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Le mois du mélomane professionnel 03/01/2015
Un petit virus muté qui gagne la bataille contre le vaccin et contre un homme dans la force de l’âge. Etonnant. N’empêche qu’il m’a obligé à renoncer à toutes les sorties concerts et opéras. Heureusement qu’il y a la radio, la télévision et les disques.
J’ai bien profité de ce temps pour mettre de l’ordre dans un problème qui me tracasse depuis longtemps, mes rapports avec l’opéra. Pas du tout avec l’opéra en version concert mais avec l’opéra mis en scène. Je ne le supporte plus, et ceci sous deux aspects: le travail du metteur en scène et la présence des chanteurs.
Deux exemples:
Le premier, tiré de Boris Godounov avec apparition de Poutine, de soldats russes d’aujourd’hui et armés comme ils le sont en 2015. Je suis les affaires du monde et je sais ce qui se passe en Russie aujourd’hui. Je n’ai besoin de personne pour faire le travail de transfert qui me permettrait de comprendre le message d’un opéra qui se passe dans un autre temps que le nôtre et qui me permet de penser à la Russie éternelle avec tous ses problèmes. Ou bien rien ne m’oblige à me transporter à New York pour imaginer un Don Giovanni et un Leporello de notre temps pour comprendre le problème Don Giovanni tel que Mozart a voulu me le faire comprendre. Et encore, même Mozart a un peu trahi le propos en intitulant son œuvre Don Giovanni et non Don Juan, l’espagnol. Je peux utiliser mon imagination au moins autant que le metteur en scène utilise la sienne.
J’ose dire que la solution «film-opéra» réaliste, comme nous l’avons vu, par exemple, dans La Traviata de Zeffirelli, Carmen de Rosi, Madame Butterfly de Frédéric Mitterrand et bien d’autres, me comblerait. Il faut savoir préférer l’artifice «opéra sur écran» à l’autre artifice de l’opéra sur scène. J’avoue que, pour moi, le cinéma est souvent plus «parlant» que le théâtre, comme je l’ai appris il y a longtemps, ayant vu, la même semaine, Hamlet au théâtre et au cinéma dans le film de Laurence Olivier.
L’autre problème est plus délicat et je vais l’illustrer par un exemple tiré d’une présentation d’Ariane à Naxos. Ariane était grosse, très grosse. Cela pouvait expliquer pourquoi Thésée l’a abandonnée mais moins les sentiments de Bacchus. Et puis, ce n’est pas crédible. En outre, la soprano, remarquable par ailleurs, qui chantait Zerbinette était d’une laideur rare. Si l’on ajoute le fait que tous les opéras qui sont des opéras de théâtre filmé, à distinguer du film-opéra, sont vus à la télé en gros plan et non à distance, la chose ne fait que s’aggraver. (L’usage des jumelles à l’opéra pose le même problème). Il n’y a encore que le film-opéra qui puisse y remédier en doublant la mise: un chanteur qui possède les qualités musicales requises doublé d’un acteur qui a les qualités (physiques) d’esthétique. Imaginez Tristan et Isolde avec les meilleurs chanteurs de ces rôles et un jeune Tristan et une très jeune Isolde à l’écran. Exemples: Sophia Loren en Aïda ou une actrice dont j’ai oublié le nom en Lady Macbeth de Mzensk, doublant une merveilleuse chanteuse mais n’ayant pas les qualités physique de l’emploi.
Vous l’avez compris: je suis devenu un adepte du film-opéra. Il me reste un souhait. Vivre assez longtemps, être en bonne santé et avoir les moyens nécessaires pour faire un film avec le Ring, que j’intitulerais Le Ring ringard.
Avant de terminer, je voulais signaler l’apparition d’un livre d’un philosophe, Francis Wolff, intitulé Pourquoi la musique?. La lecture dans laquelle je suis plongé est en train de faire chez moi la paix entre littérature et musique.
Conclusion: l’abandon d’un genre d’un côté et l’adoption d’un autre de l’autre côté. Très humain, en somme. Si la grippe a servi à cela, je pardonnerai au virus ses méfaits mais à condition qu’il ne recommence pas.
Benjamin Duvshani
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