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Entretien avec Steve Roger
06/22/2016

Durant la saison 2015-2016, c’est le Genevois Steve Roger, ancien directeur général de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) et associé de l’Agence Caecilia de Genève, qui a été le délégué artistique de l’Orchestre national de France. Il évoque avec ConcertoNet cette année passionnante entre Paris et la Suisse.



S. Roger (© Philippe Christin)


Comment votre mission auprès de l’Orchestre national a-t-elle été conçue?
J’ai été engagé comme délégué artistique ad interim avec la responsabilité d’assurer une présence auprès de Daniele Gatti et des chefs invités durant la saison qui vient de se terminer. J’avais indiqué à l’orchestre quand il était venu me chercher que je ne resterais qu’un an.
Je devais également préparer les saisons futures tout en ayant à l’esprit qu’il y avait une recherche d’un nouveau directeur musical. Il me fallait jongler avec ces éléments, à savoir attendre si la nomination du nouveau directeur musical allait se faire rapidement ou pas. Il y avait un enjeu à ne pas courir trop vite, à ne pas engager de chefs trop rapidement pour ne pas avoir à faire marche arrière quelques mois après.


Avez-vous choisi votre remplaçant?
Non, mais je le connais depuis vingt ans: il s’agit d’Eric Denut. Il a une grande connaissance musicologique. Il a été dans le passé agent de compositeurs et d’artistes puis il a bifurqué vers des orchestres, puis au ministère de la culture et il se retrouve maintenant à l’Orchestre national de France.


Quelle situation avez-vous trouvée, qu’avez-vous mis en place, qu’est-ce qui vous a surpris, choqué et réjoui?
Quand je suis arrivé, l’orchestre était dans une situation complexe parce qu’il n’y avait plus de délégué artistique et aussi parce c’était une période qui faisait suite aux grèves qui avaient été déclenchées face à un projet de fusion des deux orchestres de la radio voire de se séparer d’un d’entre eux. La situation était tendue et l’orchestre sortait de ces moments difficiles avec de grandes interrogations.
Le ministère de la culture avait confirmé qu’il fallait garder les deux orchestres. Ils étaient à nouveau dans la phase de recherche d’un futur directeur musical puisque Daniele Gatti avait annoncé son départ. L’ambition d’un nouveau départ se faisait sentir avec une recherche d’identité propre à chaque orchestre. Il fallait repenser la manière dont les deux orchestres programment leur saison pour construire un futur avec ces deux formations permanentes.
Ce qui m’a le plus surpris quand je suis arrivé est qu’il n’y avait pas à l’Orchestre national de France une réelle structure d’abonnement propre à l’orchestre. Il n’y avait pas de thèmes, tout cela n’était pas clair. La seule habitude qui existait c’était de dire que le National jouait le jeudi et le Philhar’ le vendredi, avec des abonnements croisés. Le nombre de concerts que devait donner l’orchestre, le type de concerts, tout cela n’était pas précisé. Je n’avais pas d’indications précises mais j’ai tenu à mettre en place ce que je pensais qu’il fallait faire. De ce point de vue, mon successeur trouvera une base structurelle en place. Si elle ne lui plaît pas, il pourra la modifier mais elle aura l’avantage d’exister.


Rapportiez-vous à un conseil de fondation comme à l’OSR ou aviez-vous carte blanche?
Il n’y a pas de conseil de fondation au National comme c’est le cas pour l’OSR. Tout cela peut paraître curieux mais quand je suis arrivé, le directeur de la musique n’était plus là depuis plusieurs mois. L’assistante du directeur de la musique avait repris le poste en intérim. Et donc, si vous voulez, j’ai vraiment eu carte blanche. On m’a dit que j’avais l’expérience et que c’était pour cela que j’étais engagé. La saison suivante était heureusement très avancée. On m’a juste donné comme axe de se recentrer sur la musique française et que l’orchestre retrouve une identité forte et reconnue. Je n’avais en tout cas aucun doute sur la qualité musicale des musiciens en présence.
On m’a donné plusieurs pistes. Cela doit être mon côté suisse (la démocratie) mais la première chose que j’ai faite a été de voir les musiciens et de travailler avec eux. Dans des moments de crise, l’orchestre sait s’unir et les musiciens avaient pensé puis rédigé un rapport sur ce que le National devait faire pour retrouver une identité forte. Je m’en suis très largement inspiré dans le début de conception de la saison en définissant les contours de séries à forte identité.


J’ai une question sur la vie musicale parisienne. Il y a en plus du National, l’Orchestre de Paris, le Philhar’, l’Orchestre de chambre de Paris... et toute une série d’orchestres invités qui viennent à la Philharmonie de Paris ainsi qu’au Théâtre des Champs-Elysées... Cela doit faire en gros quasiment une dizaine de formations à Paris. Est-ce beaucoup?
Oui c’est beaucoup mais on peut dire aussi que c’est peu pour une si grande ville. Si chaque orchestre a une identité propre et une programmation cohérente, il y a de la place pour tout le monde. La Philharmonie est pleine, l’Opéra de Paris est plein, c’est donc qu’il y a du public.
Par contre, il y a un travail spécifique à faire à Radio France pour faire venir son public dans l’auditorium. C’est une très belle salle qui a souffert d’un manque de communication à son ouverture. Pendant très longtemps le Philhar’ a joué à Pleyel et joue encore régulièrement à la Philharmonie. Le National continue de jouer régulièrement au Théâtre des Champs-Elysées. Il faut maintenant réhabituer le public à revenir à la Maison de la radio. La nouvelle salle de 1400 personnes est magnifique. Elle possède une très belle acoustique. Elle est centrale dans Paris et Il n’y a aucun problème au niveau des transports pour s’y rendre. C’est étonnant qu’il n’y ait pas eu plus de communication autour de cette salle.


Est-ce que c’est parce qu’il n’y a pas eu de scandale?
Oui peut-être. Au-delà du problème Jean Nouvel auquel vous faites allusion, la Philharmonie avait fait un travail énorme de communication pour son ouverture à Paris, en France et à l’étranger. L’ouverture du bâtiment de la Maison de la radio est passé quasiment inaperçue par comparaison au premier concert de la Philharmonie de Paris. Ce concert avait réuni des musiciens français, Renaud Capuçon, Hélène Grimaud et l’Orchestre de Paris. Il a été télévisé et a bénéficié juste derrière de la venue de grand nombre d’orchestres étrangers. J’ai vu personnellement les Berliner trois mois après l’ouverture de la salle à Paris et l’Orchestre symphonique de Londres y vient régulièrement. Or vous le savez autant que moi, les médias communiquent toujours plus sur la venue d’orchestres étrangers de prestige que sur les orchestres locaux qui jouent régulièrement à Paris.


Quelle a été la marque de Daniele Gatti au National?
Daniele est arrivé après Kurt Masur et est resté huit ans. C’est toujours très difficile de succéder à des monstres sacrés même en étant très talentueux et c’est vraiment le cas de Daniele Gatti qui a une baguette incroyable. Il y a tout un pan du répertoire de son prédécesseur qu’on a un peu envie d’éviter. Kurt Masur a de plus continué à travailler avec l’orchestre au début des années Gatti. J’avais déjà vécu une expérience similaire à l’Orchestre de la Suisse romande à l’époque où Fabio Luisi est arrivé alors qu’Armin Jordan était encore très présent.
Daniele Gatti a contribué à l’élargissement du répertoire et il a une baguette exceptionnelle. C’est aussi un chef lyrique. Il vient terminer un Tristan remarquable et l’an dernier il a fait Macbeth. Il a donc su amener le National dans l’opéra (pas seulement en version de concert) et montrer que cet orchestre savait s’illustrer dans ce domaine. L’orchestre fait également de grandes tournées. Rien que cette saison, l’orchestre est allé aux Etats-Unis et à Vienne, où il est régulièrement en résidence sur tout un week-end avec plusieurs concerts au Musikverein. La personnalité de Gatti, le fait qu’il soit nommé au Concertgebouw, tout cela rejaillit sur l’orchestre.


Vous avez dû participer à la nomination d’Emmanuel Krivine?
Oui mais de loin. Le choix d’Emmanuel Krivine vient des musiciens de l’orchestre et de la direction de la radio. Je suis arrivé au moment où ce choix s’est fait. Je n’ai donc été dans tout cela qu’un «facilitateur» depuis leur choix jusqu’à la mise en place d’une ébauche de projet.
J’ai travaillé avec Emmanuel Krivine pendant cinq ans à Lyon. On se connaît très bien. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Quand les musiciens m’en ont parlé, cela m’est apparu comme un choix très évident aussi bien par rapport au projet identitaire de l’Orchestre national que par rapport à la carrière d’Emmanuel Krivine. A chaque fois qu’il a pris un orchestre, la qualité a monté. Il a une idée précise du son qu’il souhaite et sait comment travailler pour l’obtenir. Il est un chef qui devrait forger un son identitaire – loin de la mondialisation du son orchestral – qui marquera son passage.
Enfin, nous sommes quand même à l’Orchestre national de France, qui n’a pas eu de chef français depuis très longtemps.


Est-ce vraiment important?
C’est important, surtout aujourd’hui, tant au plan musical qu’au plan politique. Emmanuel est un expert du répertoire français. Bien sûr il sait diriger les autres répertoires, mais il est imprégné de culture française. Si l’on veut combattre cette mondialisation au niveau musical, il faut qu’on fasse venir des chefs qui ont des idées précises sur la musique française. Il faut avoir une connaissance de la vie des compositeurs, de l’histoire de la France mais il faut aussi avoir d’une certaine manière vécu ici.


Vous évoquez le fait de combattre la mondialisation mais en même temps vous faites l’éloge de quelqu’un qui va à Amsterdam et qui a amené le National à jouer de la musique italienne et allemande. Cette mondialisation n’est-elle pas au contraire une grande chance dont il faudrait se féliciter?
Je n’ai pas dit que ce n’était pas une grande chance de jouer un vaste répertoire. Je vous rejoins dans le fait qu’aujourd’hui, la mission d’un orchestre est d’être bon dans tous les styles et Daniele Gatti l’a prouvé ces dernières années. Je pense quand même que lorsque l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde joue du Weber ou du Strauss, il y a un petit quelque chose que d’autres orchestres ne réussiront jamais à faire dans ce répertoire... C’est donc valable pour d’autres répertoires.
Les musiciens ont aujourd’hui un niveau technique qui a beaucoup monté et au-delà de la technique que possède un chef, ils attendent une inspiration, une idée forte dans l’interprétation. Gatti l’a, Emmanuel Krivine aussi. Beaucoup de chefs d’orchestre ne sont pas «dangereux» dans le sens ou leur battue est techniquement impeccable. L’orchestre joue en place, démarre en même temps, finit en même temps. Aujourd’hui la plupart des chefs savent faire cela, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant, mais dans le passé, il y avait des chefs plus inspirés que des chefs techniquement forts. Aujourd’hui c’est un peu le contraire.
Le répertoire de l’Orchestre national, c’est avant tout le répertoire français et le fait d’avoir un chef qui maîtrise ce répertoire parfaitement est idéal. Je suis persuadé que très bientôt cet orchestre aura un son Orchestre national de France propre à Emmanuel Krivine. Comme pour Gatti dans un certain répertoire, des chefs de grand niveau sont capables de changer le son des orchestres. C’est encore plus facile quand ils sont titulaires puisqu’ils sont présents sur toute l’année.
Au final ce que je combats surtout c’est l’eau tiède. Il n’y a rien de pire que de se dire que cela joue bien mais ça n’a rien apporté.
Il y a un climat social en France où on a tendance à dénigrer ce qui s’y passe. C’est très important de montrer qu’on peut trouver à l’intérieur du pays des artistes de grande valeur et qui sont très appréciés à l’étranger. Il y a aujourd’hui en France Pascal Rophé, qui a l’Orchestre national des Pays de la Loire, Alain Altinoglu qui vient d’être nommé à la Monnaie, Louis Langrée (aux Etats-Unis), Philippe Auguin, Stéphane Denève, Lionel Bringuier (Zurich)... et plusieurs d’entre eux vont venir au National.
Dans un pays où il y a tant de morosité et de difficultés, la nomination d’un chef français à la tête du National – qui plus est, avec ce talent-là – est réjouissante. Son travail à Lyon et au Luxembourg en tant que titulaire a démontré ses qualités sur le plan artistique.


Nous nous sommes souvent croisés dans le train, comment avez-vous équilibré votre activité entre Genève et Paris?
En fait, je n’étais qu’une semaine par mois à Paris. Cela était très contraignant en termes de temps et assez difficile pour la famille. Cela s’ajoutait à mes absences habituelles dues à mon travail à l’agence Caecilia. J’étais en moyenne deux à trois semaines en dehors de Genève. Mon équipe à Genève est autonome mais elle a encore besoin de la présence des deux associés. Fort heureusement il existe aujourd’hui Skype et les courriels. J’ai adapté mes horaires en conséquence.


Quels sont vos projets Genève?
Depuis mon arrivée en 2012, nous avons décidé d’avoir en plus des séries des événements hors abonnement. Le premier a été avec les Berliner. Après leur départ, on s’est dit qu’il ne fallait pas attendre dix ans pour les faire venir à nouveau. Notre série d’abonnements la saison prochaine fera la part belle aux grands pianistes (Sokolov, Perahia, Barenboim, Lugansky...), mais nous aurons trois événements avec la venue de Juan Diego Flórez en collaboration avec le Grand Théâtre de Genève, de l’orchestre du Théâtre Bolchoï de Moscou sous la direction de Tugan Sokhiev et on finira la saison en juin avec le retour du Philharmonique de Berlin sous la direction de Gustavo Dudamel, qui fera ses débuts à Genève. Je discute avec Daniele Gatti pour faire venir le Concertgebouw à Genève.


Et le National?
Je regarde déjà les dates avec eux.


[Propos recueillis par Antoine Lévy-Leboyer]

 

 

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