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Entretien avec Héloïse Gaillard
12/15/2014


Un entretien avec Héloïse Gaillard se mérite! Après un premier contact indirect et un petit jeu de piste au mois de septembre au Château de Versailles où elle venait d’enchaîner plusieurs concerts dans la même journée, c’est finalement dans un café parisien assez proche du Louvre que nous la retrouvons quelque temps plus tard pour parler notamment de son ensemble Amarillis fondé voilà maintenant vingt ans! Hautboïste mais également flûtiste, chambriste et aussi musicienne du rang dans plusieurs ensembles connus (au premier rang desquels Le Concert Spirituel d’Hervé Niquet), Héloïse Gaillard développe également ses activités de chercheuse, composant avec finesse les programmes d’Amarillis aux côtés de la claveciniste Violaine Cochard. A l’occasion de la sortie d’un album consacré à Rameau, entretien avec une jeune femme passionnée comme au premier jour…



H. Gaillard (© M. Lombard)


L’ensemble Amarillis a 20 ans cette année. Si l’on se penche sur son berceau, on s’aperçoit que les premiers responsables de cet ensemble, ce sont en fait vos parents puisqu’à la base, dans Amarillis, il y a Héloïse mais aussi Ophélie Gaillard! Le fait d’être deux sœurs, l’une violoncelliste, l’autre flûtiste et hautboïste, est-ce que cela vous pousse inéluctablement à faire de la musique ensemble?
C’est vrai que tout cela allait de soi. Je suis l’aînée, j’ai très vite choisi de faire des instruments «de dessus»: j’ai d’ailleurs commencé au conservatoire de Verrières-le-Buisson, petite ville connue pour avoir été le lieu de résidence de Louise de Vilmorin et pour être également la ville où est enterré André Malraux. J’ai donc étudié la flûte et le hautbois avec Jean-Pierre Nicolas, qui y a créé un département de musique ancienne où il a appelé d’autres enseignants, comme Pierre Hantaï par exemple. Et lorsqu’Ophélie a commencé d’étudier le violoncelle, elle est naturellement venue dans ce département pour assurer notamment la basse continue pour plusieurs musiciens; j’avais donc la chance d’avoir en quelque sorte une accompagnatrice à domicile, ce qui nous a évidemment conduit à faire beaucoup de musique de chambre ensemble.


Puis, une fois que vous avez pris l’habitude de jouer toutes les deux, et c’est peut-être la deuxième fée de votre berceau, vous êtes allées voir Pierre Hantaï puisque c’est lui qui vous a présenté Violaine Cochard, qui fait donc partie de l’aventure depuis le début! Comment s’est passée cette rencontre?
Ophélie et moi jouions donc régulièrement ensemble et nous cherchions un ou une claveciniste qui soit de notre génération et qui puisse partager nos centres d’intérêt. Alors qu’Ophélie était au CNSMP (Conservatoire national supérieur de musique de Paris) et que moi, j’étudiais en Hollande et en Belgique, Pierre nous a dit qu’il avait quelqu’un qui était susceptible de pouvoir jouer avec nous. Violaine n’avait jamais rencontré Ophélie alors qu’elle était également au CNSMP; on s’est donc rencontrées et, même si le mot est assez facile, ça a été un vrai coup de foudre. Ça a fonctionné immédiatement entre nous. Après cette rencontre, nous avons donné un premier concert, puis nous avons passé le concours de York un an après, concours que nous avons gagné et qui nous a véritablement lancées, nous permettant de faire une tournée partout en Angleterre et ensuite à travers toute l’Europe pendant deux ans. C’était assez idéal car rien ne vaut l’expérience de faire de la musique ensemble et de développer notre jeu commun en fonction de ce que nous renvoie le public.


Mais Violaine Cochard était-elle également en attente de trouver des partenaires pour faire de la musique ou est-ce seulement l’opportunité qui l’a conduit à vous rejoindre?
Une claveciniste peut être soliste mais il ou elle a également vocation à accompagner d’autres instrumentistes. Violaine avait déjà eu l’occasion d’être fortement sollicitée pour accompagner des chanteurs et des musiciens, notamment par le biais de Christophe Rousset qu’elle a eu comme professeur au Conservatoire. Construire un ensemble suppose des affinités assez profondes car c’est vraiment une route qu’on décide de suivre ensemble: il faut donc avoir une même conception de la musique, une même idée sur les programmes à interpréter même si, dès les débuts de notre ensemble, c’est plutôt moi qui ai eu tendance à les concevoir. Pour faire de la musique de chambre ensemble, il faut vraiment adopter un discours commun.


Y a-t-il un moment spécifique pour avoir ainsi décidé de constituer un ensemble? Vous avez raconté que, personnellement, un de vos très grands souvenirs musicaux était l’interprétation de La Follia de Corelli par Frans Brüggen, Anner Bylsma et Gustav Leonhardt au théâtre du Châtelet et que vous vous étiez toujours dit: «Un jour, moi aussi, je jouerai cette pièce...»». Est-ce aussi à ce moment que vous vous êtes dit que si vous deviez jouer cette musique, il vous faudrait trouver des comparses?
C’est vrai que c’est un très grand souvenir! J’étais néanmoins trop jeune pour me formuler les choses ainsi, de façon aussi précise, mais je me souviens encore très bien de cette vive émotion. Je me souviens très bien de notre placement au théâtre du Châtelet (assez haut dans les gradins); je me souviens également de leur haute stature (ces trois musiciens étaient assez grands), et je me souviens de cette incroyable émotion créée par une synergie extraordinaire entre trois personnalités très fortes, mais qui arrivaient à adopter un discours d’une éloquence commune. Cela fait partie des moments magiques qui peuvent arriver, un vrai petit moment de grâce. Je suis assez émue en en parlant puisque nous avons malheureusement perdu deux de ces immenses artistes relativement récemment... Nous avions rencontré Gustav Leonhardt puisqu’il avait remis un prix à notre ensemble lorsque nous avions remporté en septembre 1997 le premier prix et le prix du public au concours Sinfonia en Périgord, qu’il présidait. C’était quelqu’un de très impressionnant mais également empreint d’une grande douceur, qui vivait véritablement pour la musique. Quant à Frans Brüggen, bien que je ne l’aie jamais véritablement rencontré, ne l’ayant seulement côtoyé qu’au cours d’une masterclass qu’il donnait, c’est un musicien auquel je suis toujours resté fidèle. Dès que j’aborde un répertoire, je vais écouter ce qu’il en faisait et sa manière de jouer m’a véritablement guidée...


Cela veut-il dire que, lorsque vous avez enregistré votre disque consacré aux Fantaisies de Telemann, vous êtes allée voir sur YouTube Brüggen jouer une de ces fantaisies, tout seul, en studio et en noir et blanc?
Oui, absolument, car ce que j’aime énormément dans sa manière de jouer ces Fantaisies, c’est qu’il adopte une voie très personnelle tout en ayant un très grand respect du texte. Ce n’était jamais son ego qui était mis en avant: au contraire, il avait toujours cette humilité face aux œuvres, tout en usant d’un phrasé et d’un son que l’on reconnaît immédiatement, très chaud, très coloré...


Quels sont les autres mentors qui ont ainsi poussé votre ensemble Amarillis?
Après avoir fait cette tournée européenne, nous avons rapidement enregistré des disques: c’est une expérience très différente que celle consistant à donner des concerts! Dès le début de notre aventure, nous avons fait nous-mêmes tous les montages, ce qui nous a conduit à effectuer un long travail d’écoute et de réécoute; on a dû choisir nos prises, en pleine responsabilité et ça nous a fait beaucoup progresser. Cet été, Jacques Merlet est décédé et il a énormément compté pour nous: c’est d’ailleurs lui qui a fait la préface de notre premier disque... C’était un personnage généreux, dur parfois, mais qui nous a toujours fait confiance; on a fait de la radio avec lui, et c’est une personnalité que je regrette et à laquelle je souhaite rendre vraiment hommage.


Amarillis oscille aujourd’hui, généralement, entre trois et onze instrumentistes – c’est l’effectif auquel vous allez recourir pour interpréter La Double Coquette (1753) d’Antoine Dauvergne au mois de décembre. Comment s’effectue le choix des musiciens qui vous rejoignent à telle ou telle occasion?
Le choix se fait entre Violaine et moi, Ophélie ne faisant plus partie d’Amarillis depuis une dizaine d’ années. On a choisi avec Violaine de faire appel à un certain nombre d’instrumentistes avec lesquels nous avons décidé d’avoir un parcours commun. C’est bien sûr le cas d’Alice Piérot, qui est devenue un pilier de l’ensemble: elle a la même façon que nous, la même conception pour servir la musique, qui est très naturelle, nous sommes toujours dans la recherche, jamais dans l’affrontement, ce qui est toujours constructif et précieux. Et c’est la même logique qui nous fait rencontrer des chanteurs puisque, à côté de notre désir de faire de la musique instrumentale (notamment pour redécouvrir certains répertoires peu joués, comme les Suites de Philidor par exemple), nous aimons beaucoup travailler avec des chanteurs. Violaine a toujours aimé ces rencontres et moi, j’essaie d’une certaine façon d’imiter la voix par mon instrument... Nous avons eu des rencontres formidables avec Patricia Petibon notamment, avec laquelle on a eu un «compagnonnage» depuis le Conservatoire puisqu’on y était au même moment: nous avons monté plusieurs projets au fil des années (une grosse tournée est d’ailleurs prévue l’année prochaine avec elle, pour un nouveau programme, avec une vingtaine de musiciens). C’est aussi le cas de Stéphanie d’Oustrac, avec laquelle nous avons développé une vraie amitié; c’est pour elle que j’avais conçu les programmes «Médée furieuse» et «Ferveur et extase»). C’est aujourd’hui le cas de Mathias Vidal, que je connaissais depuis longtemps par le biais notamment du Concert Spirituel. Comme vous le voyez, les chanteurs ne sont pas choisis au hasard comme si on leur demandait tout à coup de jouer avec nous. Au contraire, ce sont à chaque fois des personnes que l’on connaissait déjà de longue date et avec lesquelles on était certain de vouloir faire quelque chose ensemble. Je construis d’ailleurs les programmes pour ces personnalités-là, j’imagine les programmes pour les personnes et non l’inverse, pour que l’adéquation soit optimale.


Quels sont les répertoires que vous avez envie d’explorer avec Amarillis, vous qui avez déjà notamment joué beaucoup de musique française? Carl Philipp Emanuel Bach par exemple?
C’est effectivement un compositeur qui a fait de très belles choses pour le hautbois mais, en ce qui concerne la flûte, plutôt pour le traverso et peu de choses pour la flûte à bec.
J’aime énormément Telemann, qui est trop peu joué à mon avis, notamment en France, alors que c’est un compositeur vraiment extraordinaire; il a épousé les différentes sensibilités de son époque, tous les styles musicaux, qui offre une virtuosité extraordinaire, et qui a eu recours à un très grand éventail d’instruments...


Oui, c’est un peu comme Vivaldi, qui a composé pour tous les instruments de son temps, la flûte, la trompette, le basson, le chalumeau...
Oui, tout à fait, mais comme Telemann connaissait assez intimement les instruments, il adapte son discours à chacun d’entre eux alors que Vivaldi adopte toujours un discours très violonistique. Ce n’est pas du tout le cas de Bach en revanche, qui reste plus difficile à interpréter pour des instrumentistes à vent. D’ailleurs, je n’aime pas que l’on compare ces compositeurs entre eux, Bach et Telemann, car ils ont eu effectivement des rivalités mais pas du tout de leur fait, c’était plutôt pour postuler à tel ou tel poste mais c’étaient de vrais amis, qui avaient un profond respect l’un pour l’autre; pour moi, les opposer est une grave erreur. Ce que j’admire également chez Telemann, c’est sa capacité à créer des couleurs instrumentales puisque, lorsqu’il compose des concertos avec deux flûtes à bec, avec deux violoncelles, avec deux hautbois, par exemple il nous offre des combinaisons sonores très diverses qui permettent d’obtenir des couleurs et des phrasés originaux voire inédits. J’aime également ses Suites pour flûte, la Wassermusik... Je pense malheureusement qu’il y a une certaine peur des organisateurs à l’égard de ce compositeur alors que, si je prends ses Sonates en trio, qu’on a d’ailleurs enregistrées avec Amarillis, le public répond: il est galvanisé par la liberté de ton dans son propos musical, qui est tout à fait enthousiasmant et qui pousse véritablement l’interprète à rechercher de la fantaisie dans cette musique.



H. Gaillard (© M. Lombard)


Vous n’hésitez pas, les musiciens d’Amarillis en général, à vous mettre vous-mêmes en scène. Dans le spectacle «La Révolte des soupirants», vous étiez quatre instrumentistes à vous transformer en muses autour de Benoît Arnould; dans le spectacle «La Dernière Nuit de la duchesse du Maine», vous avez là aussi effectué un vrai travail de comédienne. Dans le spectacle que vous avez tout récemment donné à Versailles, vous avez encore été comédiens. Est-ce à dire que la musique seule ne vous suffit pas?
Je ne dirais pas les choses comme ça. La musique baroque part du discours, elle part du théâtre: de toute façon, on se met en scène dans cette musique. Dans les opéras, il y a toujours des tempêtes, des épisodes merveilleux... La musique descriptive de cette époque est donc toujours mise en scène. Mais il y a aussi une distance qui fait qu’on n’est jamais dans le pathos, dans l’émotion directe. Dans «La Révolte des soupirants», j’avais envie de lier ces trois cantates pour construire un récit afin de les sortir du contexte dans lequel elles étaient habituellement données. C’est d’autant plus intéressant de le faire que cette histoire, sur laquelle Campra a composé une merveilleuse musique, est très vivante, avec des passions que même les jeunes enfants peuvent vivre pleinement. On a donc cherché à réincarner ces récits mythiques, à rendre un univers très sensible. On essaie de faire en sorte que le public n’y voie pas quelque chose de passé, qui serait poussiéreux et sans aucune connexion avec le présent.


Est-ce aussi une manière de montrer que la baroque, ce n’est pas fatalement un répertoire complexe, réservé seulement à une élite? Est-ce un souhait de mettre la musique baroque à la portée de tout le monde?
Oui, mais c’est un combat de tous les jours. Ça fait partie de mes convictions personnelles depuis longtemps Le fait d’être attaché à la région des Pays de la Loire, de faire un travail de longue haleine sur le terrain nous permet de montrer que ce répertoire n’est pas réservé à un public élitiste mais que c’est également abordable par un public qui vit parfois en périphérie des centres culturels, (on le voit à l’égard des banlieues d’Angers par exemple): on les amène donc vers cette musique et c’est un plaisir que de voir leur émerveillement, dont on peut ensuite espérer qu’il reste ensuite toute leur vie. C’est d’autant plus facile que cette musique est souvent liée aux histoires, aux fables, à la magie.
Cette actualité du baroque, nous la montrons aussi lors de la présentation de programmes aux enfants, lors de la présentation de nos instruments; ce qui est amusant, c’est que la première réaction des enfants et des jeunes que nous voyons est de nous dire «Ah, mais vous n’êtes donc pas des vieilles personnes!». Ce qui intéressant dans notre relation avec le jeune public, c’est qu’il a beaucoup moins d’a priori, il n’y a pas de barrière et établir le contact avec eux est tout de suite facile d’autant qu’ils aiment l’énergie que dégage cette musique, les danses qui vont avec et qui leur parlent beaucoup corporellement. Quand je joue, j’ai tendance à bouger et je vois qu’eux aussi bougent: la musique baroque n’est vraiment pas une musique statique!


Les programmes que vous interprétez sont variés même si l’on reste globalement dans le paysage baroque (je reviendrai à la musique contemporaine dans un instant). Votre premier disque était sauf erreur consacré à l’Italie du XVIIe siècle (Lotti, Falconieri, Pandolfi, Corelli...) puis ce fut au tour de Purcell, Händel, Bach (très beau disque avec la Maîtrise des enfants de Colmar), plus récemment Johann Christian Bach, puis Rameau aujourd’hui. Comment s’effectue le choix des œuvres? Est-ce vous qui faites le travail de recherche ou les autres membres d’Amarillis sont-ils également mis à contribution?
Je demande à Violaine ce qu’elle a envie de faire, à Alice également. Mais j’ai toujours énormément d’idées de mon côté, qui viennent de façon assez étrange parfois... Ça peut être juste en me promenant dans les parcs du château de Versailles en voyant des statues et des fontaines... Ça peut également venir de notre collaboration avec différentes institutions comme le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), avec lequel nous collaborons régulièrement. Ainsi, c’est Benoît Dratwicki qui nous a offert l’opportunité de faire quelque chose autour des cantates de Rameau. C’est vrai qu’habituellement, ces cantates sont interprétées par un dessus mais, pour ma part, je préfère que ce soit une voix d’homme, la tessiture de ces cantates convenant parfaitement à une voix de ténor. Benoît a tout de suite été d’accord. On a fait ensuite un deuxième concert mettant davantage en valeur le hautbois... Quant au choix même des pièces que nous jouons, ce sont des recherches que nous faisons. Je suis très attachée au fait de raconter des histoires; cela doit sans doute me venir de mon enfance, quand notre père nous racontait L’Iliade ou L’Odyssée. Ça a certainement des résonances profondes chez moi. Mais d’ailleurs, même pour ce qui est de la musique purement instrumentale, je cherche à établir des ponts entre les œuvres...


J’ai fait allusion à la musique contemporaine car, lorsque vous allez jouer Dauvergne, vous allez également interpréter La Double Coquette de Gérard Pesson, dont le livret sera composé par Pierre Alferi. Pouvez-vous nous parler de cette incursion dans une musique qui n’est pas le répertoire «naturel» d’Amarillis?
On a beaucoup de projets différents: La Coquette trompée de Dauvergne et effectivement La Double Coquette de Gérard Pesson et Antoine Dauvergne. En fait, j’ai vraiment découvert Dauvergne lors des «Grandes journées Dauvergne» qui s’étaient tenues à Versailles en 2011 et je me suis alors plongé dans sa musique. J’ai découvert combien il était avant-gardiste, dans une écriture orchestrale dotée d’une fantaisie réjouissante; je me suis alors dit que j’aimerais bien qu’on en fasse davantage avec ce compositeur. J’avais alors l’idée de monter La Coquette trompée mais avec un regard plus contemporain, ce qui nous a conduit à faire appel à Gérard Pesson, ce mélange de styles correspondant bien à l’époque classique où l’on n’hésitait pas à mélanger des genres très différents puisque La Coquette trompée a été créée en 1753, à Fontainebleau, au cœur même d’un opéra de Rameau! Pesson s’est alors pris de passion pour ce compositeur et, du coup, il a d’abord écrit un prologue, puis diverses pièces qui ont été autant d’incursions, d’interactions d’une pièce vers l’autre. Le résultat obtenu sera certainement passionnant, d’autant que l’on reste dans une veine comique, Pierre Alferi ayant écrit le livret avec une verve et une drôlerie qui bénéficient également d’une vraie poésie.


Si l’on en vient à votre dernier disque, comment avez-vous connu l’œuvre de Jean-Philippe Rameau: par le biais d’œuvres que vous avez jouées (les Suites en concert avec flûte par exemple) ou par le biais de spectacles auxquels vous avez assisté?
J’ai étudié Rameau pendant mes études musicales mais ma première vraie rencontre a été le ballet Pygmalion qu’Hervé Niquet avait monté et que j’avais donc joué au sein du Concert Spirituel. C’est la première fois que je jouais vraiment Rameau et c’est vraiment une chance pour un interprète car cette partition bénéficie d’un jeu harmonique unique, d’une vraie sensualité. C’est vraiment quelque chose que se trouver au sein de la section des vents, au sein de cette harmonie (flûtes, hautbois, bassons), de cet univers particulier; Rameau écrivait très bien pour la flûte (pour le traverso en fait puisqu’il n’a rien composé pour la flûte à bec). Ça a donc été mon premier choc avec Rameau.


Un mot sur votre disque consacré à Rameau, dont on célèbre le deux cent cinquantième anniversaire de la disparition et dans lequel vous jouez notamment deux cantates, Orphée et Le Berger fidèle. Les cantates que vous avez enregistrées sont habituellement chantées par une voix de soprano: pourquoi avoir choisi ici une voix masculine? Les avez-vous déjà interprétées avec une chanteuse?
Pour chaque programme, j’ai un artiste en tête; comme je l’ai dit, je pars d’un artiste et je vais vers un répertoire, Vers une œuvre... C’est vrai que ces cantates peuvent être données avec une soprano mais Orphée descend dans une tessiture assez grave pour une soprano. Bien qu’on ait également donné cette cantate avec Maïlys de Villoutreys, on l’a enregistrée avec Mathias car le projet était différent.


Dans la cantate Le Berger fidèle, il y a un vers bien connu: «Faut-il qu’Amaryllis périsse? »... Faut-il y voir une allusion quelconque ou le choix était-il totalement inconscient et seulement guidé par l’aspect musical? Pourquoi ce nom d’Amarillis d’ailleurs?
A l’origine, c’est le nom d’une bergère chez Virgile mais on la retrouve ensuite dans des œuvres littéraires et musicales très nombreuses (Händel, Campra et d’autres ont composé des morceaux portant ce nom)! Je vous répondrai également que notre goût commun pour la musique baroque nous a conduit à jouer, parmi nos premières œuvres, Amarilli mia bella qu’on a enregistrée dans sa version avec basse continue. Cette œuvre nous a beaucoup accompagnés et c’est un nom qui nous a suivis. Nous aimions aussi la sonorité du mot... enfin, c’est aussi une fleur que j’aime beaucoup, avec une tige unique et plusieurs fleurs comme des écouvillons...


Amarillis a été votre premier nom?
Oui! En fait, nous avons donné notre premier concert à la Cité universitaire internationale, un lieu qui avait un sens particulier pour moi puisque c’est là que mes parents s’étaient rencontrés. Bref, nous avons donc donné un concert là-bas trois mois environ après notre constitution et nous avons dû rapidement trouver un nom: ce fut Amarillis.


Votre ensemble fête aujourd’hui ses vingt ans: que peut-on lui souhaiter maintenant?
Nous souhaitons continuer à avoir de nombreux projets et, de fait, pouvoir continuer à bénéficier des soutiens indispensables de l’Etat pour continuer à exister et être créatif. Nous avons la chance d’avoir le soutien de la région, de la DRAC, de la ville d’Angers... Il faut trouver aussi des gens qui croient en nous, c’est l’appel au mécénat privé: c’est une recherche importante car le soutien public peut parfois être fragile. Malheureusement, la culture ne passe pas toujours au premier plan. J’écoute beaucoup la radio et j’espère que nous allons conserver en France cette exception culturelle. Mais aujourd’hui, on ne peut plus faire notre travail avec sérénité car parler de retour d’investissement, qui plus est immédiat, en matière de culture et plus encore de musique, n’a aucun sens. Jacques Merlet, dont je vous ai parlé tout à l’heure et qui était un passionné de musique, était capable d’aller au fin fond de la France pour aller écouter des orgues dont on lui avait parlé, et il pouvait se permettre de consacrer ensuite toute une émission sur ce sujet. Angers a la chance d’être un vrai lieu culturel et la ville nous suit dans nos projets. J’avoue que c’est toujours une angoisse de se demander si on pourra monter tel ou tel projet; mais il faut rester optimiste!


Le site d’Amarillis

[Propos recueillis par Sébastien Gauthier]

 

 

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