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CD, DVD et livres: l’actualité de décembre 12/15/2014
Les chroniques du mois
Must de ConcertoNet
Platée à Paris (2002)
R. Minasi dirige Tamerlano
Sélectionnés par la rédaction
La pianiste Thérèse Malengreau
Le Trouvère à La Monnaie (2012)
L’ensemble Amarillis interprète Rameau
Oui !
Martha Argerich et Daniel Barenboim au piano
Le Trio (flûte, alto et harpe) Tre Voci
Yury Martynov interprète Prokofiev
Le pianiste Mario Häring
Les Barbares de Saint-Saëns
Linus Roth et José Gallardo interprètent Weinberg
Rééditions de Carlos Kleiber chez DG
Andrew Tyson interprète Chopin
Yuri Kalnits et Michael Csányi-Wills interprètent Weinberg
Franco Gulli interprète Bartók et Prokofiev
Conte musical The Cats
Le Chœur de King’s College chante Noël
Un dîner en musique de Michel Portos et Nathalie Krafft
Hommage à Patrice Fontanarosa
Le Trio Apaches interprète Debussy et Beamish
La revue de l’Association Beethoven France
Pourquoi pas?
La pianiste Fanny Azzuro
La pianiste Yulianna Avdeeva
L’Italienne à Alger à Pesaro (2013)
Rafael Kubelík dirige Le Château de Barbe-Bleue
Dans la peau de Maria Callas d’Alain Duault
Anthologie Maria Callas
John Barbirolli dirige à Cologne
Pas la peine
Bernard Haitink dirige l’Europakonzert 1999
Ingrid Fliter interprète Chopin
Jos van Immerseel dirige Orff
Géza Anda interprète Bartók et Tchaïkovski
Le Vaisseau fantôme à Bayreuth (2012)
«A passion for John Donne» de Ketil Bjørnstad
L’entretien du mois
Héloïse Gaillard
Le match du mois
Préludes de Chopin: Y. Avdeeva, I. Fliter et A. Tyson
En bref
Callas, «la renaissance d’une voix»?
Passion Beethoven
Une Italienne totalement déjantée
Fontanarosa: violon du bonheur, bonheur du violon
Tables de musiciens
La Mer selon Sally Beamish
Noël à King’s College
Le violon de Weinberg: une intégrale in progress
Les Cats fantastiques de Gershwin
En Duault avec la Callas
Des Carmina burana en manque d’authenticité
Le Château de Barbe-Bleue en allemand à Lucerne
Archives concertantes bartokiennes
Des Norvégiens inspirés par John Donne
Barbirolli à Cologne
Thielemann, figure de proue du Vaisseau fantôme
Callas, «la renaissance d’une voix»?
«Comme vous ne l’avez jamais entendue!». Si la promesse de cette – très médiatisée – réédition des enregistrements de la soprano Maria Callas (1923-1977) par Warner Classics est tenue, ce n’est pas pour les éléments qui la composent (des rééditions bien connues des bandes de studio captées entre 1949 et 1969)... mais pour le nouveau dépoussiérage sonore dont ils bénéficient (le troisième, après le report en CD dans les années 1980 et la remasterisation de 1997). La collection se décline sous plusieurs formes, du coffret intégral de 69 CD aux albums séparés. Vendu une quinzaine d’euros, le présent coffret de trois disques est une compilation bien construite (plus de quarante airs d’opéra italien et français) et bien illustrée (des photos d’archives), qui permettra aux mélomanes dont les étagères débordent déjà de disques de La Callas de se faire une idée de la plus-value technique de la restauration. Réalisé par les Studios Abbey Road, le dépoussiérage (en 24-bit/96kHz) est tout à fait digne de la haute définition. Spectaculaire, il donnera l’occasion à un public nouveau de découvrir ces trésors discographiques. Les précédentes éditions (y compris en microsillon) suffiront aux autres pour continuer d’être bouleversés par cette voix inimitable, cette présence inégalable, ce génie irremplaçable du théâtre et du chant (5054196333751). GdH
Passion Beethoven
Fondée en 1969 par Jean Réande, l’Association Beethoven France, brièvement dirigée par Brigitte et Jean Massin à la fin des années 1970, a été relancée en 2002 par Dominique Prévot: à l’actif du nouveau président figurent déjà dix «Beethovéniades» (une à trois journées de concerts et conférences) dans toute la France, plusieurs voyages culturels, le soutien à des disques et DVD rares, un site internet et, depuis 2003, seize numéros d’une revue. Si elle est sobrement intitulée Beethoven, sa vie, son œuvre, ses 124 pages (au format A4) sont agréablement présentées et abondamment illustrées (en noir et blanc, hormis la couverture). Surtout, le contenu se révèle d’une grande richesse, à l’aune de son sujet d’étude, d’autant plus inépuisable que bon nombre d’aspects de l’homme et du compositeur demeurent en réalité inconnus ou négligés. Les deux dernières livraisons (2013 et premier semestre 2014) permettent de juger de la qualité et de la variété de l’entreprise, de nature à intéresser le féru de musicologie – analyse, étalée sur une dizaine de numéros, de la Missa solemnis par Bernard Fournier, dossiers sur les Sonates pour piano et sur «Beethoven en scène» (comme personnage de théâtre et de cinéma) – comme l’amateur d’aspects plus inattendus ou pittoresques – Cees Niewenhuizen présentant les œuvres inachevées qu’il s’est efforcé de reconstituer, les domiciles de Beethoven – ou simplement l’honnête mélomane – hommage à Abbado, grand beethovénien s’il en fut. Souvent pointus, offrant volontiers des aperçus sur des partitions rares pour ne pas dire rarissimes – par exemple, les avatars du lied «Das Blümchen Wunderhold» –, les thèmes des différentes contributions sont toujours traités avec passion et un souci constant d’exhaustivité et de précision – ainsi du patient recensement des appariations de la musique de Beethoven au cinéma. Vendue à un prix modique (10 euros), une telle publication n’en a pas moins un coût, de plus en plus difficile à supporter: le numéro 17 fait donc appel à un financement participatif auquel chacun est appelé à se joindre, tant il serait regrettable de se priver de ce qu’annonce d’ores et déjà le sommaire – un dossier sur Egmont ainsi que des articles sur Zmeskall (diplomate et musicien hongrois devenu l’un des proches du compositeur), l’humour musical, les premiers enregistrements sur cylindres... SC
Une Italienne totalement déjantée
A l’été 2013, le metteur en scène Davide Livermore, inconnu en France, faisait son retour au festival de Pesaro, après Ciro in Babilonia l’année précédente, avec une production totalement déjantée de L’Italienne à Alger, à l’image de sa jaquette DVD à l’allure psychédélique. Entre transposition dans les années 1960 et filles en tenue futuriste façon Star Trek, le spectacle apporte son lot de surprises visuelles au moyen de la vidéo. Animation rudimentaire en arrière-plan, trucages à vue, gags à gogo, telle est la recette empruntée au Giorgio Barberio Corsetti de La pietra del paragone du même Rossini (voir ici). Mais là où Corsetti apportait un savoir-faire millimétré, une mesure dans l’outrance, un raffinement visuel, Livermore se perd quelque peu dans un tapage potache et bon enfant, un rien hystérique. Il rate surtout sa direction d’acteurs, très désordonnée sur le vaste plateau. Dans la fosse, on regrette aussi la trop grande propension à la seule virtuosité, irrésistible dans les pages symphoniques, beaucoup moins lors des ensembles aux tempi trop vifs. On perd là tout le théâtre, toute la malice et l’espièglerie propres à ces passages délicieux. Côté chant en revanche, rien à dire, le plateau se montre d’une belle homogénéité, surtout côté masculin. Mais c’est surtout le superbe timbre de l’Isabella d’Anna Goryachova qui marque, gorgé de soleil, à l’articulation idéale. Un régal. A noter la présence d’un making of d’une durée de 10 minutes, en italien sous-titré en anglais – contrairement à l’opéra, qui propose bien le français (Opus Arte DVD OA1141D ou Blu-ray OABD7148D). FC
Fontanarosa: violon du bonheur, bonheur du violon
Quelle bonne idée que cette réédition à petit prix de dix disques enregistrés entre 1968 et 1978 par Patrice Fontanarosa (né en 1942) pour Decca, complétés par deux disques de 1991 réalisés pour l’Orchestre symphonique français qu’avait créé Laurent Petitgirard! La notice de ce coffret, prenant la forme d’un entretien amphigourique et emberlificoté intitulé «De la Beauté», est bien moins pertinente que son titre: il se révèle judicieusement choisi, en ce sens que c’est ici l’occasion de redécouvrir les multiples facettes – hormis bien sûr son activité d’enseignement (l’un de ses derniers protégés n’est autre que Nemanja Radulovic) – du violoniste français, sixième prix au concours Long-Thibaud (1965), troisième prix au concours Paganini (1967), premier violon solo du National au temps de Maazel (1976-1985) et désormais conseiller artistique de l’Orchestre Pasdeloup. Mais qu’il soit chambriste ou soliste, Patrice Fontanarosa demeure toujours un artiste rayonnant, soucieux d’associer l’auditeur à son bonheur de faire de la musique. Cela étant, le plus beau réside sans doute dans le naturel et la sincérité irrésistibles des deux Trios et du Notturno de Schubert (janvier 1973) ainsi que des Trios de Ravel et Fauré (novembre 1976) avec son frère Renaud (né en 1946), violoncelliste, et sa sœur Frédérique (née en 1944), pianiste, tous trois issus de la classe de Pierre Pasquier – on le retrouve d’ailleurs avec son fils, Bruno Pasquier, pas toujours très juste dans la Symphonie concertante de Mozart (janvier 1970). Les duos avec le seul violoncelliste sont également remarquables (Kodály, Martinů et le premier enregistrement des Chôros bis de Villa-Lobos). Manque toutefois à ce «portrait» de famille son épouse, la harpiste Marielle Nordmann – un duo qu’on aurait peut-être préféré à l’association violon et guitare (Michel Dintrich) dans un programme improbable (Vivaldi, Paganini, Falla, Sarasate, Ibert, Granados, Loeillet, Corelli et Giuliani) quoique défendu avec classe, enthousiasme et malice. Il en va de même d’un délicieux florilège de pièces de genre avec orchestre, des plus attendues – Kreisler (c’est précisément cette version de Prélude et Allegro dans le style de Gaetano Pugnani qui introduisit longtemps l’émission nocturne de René Koering sur France Musique), Sarasate, Tchaïkovski, Wieniawski – aux plus originales – Drigo, Elgar, Field et Franz (Anton) Schubert (1808-1878, pas le Viennois de La Truite mais le Dresdois de L’Abeille!). Les grands concertos témoignent de deux périodes différentes: 1970-1976, avec notamment des Bach et Mozart en bonne santé, des Dvorák et Sibelius d’une grande spontanéité mais aussi des choix courageux (Schumann, Rimski), puis 1991, avec une légère moins-value technique, pour l’incontournable quarteron concertant du XIXe (Beethoven, Mendelssohn, Tchaïkovski, Brahms). Gros point noir, toutefois: il n’a pas toujours été possible «pour des raisons techniques» de «repartir des bandes originales», de telle sorte qu’il a fallu recourir aux 33 tours originaux, dont le souffle, voire le gratouillis, sont nettement perceptibles (481 1195). SC
Tables de musiciens
Le compositeur n’est pas qu’un pur esprit, tant s’en faut, mais aussi le plus souvent un homme (et parfois même une femme) qui ne néglige pas les nourritures terrestres: les biographies et même les œuvres en témoignent abondamment – encore tout récemment le Livre des illusions de Bruno Mantovani, inspiré par les tours de force de Ferran Adrià. Rien de plus normal, sans doute: le cuisinier, chef (de brigade et non d’orchestre), et le musicien partagent un même assistant aussi fidèle qu’indispensable – le piano, bien sûr. Dans Un dîner en musique, Michel Portos, le chef doublement étoilé du Saint-James à Bouliac, a concocté dix menus de trois plats (n’obéissant pas nécessairement à la traditionnelle séquence entrée, plat et dessert mais correspondant chacun à ce qu’on sait des habitudes culinaires d’un compositeur, dont Nathalie Krafft affine ensuite le portrait gourmand en quelques pages spirituelles: Rossini, forcément, mais aussi Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Verdi, Moussorgski, Satie et Dutilleux. Dédié à Brigitte Engerer («magicienne des pianos, disparue avant le temps»), l’ouvrage est préfacé par un mélomane et gourmet, Michel Blanc, et superbement illustré par les images d’Hervé Lefebvre – tant il est vrai qu’il est sans doute encore plus difficile de photographier des assiettes que d’enregistrer des orgues. Fin, astucieux, instructif et appétissant (Buchet Chastel, 144 pages, 19 euros). SC
La Mer selon Sally Beamish
Agréable surprise que cette adaptation pour piano, violon et violoncelle de La Mer de Debussy: Sally Beamish (née en 1956) respecte la texture, l’esprit et la tonalité du triptyque tout en conférant à cet arrangement une personnalité propre. Le Trio Apaches l’interprète avec beaucoup de densité et une grande richesse de timbres. Sur le poème du même nom traduit par Charles Harrison Wallace, The Seafarer (2000) de la compositrice britannique complète le programme du premier disque de ce trio fondé en 2012, un choix logique puisque celui-ci a joué cette œuvre pour récitant lors de son premier concert: une œuvre envoutante et de belle facture, remarquablement défendue par Willard White et cet excellent trio (Orchid Classics ORC 100043). SF
Noël à King’s College
Pas de Noël en Angleterre sans Christmas pudding ni chants (carols), particulièrement ceux que chante le Chœur du King’s College de Cambridge. Comme il y a deux ans pour le disque qui avait marqué les débuts de son propre label, le Chœur choisit logiquement, pour son premier DVD («Carols from King’s»), l’office de Noël, c’est-à-dire les «Nine Lessons & Carols» offerts à la ville depuis 1918 et retransmis depuis 1928 par la BBC. Depuis 1954, un enregistrement distinct est réalisé quelques jours auparavant, pour les besoins de la télévision, qui le diffuse le 24 décembre. L’édition 2013 reste fidèle aux canons du genre: procession, bougeoirs, chantres en surplis blanc et aubes rouges, lectures (par des religieux ou des laïcs) tirées des Saintes Ecritures mais aussi des meilleurs poètes et, bien sûr, sous la direction de Stephen Cleobury, qui préside aux destinées de l’ensemble vocal depuis trois décennies, hymnes traditionnelles (Once in royal David’s city, O come, o all ye faithfull, ...), carols et autres pages chorales. Et comme la tradition, au Royaume-Uni, sait toujours associer l’ancien et le moderne, on trouvera non seulement des pages du XXe (Britten, Howells) mais également deux de ces carols que le chœur, depuis 1983, commande chaque année à un compositeur, en l’occurrence Pärt en 1990 et Bob Chilcott en 2000 (KGS0008). Au même moment, cette fois-ci sous le titre «Favourite Carols from King’s» et avec une notice en français, un disque enregistré trois mois plus tard omet les lectures mais reprend douze des dix-sept morceaux du DVD, augmentés de treize autres morceaux pour atteindre une généreuse durée de 78 minutes. Ici aussi, une place est accordée au répertoire moderne (Harold Darke, William Holford, Boris Ord), y compris le fade All bells in paradise que John Rutter écrivit pour Cambridge (KGS0007). Mais que ce soit pour les yeux ou bien seulement pour les oreilles, au choix, il n’y a évidemment pas mieux dans le genre. SC
Le violon de Weinberg: une intégrale in progress
Yuri Kalnits et Michael Csányi-Wills poursuivent leur intégrale des Sonates pour violon, seul et avec piano, de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) avec un deuxième volume qui, comme le premier, comprend deux sonates avec piano, une sonate pour violon seul et une œuvre plus libre pour violon et piano, ici la magnifique Rhapsodie sur des thèmes moldaves (1949) transcrite par le compositeur de la fougueuse version originale pour orchestre sans doute plus connue. Lyrique ou heurtée oscillant entre ombre et lumière, la Deuxième Sonate (1944) est une première déclaration d’indépendance d’un Weinberg jeune, que le duo londonien livre avec un phrasé impeccable malgré une mise en place délicate. Dédiée à son ami et mentor Chostakovitch, la Cinquième Sonate est sans doute la plus accomplie des six. Le premier mouvement, un Andante con moto désolé et émouvant, met à l’esprit les geôles soviétiques d’où Weinberg sortait à peine lors de la composition en 1953. Les trois mouvements suivants proposent un feu d’artifice grinçant et énergique aux échos moldaves, traversé d’un lyrisme profond. Les doigts agiles de Csányi-Wills courent sur une partie de piano véloce, acrobatique et enflammée, le violon de Kalnits en constitue l’âme intime. La Deuxième Sonate pour violon seul (1967) présente une suite virtuose de sept études contrastées que le violoniste russe négocie avec une maîtrise essentielle. A tout instant, Kalnits tisse des liens intimes profondément ressentis avec la musique de Weinberg à laquelle son style naturel et les riches timbres chaleureux de son Del Gesù conviennent particulièrement bien. L’équilibre du duo qu’il forme avec Csányí-Wills se trouve bien mis en valeur par une prise de son d’une belle présence, les deux instruments bien définis. C’est pour ces raisons de première importance et pour l’inclusion des sonates pour violon seul que l’on peut préférer cette intégrale in progress à celle parue en une seule fois (Challenge Records) de Linus Roth et José Gallardo (voir ici). Ce deuxième volume comblera les mélomanes dans l’attente d’un troisième que l’on espère prochain (Toccata Classics TOCC 0026). CL
Les Cats fantastiques de Gershwin
Isabelle Lecerf-Dutilloy, pianiste et directrice artistique d’Anacrouse, livre, avec Marie Dutilloy, son cinquième conte musical, The Cats, qui reste fidèle à l’univers fantastique de son précédent ouvrage, Julie et les sortilèges. Une nuit peu avant Noël, le jeune Tom est emmené en traîneau par Nicomède, son chat africain subitement doué de parole, à un bal masqué au palais du roi des chats, peuplé de cats plus ou moins mystérieux ou inquiétants. Durant un peu plus d’une heure, l’histoire, soigneusement écrite, est finement narrée (hormis un fâcheux déguingandé) par plusieurs comédiens aux voix caractéristiques, joliment mixée, richement mise en pages (avec des illustrations d’Eric Meurice) et habilement assortie de musiques de Gershwin (songs, extraits de la Rhapsody in Blue) au piano, accompagné au besoin de la batterie et de la guitare basse (Gilles Roggia, également réalisateur des bruitages). Un bel objet à mettre entre toutes les mains et toutes les oreilles dès 6 ans (32 pages, 24,50 euros). SC
En Duault avec la Callas
Coïncidence: alors que paraît chez Warner une nouvelle édition des enregistrements de studio de Maria Callas dans un son restauré, un roman rejoint la riche littérature consacrée à la cantatrice. Alain Duault se glisse dans la peau de la chanteuse durant les deux dernières semaines de sa vie. La Callas, recluse dans son appartement de l’avenue Georges-Mandel, se remémore son enfance, ses années de formation, sa carrière, son mari et les hommes qui ont compté, dont bien sûr Aristote Onassis, amant affairé, mondain, trop peu présent. L’écrivain témoigne d’une grande compassion pour son sujet mais le ton de ce journal imaginaire reste digne. Il met un peu de lui-même, et peut-être, mine de rien, de ses opinions, dans ce texte agréable et prenant – ce jeune homme blond de vingt-cinq ans éperdu d’admiration qu’évoque la Callas, ne serait-ce pas lui? Finalement, un tel ouvrage n’aurait pu avoir été écrit que par cet écrivain qui passe pour un grand connaisseur de l’art lyrique en France mais, à cause de l’amour qu’il porte à la chanteuse, il manque peut-être d’un peu de recul, livrant de ce fait un portrait forcément respectueux de l’artiste. Il convient dès lors de s’abreuver à d’autres sources afin de relativiser la personnalité de la diva qui, aujourd’hui encore, ne fait pas l’unanimité. Alain Duault a eu néanmoins l’intelligence de ne pas trop ternir la personnalité d’Onassis, que Callas évoque, dans ce journal imaginaire, avec plus de résignation et de tristesse que d’amertume. Une manière plaisante et touchante d’approcher le destin de cette femme d’exception qui a décidément connu une triste fin de vie (Le Passeur). SF
Des Carmina burana en manque d’authenticité
Manque d’authenticité? Un comble, s’agissant d’un passionné du retour aux sources interprétatives tel que Jos van Immerseel! Nul doute, certes, que pour ces Carmina burana d’Orff, il a méticuleusement reconstitué, comme de coutume, un instrumentarium d’époque (autour d’un tout petit effectif de vingt-huit cordes en boyau) avec son orchestre Anima Eterna, ainsi qu’il le confirme dans un entretien reproduit dans la notice («des instruments [...] aussi proches que possible de ceux qui étaient utilisés au moment et à l’endroit où l’œuvre a été conçue»). Nul doute, également, qu’il a patiemment revisité la partition, même si le souci de clarté et de mise en valeur de l’écriture a pour revers une nette tendance à se perdre dans le détail. Mais le plus surprenant est que le chef flamand dirige avec lenteur, voire avec lourdeur, quand il ne fait pas varier considérablement le tempo et ne phrase pas de façon chichiteuse: une conception étrangement romantique d’une œuvre qui tournait pourtant résolument le dos à cette esthétique, ainsi que l’ont montré ses plus grands interprètes (Jochum, Kegel, Ormandy...). Réalisé en public, l’enregistrement révèle en outre de surprenantes faiblesses du Collegium vocale de Gand, mais les solistes offrent en revanche une bonne prestation, en particulier le baryton Thomas Bauer (Zig-Zag Territoires ZZT 353). SC
Le Château de Barbe-Bleue en allemand à Lucerne
Quatrième volume de la collection «Lucerne Festival Historic Performances» d’Audite, ce Château de Barbe-Bleue de Bartók inédit n’est pas un des grands classiques de la discographie. Pourtant, grâce à ses interprètes, Dietrich Fischer-Dieskau et Irmgard Seefried, il aurait pu le devenir s’il n’était chanté en allemand, ce qui le marginalise assurément. Exilé à Lucerne, le chef tchèque Rafael Kubelík y privilégiait beaucoup Bartók. Cette interprétation du 15 août 1962 mérite d’être connue pour sa direction très théâtrale et, bien sûr, la rareté de Seefried, voix un peu claire pour le rôle, dans la discographie. Fischer-Dieskau, qui l’avait enregistré en 1958 avec Ferenc Fricsay et Hertha Töpper (version très tronquée), l’enregistrera beaucoup plus tard, en 1979, également chez DG, avec Wolfgang Sawallisch, dans une version de référence en hongrois à juste titre très réputée, en compagnie de son épouse d’origine roumaine et hongroise, Julia Varady (95.626). OB
Archives concertantes bartokiennes
Hänssler Classic poursuit son édition de bandes réalisées par Géza Anda (1921-1976) pour la Radio de Stuttgart (SWR): regroupant son premier et son dernier enregistrement pour l’émetteur wurtembergeois, le cinquième volume permet d’abord de le retrouver jouant un des compositeurs pour lesquels il est passé à la postérité, Bartók, notamment pour une intégrale de référence des œuvres concertantes sous la direction de Friscay (Deutsche Grammophon). Dans le seul Deuxième Concerto, une dizaine d’années plus tôt, le 14 novembre 1950, avec Hans Müller-Kray (1908-1969), directeur musical à Stuttgart de 1948 à sa mort, l’enthousiasme et la rigueur du pianiste hongrois sont déjà là, mais la précarité du son, les faiblesses de l’orchestre et quelques problèmes de mise en place ne rendent pas ce témoignage indispensable. Le Premier Concerto de Tchaïkovski, enregistré (cette fois-ci en public) le 13 mars 1973 sous la baguette de Ferdinand Leitner (1912-1996), se révèle plus intéressant: bien qu’il l’ait gravé en studio dès 1953 avec Galliera (EMI), on attend sans doute un peu moins Anda dans ce répertoire, où il se révèle tout feu tout flamme, mais si la qualité technique du document est bien meilleure que dans Bartók, l’interprétation reste toutefois en retrait de l’association explosive avec Solti en 1958 à Cologne récemment parue chez ICA Classics (voir ici). Le bis donné lors de ce même concert de 1973 conclut le programme: le Premier des Intermezzi opus 117 rappelle qu’Anda était aussi un brahmsien de premier ordre (CD 94.225).
La publication de deux enregistrements publics vient honorer la mémoire – un peu lointaine, plus de dix ans après sa disparition – de Franco Gulli (1926-2001) et enrichir une discographie relativement peu importante. Le 31 décembre 1959, le public turinois a dû basculer avec énergie dans la nouvelle année, dynamisé par une interprétation du Second Concerto de Bartók où l’engagement ne remet jamais en cause l’aboutissement de la réalisation technique. Malheureusement un peu relégués au second plan par les micros, l’Orchestre de la RAI et Mario Rossi (1902-1992), qui en fut le directeur musical de 1946 à 1969, font bien davantage que de la figuration. Le 22 décembre 1957 pour le Premier Concerto de Prokofiev, le son est moins bon et l’avantage toujours aussi net pour le soliste sur l’orchestre, mais le talent du violoniste italien, accompagné par Celibidache à la tête de l’Orchestre A. Scarlatti de la RAI de Naples, est identique: archet sûr, expression chaleureuse, parfaite musicalité (IDIS 6689). SC
Des Norvégiens inspirés par John Donne
Onze beaux textes de John Donne (1572-1631), poète métaphysique et prêtre anglican londonien, ont inspiré le programme «A passion for John Donne» et son Introitus vocalisé au compositeur norvégien Ketil Bjørnstad (né en 1952), pianiste de formation classique et romancier, poète et essayiste qui s’adonne au jazz third stream et post-bop en petite formation et à la musique folk et new age. Le style de composition révèle toutes ces différentes influences musicales avec une prépondérance légèrement new age arpégé à la Michael Nyman. Le climat est plus rêveusement romantique qu’onirique ou fantasque – plus jazz dans les trois Interludes en partie improvisés, ce grâce en grande partie à deux musiciens norvégiens, l’excellent saxophoniste Håkon Kornstad (né en 1977), et Birger Mistereggen (né en 1967), percussionniste acoustique et électroacoustique à l’écoute de ses partenaires. Malgré une belle intervention a cappella pour «Batter my heart» et, à l’occasion, les ornements heureux du saxophone ténor de Kornstad, le chant peut aller jusqu’au catastrophiquement sirupeux. Il échoit essentiellement au Chœur de chambre d’Oslo sous la direction de Håkon Daniel Nystedt. La promesse reste la riche voix quasi-opératique de ténor fortement caractérisé de Håkon Kornstad qui, vocalement, n’intervient que trop peu (intéressant «A Fever» en particulier). Enregistré en public en l’église Softenberg d’Oslo avec une prise de son légèrement réverbérée, le disque aura certainement du succès mais le mélomane classique passera son chemin (ECM New Series 379 5985). CL
Barbirolli à Cologne
Les témoignages de l’art de John Barbirolli (1899-1970) en concert sont toujours attendus, tant le chef anglais, tel un Munch, se montrait souvent plus inspiré par l’excitation de l’instant que par les contraintes du studio. La soirée du 7 février 1969, telle que restituée pour la première fois en CD par ICA Classics, en donne une excellente illustration A la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio de Cologne, il débute par la Quatrième Symphonie de Schubert, certes assez datée par rapport aux interprétations actuelles de cette musique – avec notamment un effectif visiblement très fourni – mais d’une puissance et d’une densité rares. Créateur du Concerto pour violon et de la Sinfonia da Requiem, il dirige ensuite une partition contemporaine de ces deux œuvres de Britten, la Sérénade, avec Gerald English (né en 1925) et Hermann Baumann (né en 1934): l’enregistrement est précieux dans la mesure où ni le ténor anglais, bien plus proche, aujourd’hui, d’un Ian Bostridge, que d’un Peter Pears antan, ni le corniste allemand, d’un raffinement sonore et d’une précision peu égalés, ne l’ont semble-t-il hélas pas laissée au disque. Il existe plusieurs autres versions de la Deuxième Symphonie de Sibelius par Barbirolli, mais cette vision ultime, malgré une performance orchestrale parfois médiocre, mérite d’être connue: est-elle visionnaire ou erratique? Toujours est-il qu’elle fonctionne à l’impulsion, à l’instinct, à l’intuition, jetant des éclairages aussi fulgurants qu’inattendus sur la plus célèbre des symphonies du compositeur finlandais (double album ICAC 5096). SC
Thielemann, figure de proue du Vaisseau fantôme
Rien de neuf à Bayreuth. La mise en scène du Vaisseau fantôme par Jan Philipp Gloger (créée en 2012) illustre le capitalisme destructeur auquel le Hollandais et Senta sont étrangers: pas très original ni fort convaincant. La scénographie laisse indifférent, Senta travaillant... dans une fabrique de ventilateurs. N’importe quel théâtre de province en Allemagne porté sur la modernité, et doté d’un tant soit peu de moyens, peut monter un tel spectacle. Les chanteurs (Franz-Josef Selig en Daland, Ricarda Merbeth en Senta, Samuel Youn en Hollandais) tiennent leur rang et méritent de se produire sur la Colline verte. L’intérêt réside surtout dans la direction de Christian Thielemann, déliée, nuancée et d’un grand souffle romantique, mais acquérir un DVD pour un chef qui n’apparaît que lors des saluts vaut-il la peine (Opus Arte OA1140D)? SF
La rédaction de ConcertoNet
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