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Il faut sauver nos orchestres !
03/03/2014


On le sait bien : face aux difficultés économiques, les pouvoirs publics n’ont jamais fait passer la culture au rang de leurs priorités, celle-ci jouant au mieux le rôle de variable d’ajustement, au pire celui de réservoir dans lequel on peut puiser à loisir pour abonder des budgets jugés plus importants.


Les préoccupations en la matière ne cessent pourtant de prendre de l’ampleur. A l’image de la propagation de la crise financière et économique, elles prirent corps en premier lieu outre-Atlantique, avec l’annulation en 2009 de la tournée du Symphonique de Boston en Europe pour des raisons strictement financières, l’instauration d’un plan d’économie décidé à la même époque par l’Orchestre de Cleveland et, entre autres exemples, des suppressions d’emplois engagées par l’Orchestre de Pittsburgh. Elles se propagèrent ensuite en Europe avec les fortes prises de parole de Daniel Barenboim à la Scala en décembre 2010 et, surtout, de Riccardo Muti à l’Opéra de Rome en mars 2011 pour les 150 ans de l’unité italienne (on se souvient de l’ovation ayant conclu le «Va pensiero» de Nabucco bissé par le chef avec l’ensemble du public de l’Opéra sous les pleurs des chanteurs présents sur scène).


Depuis quelques mois, deux sources importantes de préoccupations sont apparues après la disparition, en Grèce, de l’Orchestre symphonique national, de l’Orchestre de musique contemporaine et du Chœur national.



L’Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg
(© Klaus Polkowski)



Il s’agit tout d’abord de la fusion programmée à l’horizon 2016 des deux orchestres allemands que sont l’Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg (SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg) avec l’Orchestre SWR de Stuttgart (Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR). Actuellement placé sous la direction du chef français François-Xavier Roth, l’Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg, vénérable institution née en 1946, fait partie de ces phalanges à la personnalité clairement affirmée, cet orchestre s’étant fait le chantre des grandes œuvres de la musique contemporaine (voir par exemple ici), ayant encore récemment (le 20 septembre dernier lors du concert d’ouverture de la trentième édition de Musica) créé au cours d’une même soirée trois œuvres, Mouvements, imprévus et... pour orchestres, violons et autres machins de Marc Monnet, Limited approximations de Friedrich Haas et Monumenta de Yann Robin. Par ailleurs, cet orchestre, qui fut dirigé en son temps par des chefs aussi charismatiques que Hans Rosbaud (mentor de Pierre Boulez) et Michael Gielen (qui continue de le conduire avec bonheur aussi bien dans Schumann que dans Schoenberg et Brahms), s’avère être également un orchestre straussien de tout premier ordre. En un mot comme en cent, la fusion avec l’Orchestre de la SWR de Stuttgart, placé sous la direction d’un autre chef français, Stéphane Denève, conduirait tout simplement à faire perdre à l’Orchestre de la SWR de Baden-Baden et Fribourg toute sa spécificité. Quant à l’Orchestre de la SWR de Stuttgart, jadis dirigé par Sergiu Celibidache et Sir Roger Norrington, il serait également mis à mal par cette fusion qui n’est actuellement justifiée que par des motifs budgétaires.


Pour l’heure, la direction de la Radio sud-ouest allemande (SWR), par la voix de son intendant, Peter Boudgoust, n’a en effet avancé que des arguments économiques pour justifier une fusion qui suscite à la fois réprobation et incompréhension. Les deux orchestres, qui ont déjà dû effectuer des coupes budgétaires importantes (entraînant une réduction de leur train de vie de 25 %), sont donc très directement menacés alors que toute solution alternative (nouveaux efforts financiers, restructurations, transformation des orchestres en fondations, appel à des sponsors) a été écartée sans grande réflexion de la part des responsables actuels de la SWR.


La communauté artistique s’est alors mobilisée. Des pétitions (voir ici), où l’on croise notamment les noms de François-Xavier Roth bien sûr mais aussi de dizaines d’autres chefs d’orchestre (entre autres Pierre Boulez, Alain Altinoglu, Herbert Blomstedt, Sylvain Cambreling, Myung-Whun Chung, Christoph von Dohnányi, Charles Dutoit, Michael Gielen, Nikolaus Harnoncourt, Kent Nagano, Yannick Nézet-Séguin ou Michael Tilson Thomas) et des noms de compositeurs (Pascal Dusapin, Peter Eötvös, György Kurtág, Krzysztof Penderecki ou Wolfgang Rihm), circulent. Des dizaines de milliers de personnes, célèbres ou non, récemment rejointes au mois de février par plusieurs hommes et femmes politiques allemands, ont également signé des manifestes pour empêcher cette fusion. Pour le moment, l’intendant de la SWR, appuyé d’ailleurs par son prédécesseur Bernhard Hermann, fait la sourde oreille, campe sur ses positions et refuse d’envisager le maintien des deux orchestres, estimant même dans sa récente réponse à la pétition des 160 chefs d’orchestre que ces derniers devraient plutôt le féliciter de bien vouloir contribuer à défendre la culture en Allemagne (voir ici).



La Petite Bande


Autre orchestre emblématique, dans un autre répertoire certes, La Petite Bande qui connaît également de lourdes difficultés financières. Créé en 1972 afin d’enregistrer sous la direction de Gustav Leonhardt Le Bourgeois gentilhomme de Jean-Baptiste Lully, La Petite Bande a vu ses subventions publiques totalement supprimées. Le système belge du Kunstendecreet permet au ministre de la culture de décider du montant des subventions à accorder à des centaines d’institutions et compagnies après que la situation de chaque demandeur a été préalablement examinée par des commissions qui les classent par ordre de «qualité» pour reprendre les termes officiels. Or, dans la perspective des subventions à accorder pour la période 2013-2016, la ministre de la culture Joke Schauvliege (également ministre de l’environnement et de la nature) a purement et simplement décidé, le 22 juin 2012, de supprimer toute subvention au profit de La Petite Bande, privant ainsi l’orchestre de 560 000 euros annuels.


Face à l’émoi suscité à travers le monde, La Petite Bande n’étant tout de même pas le dernier des orchestres baroques, son directeur musical, Sigiswald Kuijken, a pris plusieurs initiatives en plus d’une pétition qui a d’ores et déjà rassemblé des milliers de signatures (une première pétition avait été lancée en 2009 pour s’opposer à de lourdes menaces budgétaires qui pesaient déjà sur l’orchestre). Ainsi, souhaitant être à l’avenir moins dépendante des pouvoirs publics, La Petite Bande a édité un livre consacré à Jean-Sébastien Bach et très justement intitulé Reste avec nous, Bach, dont la souscription a été lancée le 16 février 2014. Accompagné d’un disque consacré à la Cantate BWV 147 «Herz und Mund und Tat und Leben», ce livre, qui ne peut être acquis que par le biais de La Petite Bande (voir ici), devrait permettre de lui apporter quelques fonds indispensables. De plus, depuis le mois d’octobre 2013, La Petite Bande a lancé un appel au mécénat via le groupe des «Amis de La Petite Bande» qui permet à chacun de devenir soit un «ami simple» (moyennant un don de 50 euros par an), soit un «ami pour la vie» de l’orchestre (moyennant cette fois-ci un don de 1 000 euros par an). Là encore, l’ensemble de Sigiswald Kuijken espère compenser en partie le désengagement des pouvoirs publics belges grâce à la générosité des mélomanes


A l’heure où des rumeurs, qui ont déjà existé avant de disparaître et de revenir de nouveau, existent sur la possible fusion entre l’Orchestre national de France et le Philharmonique de Radio France, il importe donc plus que jamais de soutenir la musique classique et ses acteurs principaux que sont les orchestres. Il importe en premier lieu de soutenir les phalanges menacées en signant et pétitionnant en leur faveur. Il importe en second lieu d’être vigilant et de ne pas hésiter à rappeler aux pouvoirs publics que la culture ne peut tenir lieu de seule variable d’ajustement aux difficultés budgétaires que l’on peut connaître aujourd’hui.


Le site de l’Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg
Le site de La Petite Bande


Sébastien Gauthier

 

 

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