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Pierre Boulez, disparition d’une institution
02/01/2016

Le legs discographique de Pierre Boulez




P. Boulez (© Aymeric Warmé-Janville)


Il peut sembler paradoxal, voire provocateur, de qualifier Pierre Boulez d’institution, lui qui justement les a si longtemps méprisées et leur a tourné le dos, jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Mais pourtant, avec sa disparition, survenue le 5 janvier 2016, à Baden-Baden où il vivait depuis les années 1960, c’est bien une figure majeure de la musique du XXe siècle qui disparaît.


Rappelons brièvement le destin de cet enfant brillant, né dans le milieu provincial de la petite bourgeoisie, à Montbrison, le 26 mars 1925. Inscrit en classe de maths spé, il délaisse cependant les études scientifiques – son père souhaitait qu’il fasse Polytechnique – et, après avoir gagné la capitale dès 1943, intègre la classe d’harmonie d’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris. C’est déjà l’époque de ses premières œuvres: les douze Notations pour piano qu’il compose en 1945 en l’espace d’une semaine, marquées à la fois par une très grande spontanéité et par une grande réflexion (chaque Notation faisant elle-même douze mesures), puis la Première Sonate pour piano un an plus tard, œuvre en deux mouvements encore assez modeste (une dizaine de minutes) par rapport aux Deuxième et Troisième Sonates qui avoisineront chacune la demi-heure. C’est en 1945 également qu’il rencontre le théoricien et musicien René Leibowitz, qui va lui faire découvrir la Seconde école de Vienne et dont l’impact sera fondamental. Pierre Boulez étanche alors sa soif créatrice en composant Le Visage nuptial (1946) puis, l’année suivante, Le Soleil des eaux, sur un livret de René Char, pour soprano, chœur mixte et orchestre, œuvre ambitieuse créée le 1er avril 1948 et révisée à plusieurs reprises en 1950, 1958 (Boulez ajoute notamment à la voix de soprano un ténor et une basse) et en 1965.


Après avoir travaillé et effectué des recherches au sein du Groupe de recherche de musique concrète au sein de la radio (fondé par Pierre Schaeffer en 1951), Pierre Boulez crée en 1953, avec Jean-Louis Barrault et grâce au mécénat de Suzanne Tézenas, les Concerts du Petit Marigny qui, dès l’année suivante, prennent le nom de «Domaine musical», dont il est le directeur jusqu’en 1967. Un récent coffret publié chez Universal rend compte de cette aventure presque légendaire où l’on peut entendre Hans Rosbaud diriger les Pièces opus 6 de Webern, les Pièces opus 6 de Berg, Yvonne Loriod donner la Deuxième Sonate de Boulez, ou le Quatuor Parrenin interpréter La Nuit transfigurée de Schönberg.


Poursuivant ses activités de compositeur (les années 1950 voient naître non seulement Le Marteau sans maître, créé le 18 juin 1955 par Hans Rosbaud, mais aussi Pli selon pli en 1958), Pierre Boulez développe également sa carrière de chef d’orchestre à travers le monde. Il avait déjà connu une brève expérience de la direction dans la compagnie Renaud-Barrault (où il jouait notamment des ondes Martenot) mais il n’avait jamais pris de cours à proprement parler. Comme il le confia à Claude Samuel (dans l’ouvrage Eclats/Boulez, Centre Georges Pompidou, 1986), «ce sont les cours que j’ai donnés à Bâle qui m’ont particulièrement poussé à réfléchir aux problèmes de la direction d’orchestre». Après avoir presque par hasard remplacé Hermann Scherchen pour diriger la création d’une de ses œuvres, c’est Hans Rosbaud (son mentor en matière de direction d’orchestre avec Roger Désormière) qui le pousse à diriger en 1958 l’Orchestre symphonique de la Südwestfunk de Baden-Baden. Ses qualités sont déjà là et seront ses caractéristiques principales: une oreille exceptionnelle, une connaissance exhaustive de la partition, une gestique minimale mais acérée, une approche de la partition sans pathos mais avec une exigence de chaque instant. Comme il le disait lui-même, toujours à Claude Samuel, «Je ne supporte pas les attaques approximatives, les justesses approximatives, les phrasés approximatifs, et la flamme, dans ce cas-là, ne me console pas. Elle n’est qu’un cache-misère.» Il est rapidement invité dans le monde entier: par l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, par le Philharmonique de Berlin (qu’il dirige dès 1965 dans Le Soleil des eaux), par l’Orchestre national de France (qui avait créé la version révisée du Soleil des eaux le 18 juillet 1950 et qu’il dirigea notamment en juin 1963 dans une version mémorable du Sacre du printemps, parue au disque avec les Quatre Etudes)... Le 9 août 1960, il dirige même un concert de musique contemporaine (des œuvres de Stockhausen et les siennes propres) au festival de Salzbourg à la tête de membres de l’Orchestre symphonique de la Radio de Cologne.


C’est également à cette époque, en décembre 1963, que Boulez dirige Wozzeck à l’Opéra de Paris, permettant ainsi à ce chef-d’œuvre de faire son entrée au répertoire de la vénérable maison. Quelques images de l’Institut national de l’audiovisuel nous montrent d’ailleurs le chef diriger l’interlude qui sépare les deux dernières scènes de l’opéra, la mise en scène ayant alors été assurée par Jean-Louis Barrault dans des décors signés André Masson. En 1964, il est invité par l’Orchestre symphonique de la BBC, dont il devient chef principal en 1969: il enregistre avec lui ses compositeurs de prédilection (Schönberg, Ravel, Bartók notamment) mais c’est également l’époque d’une première Symphonie fantastique de Berlioz (avec le Symphonique de Londres) sans oublier, un disque en témoigne, l’Empereur de Beethoven et le Vingt-sixième Concerto de Mozart avec Clifford Curzon comme soliste. Invité à diriger l’Orchestre de Cleveland dès 1965, il s’impose dans des répertoires où on ne l’attendait pas forcément. Ainsi, à la demande de Wieland Wagner, il dirige Parsifal au festival de Bayreuth à l’été 1966 (Thomas Stewart chante Amfortas, Sándor Kónya Parsifal, Josef Greindl Gurnemanz et Astrid Varnay Kundry), production qui sera reprise en 1967, 1968 et 1970 avec des distributions légèrement différentes (Kundry fut ainsi incarnée par Christa Ludwig en 1967, puis par Amy Shuard et par Gwyneth Jones, tandis que James King chantait le rôle-titre dès 1967). En 3 heures 40, il réalise le Parsifal le plus bref de l’histoire du festival, à plus d’une heure de celui dirigé par Toscanini en 1931. Poursuivant sa découverte du répertoire wagnérien, il dirige l’Orchestre et les Chœurs du festival d’Osaka dans Tristan et Isolde en 1967, avec dans les rôles principaux Birgit Nilsson et Wolfgang Windgassen. Et 1976, évidemment, le «Ring du siècle» réalisé par Patrice Chéreau sur scène et Pierre Boulez dans la fosse, le scandale et les huées de la première faisant place cinq ans plus tard au triomphe absolu salué par près d’une heure et demie de rappels.


Nouvelle consécration en 1971 lorsqu’il prend les rênes du Philharmonique de New York à la suite de Bernstein. Même si l’entente entre eux ne sera jamais parfaite, Boulez achevant son mandat en juin 1977, il enregistre avec lui des cycles mémorables de Ravel, Stravinsky, Debussy, Varèse, Carter... mais aussi Händel (tant la Water Music que la Royal Fireworks Music, édités chez CBS). C’est à cette époque également que Boulez accepte de reprendre ses activités en France, où 1976 voit la création de l’Ensemble intercontemporain et 1977 celle de l’IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique). Grâce à ces outils dont il dispose totalement, Boulez reprend ses activités de compositeur avec, en quelques années, des pièces aussi fondamentales que Répons (1981) pour six solistes, ensemble et ordinateur, créée dans sa version finale lors du festival d’Avignon en 1988, Dialogue de l’ombre double (1985) pour clarinette, bande et dispositif de spatialisation, ... explosante-fixe ... pour flûtes, ensemble et ordinateur (1991-1993), œuvre surprenante à la dédicace si symbolique («Afin d’évoquer Igor Stravinsky - de conjurer son absence») et Anthèmes 2 (créée en novembre 1991 dans sa version originelle puis révisée en 1997), pour violon et dispositif électronique, sur Incises (1998) et Dérive 2 (dont la dernière version date de juillet 2006). C’est également à la fin des années 1970 qu’il dirige à l’Opéra de Paris Lulu dans sa version complète: après que Rolf Liebermann a acquis les droits pour créer la version intégrale et que Friedrich Cerha a achevé l’orchestration du troisième acte, Boulez et Chéreau donnent cette production devenue légendaire à la fin du mois de février 1979 avec Teresa Stratas dans le rôle-titre: Deutsche Grammophon a préservé le spectacle, visible désormais par tous.


Les années 1990 marquent peut-être avant tout son avènement comme chef d’orchestre. Réclamé par les plus grandes phalanges, il tisse des liens privilégiés avec l’Orchestre symphonique de Londres (avec lequel il effectue une grande tournée mondiale à l’occasion de ses 70 ans), l’Orchestre symphonique de Chicago (voir par exemple ici et ici), celui de Cleveland et, bien sûr, le Philharmonique de Vienne. Comment oublier un concert des Wiener Philharmoniker sous la direction de Boulez? Pour notre part, nous avons eu la chance de les entendre ensemble dans un programme typiquement «boulézien» (voir ici) qui s’était conclu en apothéose par un Concerto pour orchestre de Bartók incandescent, un des premiers violons des Philharmoniker étant même parti trop tôt dans le Finale avant d’être sèchement repris par le Konzertmeister Rainer Küchl, qui tapa rageusement du pied pour remettre ses ouailles à leur place (Christian Merlin s’en souvient également dans son ouvrage Au cœur de l’orchestre, Fayard, page 191). Quel souvenir que cette machinerie qui semblait s’emballer alors que Boulez, comme à son habitude, dirigeait de façon précise et sobre, sûr de lui-même et de son autorité, le concert se concluant évidemment par un triomphe absolu!


C’est avec Vienne également, la décision ayant été prise après un concert londonien paraît-il mémorable donné en septembre 1992, que Boulez s’aventura sur les terres brucknériennes pour diriger la Huitième Symphonie à l’occasion du centième anniversaire de la disparition du compositeur. Le choix étonna mais il était le fruit d’un souvenir, visiblement tronqué, de Boulez: «Le plus drôle, c’est que j’en ai parlé à Lotte Klemperer, la fille d’Otto. Comme je lui avouais avoir choisi la Huitième parce qu’elle m’avait transporté quand je l’avais entendue à Londres sous la direction de son père, elle s’est écriée ‘‘Mais ce n’était pas la Huitième, c’était la Cinquième!’’. Ah? J’ai quand même dirigé la Huitième. Tant pis.» (entretien avec Ivan A. Alexandre, Diapason, septembre 2010, page 25). Suivront donc la Cinquième avec Chicago, puis les Septième et Neuvième, toutes deux avec Vienne, cette dernière donnée notamment à New York.


Animant une classe de maître à la Cité de la musique, Pierre Boulez rappelait aux étudiants la difficulté du chef d’orchestre qui consiste à «trouver le geste qui correspond à ce que [vous voulez] entendre». Or, c’est justement par cette économie de gestes, toujours à mains nues, que Boulez savait impulser la moindre attaque ou le moindre emportement, ses interprétations alliant bien souvent exactitude scientifique et douceurs mélodiques, à mille lieues de l’être froid et distant que l’on se plaisait à décrire: dans Bruckner justement, il est difficile de ne pas vibrer en entendant l’Adagio ou la coda du quatrième mouvement. C’est également avec cette modestie de l’artisan («vous êtes indirect comme chef d’orchestre car on demande aux autres de formuler un son que vous ne formulez pas vous-même») que Boulez venait saluer sur scène, sans affect particulier, sauf à jouer au sens propre du terme de sa position de star de la direction comme lors de ce mémorable concert au Châtelet où, ainsi que l’écrivait ConcertoNet, il était plus que jamais le roi de la soirée (voir ici).


Les années 1990 et 2000 virent également Pierre Boulez multiplier les concerts en France à la tête de phalanges fidèles comme l’Orchestre de Paris, qu’il dirigea aussi bien lors de grandes manifestations populaires (étonnant Oiseau de feu sous la pyramide du Louvre) que lors de concerts dédiés à ses chers Schönberg et Bartók (voir ici), l’Ensemble intercontemporain (voir par exemple ici dans un programme exigeant où figuraient des œuvres de Kyburz, Mantovani et Boulez lui-même) ou l’Orchestre de l’Opéra national de Paris (Stravinsky, Bartók et surtout Messiaen dans un concert extraordinaire en 2004). Même si les prestations communes furent des plus rares, la rencontre avec le Philharmonique de Radio France à laquelle on a pu assister au Théâtre du Châtelet demeure un très grand souvenir de concert (voir ici). Bien qu’il dirigeât les plus grands orchestres à travers le monde (citons à titre de derniers exemples la Staatskapelle de Berlin ou, lors du festival d’Aix-en-Provence, une fois encore les Berliner Philharmoniker), Boulez n’en demeurait pas moins attaché à la jeunesse et acceptait donc avec joie de conduire des orchestres comme celui du Conservatoire de Paris (Messiaen, Varèse et Jolivet, compositeur pour lequel Boulez n’avait pourtant pas toujours été tendre) ou celui de l’Académie du festival de Lucerne.


Ce n’est qu’en raison de problèmes de santé (une cécité croissante) que Pierre Boulez se faisait rare ces dernières années dans les salles de concert, ses annulations toujours plus nombreuses laissant place à un retrait dans sa maison de Baden-Baden où il vient donc de s’éteindre, tournant ainsi la page d’une des plus fabuleuses existences de compositeur-chef d’orchestre du XXe siècle.





Le legs discographique de Pierre Boulez


Parcourir la discographie de Pierre Boulez, c’est s’engager dans une véritable odyssée qui passe tant par ses compositeurs favoris (Stravinsky, Bartók, Mahler...) que par des révélations tardives (Bruckner, Szymanowski...) ou par de véritables raretés comme Händel, Mozart, Beethoven ou Richard Strauss (son unique incursion, avec Chicago, dans Ainsi parlait Zarathoustra ne restera pas dans les mémoires et on ne peut que regretter qu’il n’ait pas eu le temps d’enregistrer Ariane à Naxos, Salomé ou Elektra comme il l’avait lui-même souhaité). Après être passé chez CBS, Sony et Erato, c’est surtout chez Deutsche Grammophon, où il enregistre un vaste répertoire à partir du début des années 1990, qu’il faut aller chercher les références de sa production. Voyage guidé au cœur de la discographie boulézienne.


Anthologies


          


Deutsche Grammophon a récemment publié un coffret Pierre Boulez - 20th Century qui, fort de quarante-quatre disques, rassemble les enregistrements consacrés par aux compositeurs majeurs du siècle dernier. Même si l’on peut regretter que, césure chronologique et quelque peu artificielle oblige, Mahler – pourtant né deux ans seulement avant Debussy – n’y figure pas, ce coffret est exceptionnel grâce notamment à des Debussy, des Webern et des Stravinsky (Pétrouchka!) de grande valeur. On peut préférer certains enregistrements parus précédemment chez Sony à commencer par Le Sacre ou certains Bartók, mais cette anthologie est globalement incontournable pour qui souhaiterait acquérir un ensemble aussi large et cohérent, témoignant des talents remarquables de Boulez chef d’orchestre.


Accord a également publié un coffret consacré au Domaine musical, rassemblant des enregistrements réalisés entre 1958 et 1967 lorsque Boulez était le directeur artistique de ces concerts donnés à cette époque au Petit Marigny. Si ce coffret, ardu pour le néophyte (ne le cachons pas), est à recommander, c’est avant tout pour ces Pièces opus 6 de Berg dirigées par Rosbaud et les Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky dirigées par Boulez: de petits bijoux. Pour le reste, l’amateur (très) averti fera son miel des différentes pièces présentées, ainsi que de l’entretien accordé par Boulez à Claude Samuel (dernier de ces dix disques): une leçon sur l’homme et sur l’œuvre.


Enfin, comment ignorer Sony qui, en un coffret homérique de soixante-sept disques, vient d’éditer la «Complete Columbia Album Collection»? Rassemblant tous les enregistrements de Boulez à la tête du Philharmonique de New York, de l’Orchestre symphonique de la BBC, de l’Orchestre de Cleveland entre autres réalisés pour CBS puis Sony, ce coffret est incroyable, riche en références absolues (Debussy, Ravel, Stravinsky, Webern) mais aussi en raretés comme cette Cinquième Symphonie de Beethoven enregistrée en 1968 à la tête de l’Orchestre New Philharmonia ou la Troisième Symphonie de Roussel en 1975 à New York.


Mais pour qui ne souhaiterait pas acquérir d’aussi imposants coffrets, voici, avec toute la subjectivité que cela suppose, une discographie sélective du maître.


Béla Bartók





Un des compositeurs de prédilection de Pierre Boulez depuis toujours. Dans les années 1990, une fois passé son contrat d’exclusivité avec Deutsche Grammophon, il réenregistre des œuvres qu’il connaît par cœur (voir par exemple ici), donnant notamment des références du Second Concerto pour violon (avec Gil Shaham) et du Mandarin merveilleux, l’Orchestre symphonique de Chicago se montrant à chaque fois à la hauteur de sa réputation. Néanmoins, on préfèrera conseiller l’acquisition du double disque «Les Absolus» (Sony), où Boulez dirige notamment le Concerto pour orchestre et la Musique pour cordes, percussion et célesta à la tête du Philharmonique de New York et de l’Orchestre symphonique de la BBC: une introduction idéale à l’œuvre de Bartók.


Alban Berg





Là encore, un des compositeurs auxquels le nom de Boulez est intimement lié. Plus que les œuvres strictement instrumentales, on conseillera en priorité les deux opéras que sont Wozzeck (chez Sony) avec Walter Berry et Isabel Strauss, le chef dirigeant pour l’occasion les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra de Paris, et Lulu (la légendaire production de l’Opéra national de Paris est disponible chez Deutsche Grammophon). Même s’il l’a récemment réenregistré (couplé avec une improbable Gran Partita de Mozart!), le Kammerkonzert bénéficie d’un enregistrement de référence avec Zukerman et Barenboim, paru chez Deutsche Grammophon dans la collection «The Originals», où Boulez dirige également un splendide Ebony Concerto de Stravinsky avec Michel Arrignon à la clarinette.


Pierre Boulez





Boulez par lui-même... Certaines langues caustiques ont su rappeler que s’il programmait fréquemment ses propres œuvres en concert, à commencer par les Notations (dans leur version orchestrale), tel n’était pas le cas de la plupart des chefs, qui lui préfèreraient d’autres compositeurs comme Dutilleux ou Mantovani, ce qui est évidemment faux. Néanmoins, c’est bien vers Boulez que l’on se tournera pour entendre ses œuvres dans une version idéale récemment publiée chez Deutsche Grammophon à laquelle nous renvoyons sans hésiter (voir ici).


Anton Bruckner





Un seul enregistrement officiel: la Huitième Symphonie, captée en concert en septembre 1996 en l’église de Saint-Florian. Mais quelle version! Vienne, dont Bruckner représente le pain quotidien, quitte les abîmes creusés par Karajan ou Giulini pour suivre sans coup férir le chef français, qui allie à la perfection tempo allant et profondeur du discours. Une version de référence dès sa parution, et qui le reste (Deutsche Grammophon). Les passionnés iront par ailleurs sur YouTube pour écouter la Cinquième avec Chicago et la Neuvième avec Vienne, deux captations en concert.


Claude Debussy





Pour Debussy, un couple est inséparable: Boulez et Cleveland. Car c’est avec cet orchestre qu’il a enregistré (l’anthologie parue chez Sony) et réenregistré (chez Deutsche Grammophon) Debussy, dont il est un des interprètes de référence. Ses premières gravures sont exceptionnelles mais, avec l’âge, on croit percevoir davantage de liberté dans ses enregistrements suivants. Aussi, comment ne pas fondre devant la clarinette de Franklin Cohen dans la Rhapsodie pour clarinette et orchestre (couplée avec une Mer totalement maîtrisée) ou en écoutant les Images? Même si sa version de Pelléas et Mélisande parue chez Sony avec les forces de Covent Garden est des plus recommandables, Boulez, là, doit céder devant la concurrence.


György Ligeti





En dépit de rapports parfois «forts» (Pierre Boulez confiait lui-même à Ivan A. Alexandre: «Humainement et artistiquement, je me suis toujours bien entendu avec Berio, et même avec Ligeti, d’un caractère pourtant plus difficile», entretien publié dans Diapason, septembre 2010), Boulez n’a jamais caché son attrait pour l’œuvre de cet autre grand compositeur du XXe siècle. Deux disques sont très recommandables chez Deutsche Grammophon, qu’il s’agisse de celui où figure le Concerto de chambre pour treize instrumentistes (1970) ou de celui rassemblant les concertos pour violoncelle, violon et piano.


Gustav Mahler





Même si les premiers enregistrements mahlériens de Pierre Boulez furent relativement peu nombreux (n’oublions pas néanmoins une Sixième enregistrée en concert en 1973 avec l’Orchestre de la BBC chez Artists Live Recordings et, surtout, la version extraordinaire du Klagende Lied parue chez Sony!), c’est certainement l’un des compositeurs qui occupa le plus Boulez à partir du début des années 1990. Chez Deutsche Grammophon, il réalisa une intégrale des Symphonies et des grands cycles avec voix solistes (Das klagende Lied, Le Cor merveilleux de l’enfant, Le Chant de la terre notamment) où s’imposent sans discussion une Cinquième enjôleuse et une implacable Sixième, sans aucun doute le sommet de cette intégrale.


Olivier Messiaen





Hommage du maître au maître... Pierre Boulez a enregistré Messiaen à plusieurs reprises, notamment chez Montaigne (un disque rassemblant Oiseaux exotiques, Sept Haïkaï, Couleurs de la Cité céleste et Un vitrail et des oiseaux) et chez Deutsche Grammophon avec une très belle version des Poèmes pour Mi chantés par Françoise Pollet.


Maurice Ravel





A l’instar de Debussy, Ravel fait partie des compositeurs de prédilection de Pierre Boulez, qui l’a dirigé et enregistré tout au long de sa vie. En dépit de ses réenregistrements effectués chez Deutsche Grammophon à la tête notamment du Philharmonique de Berlin, c’est surtout la somme parue chez Sony qui doit être acquise: en cinq disques, un panorama quasi complet de l’œuvre pour orchestre de Ravel où se côtoient «tubes» et raretés comme les Chansons madécasses (avec Jessye Norman), les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé chantés par Jill Gomez et Don Quichotte à Dulcinée avec José van Dam (ces trois œuvres ayant précédemment fait l’objet d’une publication à part chez Arkiv Music).


Arnold Schönberg





Là encore, comment ne pas aller chez Sony avec cette somme de onze disques où l’on peut entendre Boulez diriger aussi bien Erwartung que La Nuit transfigurée, les Gurre-Lieder comme Moïse et Aaron? A la tête, le plus souvent, de l’Ensemble intercontemporain ou de l’Orchestre symphonique de la BBC, Boulez s’affirme évidemment comme un des chefs privilégiés pour ce compositeur. Ne manquent que le Concerto pour piano et le Concerto pour violon que l’amateur pourra aller chercher chez Erato dans un disque réalisé avec le Symphonique de Londres, Peter Serkin et Pierre Amoyal étant les deux solistes.


Igor Stravinsky





Pour qui a vu (et entendu) Pierre Boulez diriger Le Sacre (quel souvenir à la tête du Symphonique de Londres au Théâtre des Champs-Elysées...) ou Pétrouchka (grand concert au bénéfice de la Médiathèque Gustav Mahler, à la tête de l’Orchestre de Paris au Théâtre du Châtelet!), l’adéquation entre le chef français et le compositeur russe est une évidence. Si la version publiée chez Sony du Sacre est incroyable de violence et d’emportements, on ira également écouter en priorité L’Oiseau de feu édité chez Deutsche Grammophon à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago: comme une des autres œuvres sur ce disque, un vrai Feu d’artifice!


Richard Wagner





Comme certains lui reprochent quelques voix faiblardes et le son ne remplace par la vision de la mise en scène, le Ring (Philips) réalisé dans la mise en scène de Patrice Chéreau est un monument qui s’impose donc peut-être davantage en DVD qu’au disque. Sa gravure de Parsifal est également intéressante grâce à une belle équipe de chanteurs (James King, Thomas Stewart, Gwyneth Jones...) mais la concurrence est rude!


Anton Webern





Là encore, Sony (en trois disques) et Deutsche Grammophon s’affrontent dans le cadre de deux intégrales de grande qualité, celle de la petite étiquette jaune étant enrichie par deux disques de musique de chambre, voir ici: aux dires des connaisseurs, celle de Sony est meilleure mais, personnellement, on admire la conduite des Cinq Pièces pour orchestre et des deux Cantates publiées chez Deutsche Grammophon à la tête du Philharmonique de Berlin.


Vidéo


          


Sans faire l’objet de multiples enregistrements vidéo, force est de constater que Pierre Boulez a plusieurs fois eu l’honneur des caméras.


Côté opéra, il y a Pelléas et Mélisande mais surtout le Ring des années 1970 avec la mise en scène de Patrice Chéreau: l’histoire se fait sous nos yeux! Autre collaboration entre les deux grands artistes, De la maison des morts de Janácek enregistré au festival d’Aix-en-Provence en juillet 2007: magnifiques images grâce à la scénographie et aux décors du talentueux Richard Peduzzi et musique étincelante de l’Orchestre de chambre Mahler (Deutsche Grammophon).


Côté musique symphonique, outre les DVD que l’on peut acquérir sans difficulté dans le commerce, il faut évidemment compter avec YouTube pour quelques perles. Même si sa version du Concerto pour orchestre de Bartók ne souffre aucun reproche, on passera assez rapidement sur son «Europakonzert» donné à la tête du Philharmonique de Berlin, sauf pour le voir diriger un concerto pour piano de Mozart avec Maria João Pires! Sans vouloir inutilement allonger la liste des possibles, on conseillera en priorité la Huitième Symphonie de Bruckner qui a déjà été chroniquée sur ConcertoNet (voir ici). En attendant (ce que l’on espère fortement) la parution en DVD du concert Mahler/Stravinsky qui avait été donné au Théâtre du Châtelet le 9 novembre 1999 (la bande existe puisque le concert a été diffusé à la télévision...), on regardera avec gourmandise le DVD où Boulez répète les Pièces opus 6 de Berg et ses Notations à la tête du Philharmonique de Vienne: une leçon de musique (Arthaus Musik). N’oublions pas non plus cette Résurrection de Mahler donnée à la Philharmonie de Berlin à la tête des forces de la Staatskapelle: un très grand concert devant un public enthousiaste où figure notamment Daniel Barenboim. Côté «grand-messes», on peut évidemment regarder les concerts d’ouverture du festival de Salzbourg donnés tant en 2008 qu’en 2011, deux programmes avec le Philharmonique de Vienne, mais ce ne sont peut-être pas les meilleurs exemples des talents de Boulez comme chef d’orchestre. En revanche, quel Oiseau de feu à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago (EuroArts), dans le cadre d’un programme alléchant! Enfin, parmi les derniers témoignages de Boulez comme chef, pourquoi ne pas aller vers le Concertgebouw d’Amsterdam en 2011 pour écouter la Septième de Mahler?


Sébastien Gauthier

 

 

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