais la plupart constituent des duos, des trios, des quatuors, etc. C’est cela qui nous intéresse; c’est la base du festival.
Je ne m’occupe pas des recrutements. Les musiciens qui partent doivent trouver leur remplaçant. Après quatre-cinq ans, ils sont prêts. Ils ont joué tout le répertoire de la musique de chambre.


Avez-vous déjà songé à l’introduction de moments d’improvisation ou de jazz?
Ce n’est pas du tout notre monde. Certains pratiquent le jazz, notamment du côté des pianistes. C’est le cas d’Ismaël Margain par exemple. On a beaucoup d’amis dans le monde du jazz. Je pense notamment à Martial Solal. Mais le jazz, c’est un autre monde.


Comment concevez-vous les relations entre le festival et le salon Livres & Musiques?
A une époque, il y a eu des synergies entre les deux événements assez intéressantes. Mais elles sont devenues assez compliquées à concevoir. On a pu naguère monter des concerts dans le cadre du salon – un à chaque édition – mais on a constaté rapidement que les gens qui faisaient la fête tout la journée au salon ne venaient pas au concert le soir. Nous nous sommes donc séparés; c’est mieux ainsi. Le salon a sa logique; le festival, la sienne. De plus, le thème du salon, très ouvert et changeant chaque année, peut être un peu étranger à nos musiciens: musique américaine, rock, jazz...


Avez-vous déjà pensé utiliser l’orgue de l’Eglise Saint-Augustin toute proche de la salle Elie de Brignac, l’intégrer au festival?
Les organistes ne veulent pas jouer cet orgue. Il est trop mauvais. Il n’est pas jouable. Cet orgue est affreux.


Entre un saupoudrage d’œuvres contemporaines et leur concentration sur un concert quelle stratégie retenez-vous?
Dans tous nos concerts, il y a une œuvre du vingtième siècle. Dès l’origine, avec Renaud Capuçon, nous voulions d’ailleurs à l’affiche un chef-d’œuvre du répertoire, une œuvre méconnue du grand répertoire et une œuvre du vingtième siècle ou une œuvre contemporaine. Cette année, nous avons programmé des œuvres de Friedrich Cerha, György Ligeti et Alban Berg (avec une véritable «vacherie» pour les musiciens). Il y aura même une création d’Arthur Lavandier, donnée avec sa réécriture de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, le premier soir (15 avril). Nous proposons donc non seulement un concert consacré à la musique du vingtième siècle mais aussi des classiques du vingtième siècle tout au long du festival. Les Deauvillais râlent d’ailleurs beaucoup. Nous affichons ainsi au total entre trente et quarante compositeurs, ce que les autres festivals ne font pas. Le festival de Deauville est le seul à programmer des quatuors contemporains. Ailleurs, on assurera avec Beethoven ou Schubert...


On croit pourtant percevoir une certaine réticence à programmer la seconde Ecole de Vienne. Est-ce une fausse impression?
Oui. Nos quatuors jouent de tout: aussi bien Berg que Zemlinsky. Et nous avons déjà programmé le Pierrot lunaire; Mahler, dans toutes sortes de transcriptions est régulièrement à l’affiche. Mais il faut reconnaître que Schönberg, Berg, Webern sont moins à la mode qu’il y a vingt ans. C’est pareil pour Stravinsky. On ne le joue plus du tout, alors que ses pièces pour quatuor étaient parmi les plus jouées dans les années 1950-1960. Dans la mesure où nous ne programmons pas de sonates, l’accès à Webern est plus difficile. Il reste que nos musiciens ont déjà beaucoup travaillé l’Ecole de Vienne au Conservatoire.


N’avez-vous jamais pensé faire participer – même de façon accessoire – les jeunes des écoles environnantes? Et quel souvenir gardez-vous de la Maîtrise de Caen?
Ce n’est pas notre rôle mais avec la direction régionale de l’action culturelle, on fait quand même travailler les écoles. Depuis trois ans déjà, nous menons un projet avec un collège de Trouville pendant notre résidence d’hiver en décembre. Les élèves peuvent assister à une répétition avec les solistes du festival. Surtout, nous avons un partenariat privilégié avec la direction régionale de l’action culturelle depuis deux ans et nous faisons réaliser un documentaire sur les musiciens par des élèves de deux classes du collège Charles Moizin de Trouville. Enfin, des élèves d’une quatrième classe de Quatrième viennent aussi visiter la fondation. Ce sont même eux qui s’occupent de la communication sur les réseaux sociaux relative à certains événements. Un groupe s’occupe de Facebook; un autre de Twitter; un dernier d’Instagram. Ils vont aussi bien sûr venir nous rendre visite pendant le festival, rendre visite aux musiciens. Le documentaire sera ensuite diffusé dans des conditions qui restent à préciser. Beaucoup de ces élèves font partie de classes à horaires aménagés. Ils pratiquent la flûte, le violon, le violoncelle ou la clarinette. Il y a aussi des rencontres avec des luthiers, des archetiers... Ça crée des liens très forts avec les jeunes musiciens. Pour l’adaptation de la Symphonie fantastique d’Arthur Lavandier, nous avons prévu d’intégrer le plus ancien orchestre d’harmonie de Normandie et de France, l’Harmonie de Lisieux-Pays d’Auge.
Pour revenir à votre question, on a fait appel par deux fois à la Maîtrise de Caen. Et le résultat, même s’il dépendait beaucoup des chefs, n’a pas été bon: ils n’étaient pas prêts.


Faites-vous une différence entre le festival de Pâques et celui du mois d’août?
Au début oui. Celui d’août a quinze ans. On l’avait créé en été pour accueillir les plus jeunes musiciens – pas pour les tester mais pour les rencontrer. Et avec le temps, les différences se sont estompées même si les musiciens un peu connus sont moins disponibles l’été. La quatrième génération participe aux deux éditions.


Et du côté du public?
C’est un public très différent. A Pâques, c’est surtout un public typiquement deauvillais, un public de Parisiens en week-end. L’été, les gens s’installent et on vient en short avec les enfants. C’est un public de vacanciers qui n’a que ça à faire. Donc, on a beaucoup de monde en été, un public très sympa, très différent. A Pâques, c’est une clientèle de deux cents personnes qui habitent dans tout le Pays d’Auge, au Havre, à Caen, à Rouen. Ces deux cents mordus qui viennent depuis vingt ans sont des gens qui sont retraités ou qui résident dans la région. En été, les gens courent au concert après la baignade et la douche... On est moins dépendant des week-ends.


ConcertoNet a eu maintes fois l’occasion de déplorer l’absence de jeunes dans la salle...
Le festival n’est pas fait pour les jeunes! Et les vieux ont le droit d’aller au concert! On va au concert à trente ans en Europe, pas avant!


Ne pensez-vous pas que les enseignants des environs ne jouent pas leur rôle en ne poussant pas les jeunes à aller au concert?
Ça fait cinquante ans que j’organise des festivals. Les courriers aux professeurs ne servent absolument à rien. Ils ne viennent pas eux-mêmes. La plupart des professeurs sont des solistes ratés. Ils détestent les jeunes qui jouent à leur place; ils ne supportent pas ça. Tous mes collègues directeurs de festival connaissent le problème. Les professeurs ne viennent jamais au concert et ne poussent donc pas leurs élèves à y aller.

Ça ne vous attriste pas?
Pas du tout. Les gens découvrent la musique comme moi à vingt-cinq/trente ans. Ils se mettent alors à aller au concert et à lire. Il y a entre dix et vingt pour cent de jeunes l’été; c’est mieux qu’à Paris; à Pâques, c’est dix pour cent. Vingt pour cent, c’est la moyenne européenne. Les efforts, nous les faisons, en proposant notamment des places gratuites jusqu’à dix-huit ans et pour les étudiants, ce qui est extrêmement rare.


Mais justement...
Vingt pour cent, c’est déjà miraculeux! A la Folle journée de Nantes, on fait mieux mais c’est une ambiance Woodstock qui n’est pas la nôtre. Avec la nouvelle salle de la Philharmonie, les choses changent; de même avec les circuits jeunes et les concerts pour les jeunes. Mais les gens de soixante ans d’aujourd’hui ne venaient pas forcément au concert lorsqu’ils avaient vingt ans. On y vient plus tard, petit à petit. Je me souviens que, quand j’étais au Conservatoire à Rennes, j’allais très peu au concert. On faisait de la musique, mais on n’allait pas beaucoup au concert. Aux Jeunesses musicales de France, où j’étais conférencier, ça chahutait beaucoup. Sur les cinquante ou soixante gosses dont on s’occupe à Deauville, il y en déjà une dizaine qui sont complètement mordus. Ce n’est déjà pas mal. Ils font de la musique; ils viennent au festival. On ne peut pas imaginer un concert avec soixante pour cent de jeunes tout de même! C’est pareil dans les musées. Si on les fait venir en troupeau, c’est le chahut assuré.


La salle: vous avez expérimenté le Théâtre du Casino et le Centre international de Deauville (CID). A l’évidence, la salle Elie de Brignac est de loin la plus adaptée, non?
Elle a été refaite pour ça. On utilise le CID quand on est forcé. C’est le cas lorsqu’est prévu un orchestre amplifié, ce qui nous permet au passage de mener une opération de relations publiques. Mais ça sonne comme dans un oreiller. Le Théâtre du Casino a quant à lui une acoustique différente mais aussi misérable. Elle était meilleure quand les sièges étaient en bois. Aujourd’hui les musiciens n’aiment pas y jouer et la radio ne peut y enregistrer convenablement. C’est un endroit charmant, les Deauvillais le préfèrent de loin à la salle Elie de Brignac, mais ça ne convient pas.


Mais la salle Elie de Brignac vous paraît-elle suffisamment visible, repérable pour les personnes intéressées par le festival?
Certainement puisque ça fait vingt ans que le public vient. C’est à deux cents mètres de la mairie. Les vieux Deauvillais retraités râlent parce qu’ils n’aiment pas y aller à pied. Ils préfèrent le Théâtre du Casino. La localisation de la salle n’est en fait pas du tout un problème. Les gens savent très bien trouver le champ de courses quand ils veulent aller aux courses... Eh bien, c’est juste en face! Non non, ce n’est pas un problème. La salle Elie de Brignac a l’avantage d’être entourée d’un parc; on peut être dehors; on est chez nous. Notre villa, la villa Pégase, est à côté. C’est même très pratique. Le complexe, avec ses bureaux, ses salles de restauration, est absolument idéal. A l’entracte, tous les musiciens sortent dehors, fumer une clope avec le public. Il y a un échange formidable. Au Casino, il n’y a pas d’échange.


Bon nombre de festivals disparaissent faute de financement. Vous résistez vaillamment...
Ceux que je connais n’ont pas disparu. Seuls les petits festivals meurent.


Comment vous financez-vous?
Tout est indiqué dans le livre publié à l’occasion du vingtième anniversaire du festival. Il y a une association, des adhésions, la ville de Deauville et le groupe Barrière.


Ressentez-vous la crise des finances locales?
Pas du tout. La baisse de cinq à six pour cent par an est compensée par des adhésions, des dons... La situation n’est donc en rien dramatique. Des artistes renommés, comme Renaud Capuçon, Nicholas Angelich, Jérôme Pernoo, le Quatuor Ebène, n’ont de surcroît pas de rapports financiers avec nous comme avec les festivals ordinaires. Ils sont nés là. Lorsque le Cercle de l’Harmonie, à la réputation mondiale, vient à Deauville, on s’arrange...
Les recettes ont même bondi de dix pour cent l’année dernière. Nous bénéficions d’une très bonne billetterie et de beaucoup d’adhésions. Le projet est viable car nous ne faisons pas appel à de grands orchestres symphoniques ou des stars internationales.


Comment entrevoyez-vous l’avenir du festival?
Il est dans la main des musiciens. Quand je ne serai plus là, des musiciens structurés comme Jérôme Pernoo, qui a créé le festival de La Roche-Posay et dirige de son côté le Centre de musique de chambre de Paris, seront parfaitement capables de prendre le relais. Il y en a déjà six ou sept qui ont leur propre festival. Moi, je suis plutôt un conciliateur, un organisateur. Après moi, les musiciens choisiront. Bien entendu, tout doit se faire en accord avec le maire puisque Philippe Augier joue un grand rôle. C’est lui qui a voulu ce festival. C’est lui qui l’a porté pendant les premières années. C’est grâce à lui que Deauville s’est impliqué de plus en plus dans le festival. Bref, je ne suis pas inquiet.


Regrettez-vous l’abandon de l’auditorium à l’entrée de Deauville et la perspective d’un nouveau centre culturel modifie-t-elle les vôtres?
L’auditorium aurait été génial. Mais le futur Centre culturel dit des Franciscaines aura une chapelle transformée en auditorium de qualité avec des gradins en bois, du plancher en bois.


Vous y déplacerez-vous?
Ah, non! On y organisera un concert tout au plus. Trois cents places, ce n’est pas assez pour nous. Il nous en faut six cents. Mais, pour la musique baroque, des concerts un peu expérimentaux ou pour les enregistrements au profit de notre label, la chapelle pourra être intéressante. Sans doute enregistre-t-on dans la salle Elie de Brignac des concerts en direct, pour notre label, Deauville Live, mais avec les ingénieurs du son travaillant avec notre association, on pourra aller plus loin et ce sera assurément moins onéreux qu’à Paris ou La Chaux-de-Fonds. On pourra certainement faire une dizaine d’enregistrements. Après les premiers disques en direct, la perspective d’enregistrer pendant trois jours aux Franciscaines constituera un atout formidable pour nos musiciens. Attendons! 2019, je crois.


Un magnifique ensemble mais son financement est délicat, non?
Deauville n’est en effet qu’une grande ville en apparence. M. le Maire ne dirige pas une ville de cinquante mille habitants. Je ne sais pas combien il y a d’habitants à Deauville, mais ce n’est pas considérable.


Pas loin de quatre mille, je crois.
C’est ça, oui. Je suis Malouin et, à Dinard, c’est pareil: il y a beaucoup de monde l’été mais les gens qui votent et financent sont évidemment moins nombreux. Heureusement, il y a les taxes sur les casinos, l’hôtellerie... Tout est heureusement bien géré à Deauville. La municipalité peut donc faire beaucoup pour la culture.


C’est effectivement exceptionnel.
Il faut aussi souligner le rôle des associations. Elles sont nombreuses à Deauville et le maire, Philippe Augier, s’occupe d’elles magnifiquement bien. Rappelons qu’une petite ville comme Deauville dispose d’un festival de photo, d’un salon Livres & Musiques, de deux festivals de musique, de deux festivals de cinéma. C’est énorme. Il n’y a que Saint-Malo qui fasse la même chose. A Deauville, le maire est réellement passionné par la culture et l’art. Il a le sens du partage et le savoir proche du festival depuis vingt ans est un atout et un encouragement considérables. Ça n’a pas toujours été facile; il y a eu des hauts et des bas. La fidélité du groupe Barrière compte aussi beaucoup. Si l’on peut encore tenir dix ans comme ça...


Pourquoi voulez-vous que ça s’arrête?
Nullement, mais il faudra bien qu’un jour, je cède la place. Pour l’instant, le festival est bien parti pour durer. Peut-être redeviendra-t-il un peu comme au début, une sorte d’académie au vert. Les dix prochaines années me semblent en tout cas parfaitement acquises.


Vous êtes donc optimiste?
Ah oui, absolument. Parce qu’on forme des artistes de vingt/vingt-cinq ans. Ils ont besoin du festival et de la fondation, comme les générations précédentes. Quand ils sont prêts, ils partent. Mais ils reviennent dès qu’on a besoin d’eux. En effet, les liens que nous conservons avec les musiciens sont très forts. Et personne ne manque jamais à l’appel. Pour le vingtième anniversaire, tout le monde est revenu. Cette année, 2017, nous ne célébrons pas d’anniversaire mais ils reviennent quand même. Il n’y a en effet pas de paraître dans notre histoire. A Deauville, on est dans l’être tout le temps. On n’y pratique pas «l’échangisme». La plupart des festivals qui ont le même budget que Deauville – il y en a une trentaine en France – éventuellement soutenus par Diapason ou France Musique, changent chaque année de musiciens. Ils changent de pianiste comme de chemise. Nous, nous avons voulu faire le contraire. Finalement, la fidélité est la caractéristique principale de notre festival et elle est payante. C’est pour ça que le public nous suit. Nous avons désormais un beau vivier d’artistes qui reviennent soutenir les plus jeunes – même quand ils deviennent connus comme Bertrand Chamayou. C’est la raison de notre succès. Dans un autre festival, un petit pianiste viendra deux ans puis ce sera un autre. C’est ça qui fait beaucoup souffrir les musiciens. Nous les modes, on ne sait pas ce que c’est. Même quelqu’un dont la carrière ne démarre pas, on le garde. Seul son talent compte. Nous travaillons avec deux-cents musiciens autour de la Fondation Singer-Polignac et les différences de carrière nous importent peu alors que c’est souvent un critère essentiel pour bon nombre de festivals. Ailleurs, un pianiste jadis idolâtré qui n’est plus à la mode disparaît purement et simplement. Or, il faut se rendre compte qu’il y a des musiciens dont la carrière démarre très vite alors que pour d’autres, il faut cinq ans. Pour asseoir la carrière d’un quatuor à cordes – on en a beaucoup autour de nous – il faut trois, quatre ou cinq ans! Il faut gagner de grands concours, Genève, etc.
J’ajoute que l’esprit de famille qui règne à Deauville avec les deux villas mises à disposition – Namouna et Pégase – est aussi important. Nous rendons enfin beaucoup de services aux musiciens. On s’occupe de leurs enregistrements, de leurs documents audiovisuels; on peut réaliser des films sur eux... Il s’agit d’un appui difficile à trouver quand on est jeune et inconnu.
Toute cette action, cette réussite humaine, est menée sans engloutir de fortunes. On a à cet égard respecté les objectifs initiaux pensés avec Nicholas Angelich, Jérôme Ducros, Jérôme Pernoo, Renaud Capuçon, le Quatuor Ebène, Jérémie Rhorer et Julien Chauvin. Nous avons voulu une structure légère, un budget maîtrisé et une charte très précise. Allez voir les budgets des festivals comparables...


Le site du festival de Pâques de Deauville


[Propos recueillis par Stéphane Guy]

 

 

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